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Toute vérité n'est que perception

Connais ton audience plutôt que toi-même

En matière de perception, il faut dépasser l’injonction socratique pour se concentrer sur la compréhension de son audience. C’est ce que démontre une nouvelle fois l’élection factice qui a eu lieu hier en Iowa pour lancer la primaire présidentielle républicaine.

Vue de France, cette élection est une incongruité. Dénommée “Straw Poll” – en référence à la paille jetée en l’air pour évaluer la direction du vent -, elle a réuni 16 892 votants (soit 0,00005% de la population américaine) d’un Etat du Mid-West qui compte 3 millions d’habitants – l’équivalent de la ville de Chicago intra muros. Durant cette élection, les équipes de campagne des candidats vont chercher les électeurs dans tous les coins de l’Iowa, les amènent en bus à Ames, le lieu du scrutin, les distraient avec des groupes de musique très populaires, les nourrissent et leur paient même le ticket de 30 dollars nécessaire à la validation de leur vote. Comme The San Francisco Chronicle le titrait ce matin, tout cela tient du carnaval. Last but not least, cette élection factice est très peu annonciatrice des futurs vainqueurs dans la primaire républicaine et à l’élection présidentielle (seul George W. Bush, depuis la création du “Straw Poll” en 1979, gagna les trois scrutins en 1999/2000). Le “Straw Poll” est en revanche un meilleur indicateur du résultat du caucus de l’Iowa pour la primaire républicaine.

Cette fausse élection a cependant fait la Une des médias américains durant près de dix jours et a conduit l’un des candidats sérieux à la primaire républicaine – Tim Pawlenty, l’ancien gouverneur du Minnesota – à se retirer de la compétition. Pawlenty est en effet arrivé troisième en Iowa, réalisant un score plus de moitié inférieur à celui de la gagnante, Michele Bachmann (13,6% contre 28,6%). Cette élection qui n’est en rien officielle a donc une sacrée influence. La journaliste politique de CNN Candy Crowley l’a d’ailleurs qualifiée d'”événement le moins significatif qui a le plus de signification”.

Comment s’explique l’échec cuisant du respectable Pawlenty ?

Il a commis une erreur majeure en communication politique : il a oublié de considérer quel électorat il devait convaincre pour bien figurer dans cette première étape du marathon électoral républicain vers la Maison-Blanche. Une erreur que n’a pas commise Michel Bachmann – la nouvelle favorite du mouvement Tea Party depuis que l’ancienne candidate à la vice-présidence Sarah Palin semble se concentrer sur sa carrière médiatique – et à laquelle ont échappé Mitt Romney – le favori de la primaire républicaine jusqu’à ces dernières heures – et Rick Perry – le gouverneur du Texas, nouvel entrant dans la course et potentiel challenger le plus sérieux de Mitt Romney – qui n’ont pas participé à ce “Straw Poll” (mais ont quand même recueilli des votes).

Tim Pawlenty – (CC) Gage Skidmore

L’une des principales erreurs de Pawlenty a été de centrer son message, ces dernières semaines, sur (i) son bilan personnel pour asseoir sa crédibilité de présidentiable et (ii) des attaques plus ou moins cohérentes et habiles contre ses concurrents. Il a ainsi largement oublié de communiquer sur ses principes conservateurs qui sont pourtant au coeur des intérêts de la frange la plus engagée – et donc souvent la plus extrémiste – du Parti républicain. Ce faisant, il commit la même erreur qu’Hillary Clinton contre Barack Obama en 2007/2008. Enfin, Pawlenty n’a pas su exprimer, du fait de sa personnalité aimable et polie, la colère de la base fondamentaliste du Parti républicain contre Obama. Ainsi, en plus d’être décalé sur le fond, sa campagne a souffert d’un déficit d’émotion sur la forme, une double faiblesse rédhibitoire en termes de perception. En communication, il faut avant tout comprendre les attentes et centres d’intérêt de son public cible. Pawlenty était hors sujet, il est désormais hors course.

Michele Bachmann présente le profil inverse : elle n’a aucun bilan politique personnel – elle n’a pas dirigé d’exécutif et n’a associé son nom à aucune législation depuis son élection à la Chambre des Représentants – et ne peut donc promouvoir sa crédibilité de présidentiable. Elle mène une campagne d’activiste plus que de leader politique en mettant en exergue de grands principes constitutionnels, économiques et sociaux qui la situent à l’extrême-droite de son parti et en exprimant sans relâche sa rage contre le Président Obama. C’est d’ailleurs sur sa combativité pour défendre ses principes qu’elle répond lorsque les intervieweurs américains l’interrogent sur son bilan, un peu comme si un sportif déclarait qu’il s’entraîne beaucoup lorsqu’on lui demande quels résultats il a obtenu en compétition.

