BuzzFeed : des gifs animés de chats au journalisme de qualité

Le site de partage de contenus aurait-il finalement une valeur citoyenne ?

Jonah Peretti, fondateur et patron de BuzzFeed, a adressé il y a quelques jours un long mémo à ses 300 collaborateurs et l’a mis en ligne sur LinkedIn.

Ce document permet de prendre conscience des progrès accomplis par le site et de ses ambitions. La tendance la plus intéressante dans le développement de BuzzFeed est son évolution de contenus de pur divertissement – tels que les gifs animés et les listes qui l’ont rendu célèbre – vers un journalisme de qualité. Cette mutation, que j’ai déjà évoquée sur Superception à plusieurs reprises (lire ici, ici, ici et ici), prend de plus en plus d’importance et devient une menace croissante pour les autres médias (numériques comme traditionnels) qui ont moins de succès et donc moins de ressources.

Ainsi que Jonah Peretti l’explique dans son mémo, BuzzFeed est aujourd’hui profitable et croît à grande vitesse :

• fréquentation record de 85 millions de visiteurs uniques en août aux Etats-Unis, soit trois plus qu’il y a un an et huit fois plus qu’il y a deux ans. Ce trafic se compare très avantageusement à ceux de Twitter (91 millions) et Amazon (77 millions). Peretti affirme que BuzzFeed devrait être l’un des sites les plus fréquentés du web dans un an ;
• trafic de 100 millions de visites depuis des mobiles sur son site et ses applications ;
• sa chaîne sur YouTube compte 2 millions d’abonnés et 50 millions de vues mensuelles ;
• last but not least, l’Entreprise devrait doubler le nombre annuel de ses programmes de contenu sponsorisé : de 265 en 2012 à 600-700 cette année avec la moitié des 100 plus grandes marques américaines. Ces programmes sont la source de la profitabilité du site mais ils requièrent un travail significatif de ses équipes pour transformer les messages publicitaires des annonceurs en “faux” contenus. Incidemment, la maîtrise de ce travail à grande échelle représentera un enjeu pour sa croissance.

Jonah Peretti – (CC) TechCrunch

Le succès de BuzzFeed permet à Peretti d’investir dans deux types de journalisme : la relation de l’actualité en temps réel et l’investigation. Il continue de recruter des journalistes dans cette optique. C’est une stratégie assez rare dans l’univers médiatique actuel pour être soulignée. Peretti nourrit d’ailleurs l’ambition que BuzzFeed rivalise assez rapidement avec les grands groupes de médias.

A cet égard, il souligne dans son mémo que “le seul contenu généré par les utilisateurs ne suffit pas à combler le déficit d’information créé par le déclin des journaux et magazines“. C’est une affirmation des plus paradoxales – et des plus remarquables – de la part de celui qui est considéré comme le maître du contenu social viral.

Il estime que “le monde a besoin de fournisseurs de contenus durables, profitables et dynamiques animés par des professionnels qui développent des contenus destinés aux jeunes gens qui ont grandi sur le web et dont les centres d’intérêt en matière d’actualité et de divertissement sont largement négligés par la télévision et les journaux“. Il s’agit certainement autant d’une conviction citoyenne pour Peretti que d’un positionnement marketing pour BuzzFeed.

Mais, sincère ou opportuniste, cette ambition est bienvenue pour le monde des médias et de l’information en général. Ainsi que je le répète à l’envi, le rôle de la presse est de produire du journalisme, pas du papier. Il se trouve que les contenus journalistiques n’ont été diffusés que sur papier pendant près de six siècles, ce qui a influencé la vision que nous en avons.

Mais le journalisme n’est pas dépendant du support sur lequel il est accessible. C’est pourquoi il ne faut, à mon sens, faire preuve d’aucun snobisme ou élitisme vis-à-vis de BuzzFeed. Je n’ai personnellement aucun problème à ce qu’une relation pertinente de l’actualité et des enquêtes de qualité cohabitent avec des gifs animés et des listes futiles, et ce d’autant moins si cette approche permet d’intéresser la nouvelle génération à la vie de la Cité.