Jeff Bezos est-il le nouveau Steve Jobs ?

Après sa conférence de presse de présentation du Kindle Fire, nouveau concurrent de l’iPad, plusieurs voix se sont fait entendre aux Etats-Unis pour affirmer que Jeff Bezos est le nouveau Steve Jobs (voir par exemple ici et ici). C’est peut-être vrai mais pas pour les raisons qui sont le plus mises en avant.

Jeff Bezos, fondateur et PDG d’Amazon, est l’un des deux ou trois dirigeants d’entreprise que j’admire le plus. Il combine vision stratégique et culturelle, génie managérial, vista opérationnelle et passion inégalable dans un business qui doit maîtriser les enjeux de l’ancienne (chaîne logistique) et de la nouvelle (e-commerce) économies. Il a déjà révolutionné deux industries – le commerce de détail et l’édition – et est l’un des leaders corporate les plus sympathiques, ce qui ne gâche rien.

(CC) jurvetson

Incidemment, le génie de Bezos s’est davantage exprimé mercredi dernier dans le nouveau navigateur Internet Silk – qui accélère radicalement la navigation sur Internet en partageant ses tâches entre la tablette et le cloud – que dans le Kindle Fire bien que ce fut ce dernier qui fit les gros titres. La vraie révolution présentée par Amazon est bien Silk et non Kindle Fire.

C’est humain que chacun cherche, peu après le retrait de Steve Jobs, à élire son successeur – “le roi est mort, vive le roi”. Mais il ne faut pas précipiter les choses et laisser les prétendants mûrir. Aujourd’hui, Jeff Bezos est certainement le plus sérieux postulant au rôle de gourou mondial de l’industrie IT.

Mais ce qui me gêne dans les analyses consécutives à la présentation du Kindle Fire est que les commentateurs mettent d’abord en avant la communication de Jeff Bezos pour le comparer à Steve Jobs avant d’évoquer les autres éléments (stratégie, culture, management, opérationnel, passion) auxquelles je faisais référence plus haut. Or ce qui rapproche le plus Bezos de Jobs réside précisément dans ces éléments – qui font probablement de Bezos le plus grand dirigeant d’entreprise au monde en exercice – davantage que la communication, domaine où Bezos a encore des progrès à faire.

Pourquoi Bezos a-t-il à mon sens des progrès à faire en termes de communication ? Pour deux raisons :

• lors de sa présentation du Kindle Fire, il a trop cherché à imiter Steve Jobs : même scénographie, même articulation de la présentation, même style de slides, même élocution, etc. C’est regrettable car Bezos est suffisamment génial par lui-même pour s’exprimer avec sa propre personnalité et avec le style propre à Amazon plutôt que de copier ceux d’Apple et Steve Jobs. Lorsqu’un génie en copie un autre, c’est soit un hommage, soit une perte d’identité. J’ai trop d’admiration et de respect pour Bezos pour me satisfaire d’une imitation lorsque le Bezos original pourrait par lui-même et dans son propre style être aussi impressionnant que Jobs ;
• en outre, l’imitation de Steve Jobs réalisée par Jeff Bezos a pêché par plusieurs aspects : il récitait trop, n’ayant pas encore l’aisance de Jobs pour réciter sans avoir l’air de réciter, il regardait trop ses écrans de contrôle perdant ainsi trop souvent le contact visuel avec son public, il gérait mal ses silences (qui étaient trop longs et pendant lesquels il était trop emprunté) et il était moins fluide que Jobs. En outre, deux autres facteurs expliquent que la performance de Bezos soit moins brillante que celles du co-fondateur d’Apple : ce dernier perfectionne son style de présentation depuis plus de vingt ans et son charisme était également fondé, ces derniers temps, sur son état de santé – qui faisait de chacune de ses apparitions un événement d’autant plus grand que c’était peut-être la dernière.

Paradoxalement, il faut donc que Steve Bezos redevienne Jeff pour être vraiment le successeur de Jobs.