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Toute vérité n'est que perception

Qu’est-ce qu’un journaliste ?

Je crains que les partisans d’un journalisme plus élastique ne portent un double coup à cette profession essentielle à toute démocratie.

La relation entre l’Etat et les citoyens n’est pas le seul débat remis au goût du jour par l’affaire des fuites organisées par Edward Snowden sur la surveillance d’Internet par le gouvernement américain (lire ici). L’autre contention du moment concerne la définition du métier de journaliste en raison du rôle joué par Glenn Greenwald, un avocat, activiste, blogueur et éditorialiste qui a recueilli les confidences et documents de Snowden pour The Guardian.

Qu’est-ce qu’un journaliste ?” se demandent tous les acteurs et observateurs de cette affaire. C’est une question que j’ai déjà abordée sur Superception, en particulier à propos de Bradley Manning et WikiLeaks (lire notamment ici et ici) et du procès intenté par Apple – à l’instigation de Steve Jobs – à un blogueur (lire ici). Mais les passionnantes discussions en cours depuis deux semaines me donnent l’occasion d’approfondir ma réflexion à ce sujet.

Ainsi que je l’ai déjà expliqué dans les articles précités, la définition du journalisme n’a pas seulement des visées honorifiques ou corporatistes. Elle induit également des conséquences juridiques car les journalistes sont couverts, notamment aux Etats-Unis, par des principes constitutionnels (premier amendement) et des lois qui protègent leur liberté d’expression et le secret de leurs sources et ils sont soumis à une éthique qui doit nous protéger, lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et internautes, contre d’éventuelles manipulations de la vérité.

Glenn Greenwald - (CC) Gage Skidmore

Glenn Greenwald – (CC) Gage Skidmore

A mon sens, au-delà du mépris qu’affichent certains journalistes à l’égard de Glenn Greenwald – qui le leur rend bien – et d’autres blogueurs, cette composante juridique doit déterminer les conclusions du débat. Un blogueur, un activiste et un citoyen-journaliste ne sont pas à proprement parler des journalistes. Ils ne sont pas soumis à la même éthique que les journalistes et ne sont pas protégés par les mêmes dispositions légales.

La tendance chez les professeurs et spécialistes de journalisme américains (Dan Gillmor, Mathew Ingram, Jeff Jarvis, Jay Rosen…) est aujourd’hui, pour résumer, de considérer que le journalisme n’est plus un métier mais une activité, c’est-à-dire qu’on peut faire du journalisme sans être journaliste et que tous ceux qui exercent cette activité – qu’ils soient activistes, blogueurs ou simplement citoyens témoins d’un événement – doivent être couverts par les mêmes lois que les journalistes professionnels.

Malgré tout le respect que j’ai pour ces grands penseurs qui m’influencent depuis des années, j’avoue – avec une forme d’embarras étant donnée mon infime compétence par rapport à eux – que je ne suis pas d’accord avec leur approche.

Certes, comme plusieurs de ces observateurs l’ont fait remarquer ces derniers jours (lire par exemple ici), certains individus perçus comme de grands journalistes ont mis au jour beaucoup moins d’informations originales que certains blogueurs ou citoyens qui n’ont pas le droit au titre de journaliste. Mais je ne pense pas que ce soit là l’essentiel. Pis, je considère même que cette doctrine – que je qualifie de “journalisme élastique” – représente une double menace pour le journalisme.

En premier lieu, elle réduit son champ de compétences à la seule relation de l’actualité alors que la profession journalistique doit aussi passer par une rigoureuse éthique : le compte-rendu le plus honnête possible des faits, l’évitement de toute confusion entre relation factuelle et opinion, la parole accordée équitablement à toutes les parties concernées par un dossier, le respect des sources, la prise en compte des conséquences de ses actes… Ma conviction est que cette éthique fait partie intégrante de la compétence journalistique. Or il me semble très naïf de penser qu’elle est appliquée par tous ceux qui sont aujourd’hui honorés du titre de journaliste parce qu’ils rendent compte, d’une manière ou d’une autre, d’un fait d’actualité. C’est pourquoi, par exemple, la mise en danger par WikiLeaks d’informateurs du gouvernement américain en Afghanistan et en Irak et sa manipulation de la vidéo d’une attaque aérienne sur Baghdad pour mettre en cause l’armée américaine (lire ici) m’empêchent de considérer sa pratique comme journalistique. L’activisme est éminemment respectable mais il ne relève pas du journalisme.

Il est évident que certains journalistes amateurs sont éclairés. Mais cela ne signifie pas qu’ils le soient tous. Il est tout aussi évident que tous les journalistes professionnels ne sont pas aussi rigoureux, en matière d’éthique, qu’ils le devraient. Mais, au moins, encourent-ils des risques professionnels (perte de leur crédibilité et, dans le pire des cas, de leur emploi), certes insuffisamment matérialisés, auxquels les journalistes amateurs ne sont pas exposés.

En second lieu, la doctrine du “journalisme élastique” menace à terme les protections juridiques dont bénéficient les journalistes professionnels. En effet, à ne plus vouloir faire la différence entre journalisme professionnel et journalisme amateur, on risque de fournir à certains Etats l’excuse qu’ils attendent pour réduire le champ des garanties dont disposent aujourd’hui les journalistes et les médias.

En voulant protéger la liberté de la presse, on risque ainsi de la mettre à mal. Si plus rien, en effet, ne distingue un journaliste d’un citoyen, plus rien ne doit protéger particulièrement un journaliste. Or la liberté de la presse est le premier rempart contre l’étiolement de la démocratie : elle doit être défendue envers et contre tout et cette défense passe par la sanctuarisation de la profession journalistique.

Ainsi, en voulant défendre le journalisme, il me semble que les partisans du “journalisme élastique” lui portent un double coup en réduisant son champ de compétences et ses droits à la portion congrue.

Un commentaire sur “Qu’est-ce qu’un journaliste ?”

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Je partage votre opinion. Je souligne même la différence “juridique” qui existe entre un journaliste professionnel et un blogueur. Le journaliste travaille sous l’autorité du rédacteur en chef, au sein d’une rédaction, à qui il doit rendre des comptes. Son statut de salarié implique une relation de subordination. Ce qui n’est pas le cas du blogueur.
Dernièrement, j’ai donné un conférence sur “La vérité sur les clichés et les motivations des journalistes” dans un accélérateur de start-ups. L’une des choses qui est ressortie des débats avec les entrepreneurs est la suivante : ils pardonnent beaucoup plus à un blogueur d’être approximatif et pas du tout à un journaliste. Car le journaliste en tant que tel continue de véhiculer l’image d’un professionnel qui vérifie et recoupe ses sources.

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