En plus d’être née en Iowa, Michele Bachmann avait tout pour séduire la majorité des votants du “Straw Poll” d’Iowa. Mais, a contrario de Tim Pawlenty, elle ne bénéficie d’aucun potentiel d’éligibilité dans une élection présidentielle où ses vues extrêmes la disqualifieront aux yeux d’une majorité de l’électorat américain, ce qui va in fine réduire ses chances de gagner la primaire républicaine : l’un des premiers critères en fonction desquels les sympathisants républicains vont se déterminer sera en effet la capacité de leur futur candidat à vaincre Barack Obama en novembre 2012.

A cet égard, il ne faut pas oublier que les électeurs indépendants – ceux qui ne sont pas enregistrés comme démocrates ou républicains – font de plus en plus la décision dans les élections présidentielles américaines. Ce sont eux qui avaient permis à Barack Obama de l’emporter en novembre 2008. Ainsi, si Michele Bachmann est sans conteste la vedette de ce tour de chauffe de la primaire – et ce succès va lui donner des ailes notamment pour récolter des fonds -, je ne la vois pas menacer Mitt Romney et/ou Rick Perry jusqu’au mois de juin 2012. Les problèmes de perception qui sont attachés à sa candidature sont trop grands.

De son côté, pendant que l’élection factice se déroulait, Rick Perry annonçait sa candidature devant un rassemblement de blogueurs (tiens tiens) conservateurs. Le choix de la date n’était naturellement pas fortuit, lui permettant de voler partiellement la vedette au vainqueur du “Straw Poll” d’Iowa. Rick Perry, gouverneur du Texas depuis plus de 10 ans, espère séduire à la fois les conservateurs dans le domaine économique et les conservateurs dans le domaine social. Son message de lancement de campagne était centré sur deux sujets : la diminution du rôle du gouvernement fédéral – jusqu’à le rendre “sans conséquence” sur la vie des Américains – et la lutte contre le chômage – se prévalant du fait que, depuis juin 2009, le Texas a créé 40% des nouveaux emplois de l’ensemble du pays. Le premier sujet est une thématique républicaine alors que le second répond au problème numéro un du peuple américain aujourd’hui. Incidemment, la perception du bilan de Rick Perry en faveur de l’emploi sera probablement plus contrastée que ce seul chiffre de 40% ne le laisse accroire, beaucoup de ces jobs ayant étant créés dans le secteur public et/ou avec des rémunérations au niveau ou en dessous du salaire minimum.

Rick Perry est aussi un bien meilleur spécialiste des campagnes électorales que Mitt Romney avec lequel il contraste notamment par sa capacité à animer les foules lors de ses manifestations publiques – il a d’ailleurs remporté plusieurs succès électoraux très improbables. Il est aussi remarquablement efficace pour récolter des fonds. Mais, rentrant tardivement en lice, il va devoir créer très rapidement une dynamique pour avoir une chance d’emporter la nomination républicaine. Il devra dans cette optique gérer deux autres difficultés en termes de perception : il peut être vu comme un clone de George W. Bush, son prédécesseur à la tête de l’exécutif du Texas, et il devra s’expliquer sur certaines gaffes commises ces dernières années, telles que sa référence en 2009 à une possible sécession du Texas.

Quelle que soit son issue, cette primaire républicaine confirme une évolution néfaste du système politique américain. Les citoyens se prononcent à des majorités très larges dans les sondages d’opinion en faveur du bi-partisanisme et d’une coopération entre Démocrates et Républicains pour résoudre les problèmes du pays. Mais, leur faible participation fait que le système des primaires porte au Congrès – représentants et sénateurs – des responsables de plus en plus idéologiques. En effet, ce sont les sympathisants les plus engagés – et donc, ainsi que je l’ai relevé plus haut, les plus extrémistes – qui se mobilisent le plus dans les primaires à l’occasion desquelles ils sélectionnent des candidats très marqués politiquement pour la “vraie élection” où il est alors trop tard pour inverser la tendance quand un nombre d’électeurs plus grand votent.

Il en est un qui n’affrontera fort probablement pas de primaire en 2012 : Barack Obama. La primaire républicaine pourrait d’ailleurs ne pas le desservir si elle lui livre comme adversaire un candidat très à droite. Obama a en effet intérêt, en termes de perception, à ce que la prochaine présidentielle soit un référendum sur la crédibilité présidentielle de son concurrent plutôt qu’un référendum sur son bilan.

Dans l’immédiat, alors que le dernier sondage Reuters/Ipsos indique que 73% des Américains pensent que les Etats-Unis sont engagés dans la mauvaise direction, leur Président se lance dans un tour en autocar du Mid-West pour les convaincre de la pertinence de ses solutions contre le chômage – alors qu’il n’a toujours pas présenté lesdites solutions – avant de partir en vacances sur l’île pour milliardaires de Martha’s Vineyard.

Il n’y a donc pas que Tim Pawlenty qui ait du mal à comprendre les attentes de son public cible…

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