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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

La publicité est-elle le bon modèle de monétisation pour la presse ?

C’est la question que pose l’interview accordée par Tom Standage, directeur adjoint de la publication de The Economist, à la Fondation Nieman pour le journalisme de l’Université de Harvard.

Il y explique :

“The Economist considère que la publicité est un modèle intéressant, et nous en tirerons parti autant que possible, mais nous nous attendons à ce qu’elle disparaisse.

C’est pourquoi nous nous orientons vers le leadership intellectuel (sponsoring de conférences, livres blancs, publicités en ligne…). Ces vecteurs, qui ne passent pas par des annonces publicitaires classiques, permettent aux annonceurs d’être associés à des thématiques qui leur correspondent.  

Nous n’avons pas non plus recours à la publicité native car nous ne voulons pas réaliser d’actions publicitaires depuis notre système de gestion de contenus (CMS). C’est la ligne blanche que nous ne franchirons pas.

De fait, la majorité de nos revenus proviennent des abonnements, ce qui a d’ailleurs toujours été le cas. La part de notre chiffre d’affaires générée par les abonnements augmente et devrait continuer de progresser dans le futur. 

Je pense que c’est un modèle économique viable. Les gens semblent prêts à payer pour notre travail journalistique et le nombre de nos abonnés numériques croît de manière satisfaisante.

Je dois ajouter que, contrairement à beaucoup d’autres publications, nous n’essayons pas de pousser nos abonnés papier vers nos abonnements numériques. Nos lecteurs peuvent payer pour une édition papier si c’est ce qu’ils souhaitent et/ou pour une édition numérique si c’est ce qu’ils préfèrent. Comme nous le disons parfois, le papier est juste un autre équipement. 

D’ailleurs, beaucoup de nos abonnés numériques sont également abonnés à notre édition papier. Donc notre nombre d’abonnés exclusivement numériques ne représente pas une part très importante de notre diffusion totale. Ce qui compte, et le métrique où nous nous distinguons, est le nombre d’abonnés qui paient pour une forme ou une autre de diffusion numérique de nos contenus.

Nous ne divisons pas le monde entre papier et numérique comme nos concurrents et cela peut donner l’idée trompeuse que nous sommes moins actifs qu’eux sur les vecteurs numériques.

Au final, je suis très content de notre positionnement qui ne dépend pas de la publicité. Cette dernière constitue un terrain glissant à mes yeux”.

Le Siège de The Economist à Londres - (CC) Steve Jurvetson

Le Siège de The Economist à Londres – (CC) Steve Jurvetson

Les propos de Tom Standage appellent les commentaires suivants de ma part.

En premier lieu, son approche de la publicité repose sur (i) un positionnement très haut de gamme – quant aux contenus de The Economist comme au public qu’il vise – qui favorise la priorité accordée aux abonnements et (ii) une grande exigence éthique qui le conduit à rejeter la publicité native.

Ce refus impose d’ailleurs de facto au magazine une stratégie fondée sur les abonnements. En effet, la publicité native semble devenir la pratique marketing la plus, voire la seule, rentable pour les médias sur les mobiles où les usages numériques continuent de migrer à grande vitesse.

C’est pourquoi Standage prédit la disparition de la publicité, ce qu’il faut comprendre au sens de publicité traditionnelle, c’est-à-dire les placards apposés dans la presse papier et sur les sites web des groupes de presse.

C’est aussi la raison pour laquelle, comme je l’ai déjà expliqué sur Superception, la publicité native s’impose dans un nombre croissant de groupes de presse malgré les défis déontologiques qu’elle crée. Si les évolutions en cours se poursuivent et qu’aucune autre innovation ne se fait jour (ce qui serait étonnant), la publicité native pourrait devenir dans quelques années la seule alternative, en matière de monétisation, aux abonnements. Ce serait alors le triomphe des modèles respectifs de BuzzFeed et Netflix, deux des plus grands innovateurs actuels dans la production et la diffusion de contenus.

En deuxième lieu, le fait de fonder sa stratégie sur les abonnements confère naturellement une perspective différente à l’opposition entre papier et numérique qui caractérise la réflexion stratégique de l’écrasante majorité des groupes de presse.

Comme le relève Standage et comme je l’avais déjà évoqué sur Superception à propos de la mutation du Financial Times, l’édition papier de The Economist ne représente pas un service périmé mais un produit de luxe pour la frange de ses lecteurs qui y sont attachés.

C’est une approche viable à condition que les restructurations opérationnelles nécessaires aient été accomplies pour réduire les coûts de fabrication et diffusion de ladite édition papier, ce qui est plus aisé pour l’éditeur d’un magazine hebdomadaire que pour celui d’un journal quotidien.

Last but not least, le parallèle que je fais ici entre les stratégies respectives de The Economist et du Financial Times impose une question : même s’il est moins radicalement déployé par le quotidien de la City, le modèle de monétisation par abonnements n’est-il pertinent que pour les organes de presse de niche ?

Ceux-ci présentent en effet deux caractéristiques qui favorisent cette stratégie :

  • des contenus plus spécialisés qui suscitent une fidélité plus grande de la part de leurs lecteurs ;
  • un positionnement de marque plus identifiable lui aussi plus propice à une relation plus loyale avec leurs clients.

Ces deux caractéristiques peuvent se retrouver chez d’autres producteurs de contenus bénéficiant d’une identité forte, que celle-ci relève d’un positionnement politique (à l’instar du média individuel du commentateur conservateur Glenn Beck), de la couverture d’un secteur industriel ou d’une zone géographique spécifique (à l’exemple du site The Information consacré à l’industrie des nouvelles technologies que je vous avais présenté ici) ou d’un ton reconnaissable (comme la lettre d’information quotidienne de Ben Thompson)*.

Mais l’abonnement est une formule beaucoup plus compliquée pour un média généraliste car une partie significative des contenus qu’il propose se retrouve peu ou prou chez ses concurrents.

La leçon, pour les médias, est simple : à l’ère de la surinformation, il faut plus que jamais s’exprimer différemment des autres pour se faire entendre.

* C’est aussi la logique qui explique l’équilibre financier de Mediapart en France.

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