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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Superception célèbre ses deux ans avec une interview exclusive du PDG de Starbucks

De l’importance des valeurs dans le succès d’une entreprise – qu’elle soit en croissance ou en crise.

Pour le 892ème article de mon blog qui fête aujourd’hui ses deux ans, je vous propose la traduction de l’interview d’Howard Schultz, PDG de Starbucks, que j’ai réalisée il y a trois semaines au Siège du Groupe à Seattle dans l’optique de la présentation des valeurs de DCNS.

Le Siège de Starbucks à Seattle – (CC) Christophe Lachnitt

Starbucks est l’une des réussites entrepreneuriales les plus marquantes de ces trente dernières années. Premier membre de sa famille à étudier à l’université, Howard Schultz rejoint en 1982 l’enseigne à Seattle alors qu’elle ne compte que quatre magasins de vente de grains de café. Schultz est convaincu que le fait de boire du café peut permettre aux gens de créer des communautés locales. Les dirigeants de Starbucks ne croyant pas en sa vision, il crée sa propre entreprise de bars à café. Il rachète Starbucks en 1987 et développe l’Entreprise autour de sa vision.

En 2000, Howard Schultz se retire de la direction générale de Starbucks – après avoir fait passer ses ventes de 1 million à 2 milliards de dollars en treize ans – pour se concentrer sur ses activités philanthropiques. Il reprend la tête de l’Entreprise en 2008 alors qu’elle est entrée dans une spirale négative du fait de ses propres erreurs. Il la recentre sur ses fondamentaux et la fait renouer avec le succès, multipliant depuis lors, malgré la crise économique, son résultat par plus de quatre et le cours de son action par plus de sept.

Aujourd’hui, Starbucks compte 18 000 magasins dans 62 pays – depuis 1987, la marque a en moyenne ouvert deux boutiques chaque jour. 70 millions de personnes visitent les établissements du Groupe chaque semaine, sensibles au credo d’Howard Schultz : “Starbucks n’est pas une entreprise de café qui sert des gens mais une entreprise humaine qui sert du café“.

Howard Schultz a été consacré homme d’affaires de l’année 2011 par le magazine FORTUNE. Il a également reçu de nombreuses distinctions pour ses actions dans les domaines de l’éthique, de la philanthropie et de l’éducation. Il y a quelques jours, FORTUNE a classé Starbucks cinquième entreprise la plus admirée au monde sur la base de son célèbre sondage réalisé auprès de dirigeants et d’administrateurs d’entreprises à travers la planète.

Dans le bureau d’Howard Schultz – (CC) Gina Woods

Interview exclusive de celui que j’appelle “le Steve Jobs de la grande consommation”.

Pourquoi attachez-vous autant d’importance aux valeurs dans le management de Starbucks ?

Nous sommes convaincus chez Starbucks que, si notre mission est d’excéder les attentes de nos clients, alors nous devons d’abord excéder les attentes de nos collaborateurs. Naturellement, la question est : comment faire ?

Je suis arrivé à la conclusion, au fil des années, que les gens veulent travailler pour une entreprise à laquelle ils croient. Ils veulent faire partie de quelque chose de plus grand qu’eux. Nous vivons aujourd’hui dans un monde caractérisé par une rupture de confiance avec beaucoup d’organisations : les gouvernements, les banques et, malheureusement, les entreprises. L’enjeu est donc de bâtir sur la durée, à force d’authenticité et de vérité, une entreprise qui bénéficie d’un réservoir de confiance intégré à son activité.

Cette confiance ne doit pas se limiter à la responsabilité sociale de l’entreprise ; elle doit concerner toutes les dimensions de l’entreprise, ce à quoi elle croit et comment elle agit. La responsabilité sociale d’une entreprise et ses valeurs ne peuvent pas être des annexes de son métier. Elles doivent faire partie intégrante de toutes les composantes de son métier. En fait, elles constituent le cœur de son métier.

Nous sommes souvent complimentés pour la qualité de notre stratégie marketing, ce qui me fait sourire : en effet, nous investissons davantage dans la formation de nos collaborateurs que dans le marketing. Pour une marque grand public, nous faisons par exemple excessivement peu de publicité. L’aura de la marque s’est créée d’une manière très inhabituelle : par la qualité des relations humaines dans nos magasins. Les gens recherchent cette humanité. Or cette connexion émotionnelle est au coeur de nos valeurs.

Les valeurs constituent un vecteur majeur de sens pour les collaborateurs et les parties prenantes d’une entreprise. Quel est votre point de vue à cet égard ?

Nous ne sommes pas une entreprise parfaite ; nous commettons des erreurs comme tous les groupes. Cependant, il est un aspect de notre fonctionnement qui est essentiel à mes yeux : notre organisation est focalisée sur la performance mais nous manageons cette quête de performance à travers une approche humaine. C’est un équilibre très fragile.

