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Toute vérité n'est que perception

Leçons de la débâcle d’une institution du journalisme américain

Le journalisme ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.

Le 27 octobre dernier, “60 Minutes“, l’émission d’investigation de CBS qui représente depuis 45 ans une référence du journalisme mondial, diffusa une enquête de Lara Logan sur l’attaque du consulat de Benghazi qui provoqua, le 11 septembre 2012, la mort de quatre Américains dont l’Ambassadeur Christopher Stevens (lire ici et ici).

Ce reportage reposait sur l’interview d’un sous-traitant du gouvernement américain, Dylan Davies, qui affirmait avoir assisté à l’attaque, avoir frappé un assaillant avec la crosse d’un fusil et avoir vu la dépouille de l’Ambassadeur dans un hôpital. Or il est très rapidement apparu que sa relation de l’attaque était une fable (voir ici la chronologie détaillée des révélations contredisant le reportage de CBS et des réactions de la chaîne).

Dès le lendemain de la diffusion de l’émission, Fox News rappela que Dylan Davies avait demandé à être payé pour un témoignage à l’antenne, ce que la chaîne conservatrice avait alors refusé, ne l’utilisant que comme source. Puis, The Washington Post expliqua que Davies avait remis à son employeur trois jours après l’assaut un compte-rendu écrit qui différait de la version racontée à Lara Logan : il n’était en fait pas au consulat lors de l’attaque. Dans la foulée, The New York Times révéla que Dylan Davies avait également donné au FBI une version différente de celle de CBS.

On ne peut que se demander comment Lara Logan, qui affirme que le reportage diffusé le 27 octobre est le résultat d’une enquête d’une année, n’a pas mis à profit cette période pour vérifier la crédibilité de sa principale source, vérification effectuée par ses confrères en trois jours.

Cerise sur le gâteau, on découvrit que Dylan Davies avait signé un livre sur le drame de Benghazi, ouvrage publié dans la foulée de la diffusion de “60 Minutes” par Simon & Schuster, une filiale de CBS. Cette révélation ajouta à ce maelström journalistique une question éthique dévastatrice pour “60 Minutes” : l’émission était-elle en service commandé pour promouvoir ce livre, lequel a depuis été retiré des ventes ?

Durant plusieurs longues journées, CBS réagit à chacune de ces révélations en maintenant la pertinence de son enquête et en refusant la moindre remise en cause de sa crédibilité. Finalement, lorsqu’il fut impossible de continuer de nier l’évidence, Lara Logan attribua en partie la critique dont elle est l’objet à la polarisation politique qui caractérise le débat autour de l’attaque du consulat Benghazi.

Cependant, CBS fut bien obligé, vendredi, de retirer toute mention du reportage de Lara Logan de son site Internet et du compte Twitter de “60 Minutes”. Et, hier soir, Lara Logan présenta des excuses pour le moins minimalistes – aussi bien dans leur durée que dans leur contenu – aux téléspectateurs de “60 Minutes” (voir la vidéo ci-dessus). En synthèse, elle expliqua que sa source lui avait menti et ne remit pas en cause son propre travail.

Je tire trois leçons de cet épisode :

  • le journalisme professionnel est notamment soumis aux assauts des reporters amateurs et des sites web qui reprennent ou effectuent la curation (sélection et mise en ligne de contenus existants) des informations dont il rend compte. Son seul espoir de survie réside dans sa capacité à prouver sa valeur ajoutée par rapport à ces concurrents gratuits. C’est pourquoi, alors que nombre de journalistes se moquent des libertés prises avec les faits et des rumeurs propagées sur les réseaux sociaux, le comportement de CBS lors de cette enquête et de la crise consécutive, ne constitue pas seulement une atteinte à la réputation de “60 Minutes” mais un affront à la profession journalistique toute entière. Si, en effet, le programme d’investigation le plus réputé des Etats-Unis se comporte comme un blog de quatrième zone, quel organe journalistique demeure encore crédible ?
  • comme l’a noté Hullabaloo, Lara Logan avait exprimé en octobre 2012 ses vues personnelles sur l’attaque du consulat, prônant une opération de vengeance contre ses auteurs (voir la vidéo ci-dessus). Ainsi que je l’ai déjà expliqué sur Superception (lire notamment ici), je considère que l’expression de leurs opinions par les journalistes relève d’un double principe de réalisme (il n’existe pas d’individu totalement objectif) et de transparence (savoir ce qu’un journaliste pense aide à mieux comprendre son travail). Le problème avec Lara Logan est qu’elle n’a pas exprimé cette opinion à l’antenne mais lors d’une conférence réservée à des happy few et qu’elle ne l’a ensuite jamais mentionnée une fois la viduité de son enquête révélée, et ce alors même que sa déficience journalistique faisait pencher son reportage dans le sens de son opinion personnelle ;
  • ce n’est pas parce que le journalisme est l’un des piliers les plus essentiels à l’hygiène démocratique qu’il doit opérer dans un univers parallèle. Les journalistes sont les premiers – à juste raison car c’est l’une de leurs missions fondamentales – à demander des comptes aux responsables politiques et économiques. Malheureusement, ils sont aussi souvent les derniers à accepter de rendre des comptes sur leurs activités. A cet égard, on ne sait ce qui est le plus déplorable, de l’errance journalistique qui a caractérisé l’enquête de Lara Logan et de son équipe, de l’attitude de CBS durant les deux dernières semaines – faite de certitude arrogante – ou du discours de la journaliste à l’antenne mettant en exergue le mensonge de sa source sans expliquer que c’est précisément le B-A-BA de son métier (i) de vérifier la pertinence de chacune de ses sources, (ii) de ne pas se fier à une seule source et (iii) de ne pas donner l’impression d’un conflit d’intérêt entre plusieurs entités de sa maison-mère ou entre son reportage et ses convictions. A cet égard, la meilleure manière pour la première émission d’investigation journalistique du monde de maintenir sa crédibilité serait de lancer ses meilleurs enquêteurs au sein de sa propre rédaction pour expliquer à ses téléspectateurs comment un tel fiasco a pu se produire et de prendre les mesures idoines pour qu’il ne se reproduise pas.

Le journalisme, en effet, ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.

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