De nos jours, je ne pense pas que l’on puisse bâtir une entreprise remarquable et durable en ne s’intéressant qu’à la performance, à la génération de profit et au rendement des actionnaires. C’est un objectif superficiel qui n’inspire pas la loyauté et la fierté des collaborateurs sur la durée. Désormais, pour construire une entreprise de premier plan, il faut équilibrer la recherche de la performance et l’attention quotidienne au ressenti des gens non seulement sur leur travail, mais aussi sur les conditions de leur travail et sur leurs relations entre eux.

Ce qui compte n’est pas ce que nous faisons mais pourquoi nous le faisons. Ce sens doit imprégner la culture de toute l’entreprise. Les leaders et les managers doivent communiquer ce que les collaborateurs de l’Entreprise ont à gagner à sa réussite. Le succès qui ne bénéficie qu’à quelques personnes est vain et pas durable. Dès lors, les valeurs de cette entreprise sont factices.

Dans Onward: How Starbucks Fought for Its Life without Losing Its Soul, vous citez Albert Camus : “la vie est la somme de tous vos choix”. Quels choix majeurs avez-vous effectués pour faire vivre les valeurs de Starbucks ?

Starbucks a été introduit en Bourse en 1992. Deux ans auparavant, nous avons mis en place deux avantages uniques pour nos collaborateurs qui sont devenus les symboles des valeurs de Starbucks en matière de partage du succès. Aux Etats-Unis, à l’époque, à la différence de ce que vous connaissez en France, le gouvernement ne fournissait pas d’assurance-maladie aux citoyens. Starbucks fut la première entreprise de l’industrie américaine de la grande consommation à fournir une assurance-maladie gratuite à l’ensemble de ses collaborateurs, y compris ceux à temps partiel.

Parallèlement, nous créâmes un programme de stock-options pour tous nos collaborateurs, y compris, encore une fois, ceux à temps partiel. Chaque collaborateur de l’Entreprise en détient une parcelle. L’an dernier, plus de 250 millions de dollars de gains financiers sur leurs stock-options furent versés aux collaborateurs de Starbucks – j’exclus là les dirigeants du Groupe.

Et pourtant, si vous demandez à nos collaborateurs quels sont les meilleurs bénéfices offerts par Starbucks, je ne crois pas qu’ils évoqueront ces deux aspects de nature financière. Je suis convaincu qu’ils mentionneront les relations qui les lient entre eux ainsi que leur fierté de porter notre logo et d’incarner notre marque.

Comment concrétisez-vous les valeurs de Starbucks au quotidien ?

Je vais vous donner trois exemples.

La première concrétisation de nos valeurs est la transparence à 100% que nous mettons en oeuvre dans tous les domaines : ce que nous faisons, comment nous le faisons et quels sont nos problèmes. Avec le temps, les dirigeants d’entreprise ont eu une certaine tendance à ne pas partager l’information par peur que les gens ne puissent pas supporter et comprendre la vérité et que celle-ci soit utilisée contre l’entreprise. Nous avons complètement inversé cette logique. Chaque trimestre, nous organisons à travers le monde ce que nous appelons des forums ouverts. Les leaders font face à l’ensemble de leurs collaborateurs respectifs et présentent les résultats du trimestre écoulé pendant seulement 5 à 10 minutes. Puis le dialogue s’ouvre pour que les employés puissent exprimer leurs commentaires, leurs inquiétudes et même leurs doléances. Nous avons alors une discussion libre sur les défis et les enjeux du moment.

Un autre exemple d’application concrète de nos valeurs concerne le comportement de nos managers au quotidien. La majorité des leaders, spécialement les hommes, ont du mal à montrer leur vulnérabilité. Or je pense que c’est davantage une force qu’une faiblesse, en particulier lorsque vous voulez bâtir une entreprise dont les valeurs sont fondées sur la vérité, la transparence et l’authenticité. C’est pourquoi j’encourage les gens, y compris moi-même, à montrer leurs réelles émotions tout en créant un environnement très aspirationnel.

Un troisième exemple a trait au fait que le succès prend toute sa dimension lorsqu’il est partagé. L’égoïsme n’est pas une qualité positive en matière de leadership. Nous voulons créer l’entreprise la plus respectée et la plus admirée au monde et nous voulons doubler de taille. Nous voulons également contribuer au bien-être des communautés que nous servons. Le profit que nous générons n’est pas destiné uniquement à gagner de l’argent ; il doit également être partagé.

Dans le bureau d’Howard Schultz… et dire que je ne bois pas de café ! – (CC) Gina Woods

Starbucks n’est pas une entreprise de haute technologie et, pourtant, vous innovez beaucoup. Quelle est votre démarche dans ce domaine ?

Le devoir de Starbucks, comme le mien, est d’innover constamment au service de nos collaborateurs autant que nous le faisons pour nos clients. Arrêtons-nous quelques instants sur ce point.

En 2006 et 2007, Starbucks a connu des difficultés parce que nous avons commencé à nous croire invincibles. Nous avons perdu le sens de la mesure et avons fait preuve de suffisance. Aux yeux du management de l’époque, innover consistait à décliner l’offre de produits ou services de Starbucks. Ce n’est pas l’innovation. Innover, c’est opérer des ruptures sur un marché. L’ADN entrepreneurial d’une société innovante se mesure à la capacité d’accomplir des choses que ses concurrents n’ont pas anticipées et au courage de prendre des paris audacieux.

Aujourd’hui, il est crucial de maintenir un très haut niveau de curiosité et de créer un environnement propice à la prise de risques pour remettre en cause le statu quo. Vous devez prendre des risques sans mettre l’existence de l’entreprise en jeu. Vous pouvez même échouer, à condition d’échouer rapidement, d’en tirer des leçons et de passer à autre chose. In fine, c’est toujours l’excellence opérationnelle qui fait la différence. A mes yeux, manager son activité opérationnelle en vertu du statu quo est une garantie d’échec sur la durée.

Vous êtes un passionné de sport. Quel parallèle faites-vous entre sport et business ?

Il y a une statistique que je trouve fascinante.

Si vous considérez tous les sports collectifs à travers le monde, seulement 11% des équipes qui ont remporté leur championnat l’an dernier le gagneront de nouveau cette année. 89% des équipes championnes l’an dernier ne le seront pas cette année.

Pourquoi ? La réponse ne tient pas au talent, mais à la motivation, de ces équipes. Vous n’avez pas aussi faim, vous commencez à vous sentir invincibles, à penser que vous avez des droits, à devenir égoïstes et à perdre la notion qu’une équipe doit, plus que tout, être altruiste.

Or le business est un sport d’équipe. C’est l’équipe qui doit gagner, l’équipe qui doit être la vedette, l’équipe qui doit être motivée. Et il faut qu’elle se demande en permanence ce qu’elle doit faire pour gagner, pour être une grande équipe. Qu’est-ce qu’une grande équipe ? Pour être une grande équipe, il ne faut pas gagner seulement un championnat. La grandeur, c’est gagner année après année après année. Et partager les gains de ces succès à travers toute l’organisation.

Comment traduisez-vous vos valeurs en performance ?

Sans valeurs, Starbucks aurait-elle autant de succès en termes financiers ? Nous avons aujourd’hui une capitalisation boursière de 42 milliards de dollars et réalisons un chiffre d’affaires de 14 milliards. Je n’ai pas le moindre doute que notre performance financière ne serait pas aussi bonne sans les valeurs, la culture et les principes directeurs que j’ai évoqués. Comment puis-je soutenir ce que j’avance ?

Je crois que l’élément le plus difficile, pour réussir, est d’attirer et de garder au sein de l’entreprise des personnes de grande qualité et de développer la culture et l’esprit de corps qui vont avec l’environnement que vous voulez promouvoir, pas seulement au sein de votre entreprise mais aussi au sein de votre famille. Nos valeurs ne sont pas la propriété exclusive de Starbucks. Par contre, leur application l’est peut être.

Je ne pense pas que vous puissiez attirer et garder des personnes de grande qualité si l’entreprise n’incarne pas une raison d’être et une mission cohérentes avec celles des gens. Je ne crois pas davantage que le succès financier d’une entreprise puisse se perpétuer si ses collaborateurs ne croient pas à ses valeurs. Cela peut fonctionner un moment mais cela ne durera pas.

Vous expliquez, toujours dans Onward: How Starbucks Fought for Its Life without Losing Its Soul, avoir redressé Starbucks lors de votre retour à la tête de l’Entreprise en la ramenant à ses fondamentaux, c’est-à-dire à ses valeurs. Quels furent les ressorts de ce rétablissement ?

Starbucks avait commis des erreurs et était aussi affecté par la récession de 2006-2007. J’ai repris la tête de l’Entreprise en 2008. J’ai alors découvert, ce qui était très triste, que nous mesurions et récompensions selon de mauvais critères. Ce n’est pas qu’il y avait de mauvaises personnes au sein de l’Entreprise. Je ne crois d’ailleurs pas que les gens se lèvent le matin en se disant qu’ils vont accomplir de mauvaises actions. En revanche, le comportement humain est très délicat.

Au fil du temps, le management s’était concentré sur la performance financière et le profit qu’il estimait être les objectifs prioritaires de Starbucks. En très peu de temps, il avait occulté pourquoi nous faisons ce que nous faisons. Les valeurs de l’Entreprise étaient subordonnées à la performance financière et au profit. Vous pouvez fonctionner ainsi sur le court terme mais cela ne marchera jamais sur la durée.

Lorsque je suis revenu, j’ai dû faire revivre le patrimoine et la tradition de Starbucks. J’ai réaffirmé ma conviction que nous pouvons générer davantage de profits, et le faire de manière plus durable, si nous lions et équilibrons cet objectif avec les valeurs de l’Entreprise. Nous avons très rapidement arrêté de mesurer et récompenser selon de mauvais critères. Nous privilégions depuis lors la mesure et la récompense des éléments qui produisent la fierté dans la marque, dans la relation client et dans les valeurs auxquelles l’Entreprise croit.

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