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Toute vérité n'est que perception

La colère est vraiment mauvaise conseillère

La campagne pour les primaires républicaines à la Maison-Blanche a été marquée cette semaine par les deux premiers débats qui ont vu s’opposer les dix-sept prétendants.

Incidemment, avant d’en venir à mon sujet du jour, laissez-moi souligner combien cette pléthore de candidats, malgré les inconvénients qu’elle induit, illustre le dynamisme et la capacité de renouvellement de la Société et de la démocratie américaines.

Parmi ces dix-sept candidats, en effet, seulement cinq ont déjà postulé – une fois sans succès – à l’investiture républicaine. Ce panel compte neuf gouverneurs, cinq sénateurs et trois représentants de la société civile : le roi de l’immobilier Donald Trump, le neurochirurgien Ben Carson (dont l’histoire personnelle, si elle était racontée par un film d’Hollywood, serait considérée par les critiques comme exagérée tant elle est incroyable) et Carly Fiorina, l’ancienne PDG de Hewlett-Packard qui a réalisé la meilleure prestation lors des deux débats de jeudi soir.

J’ai déjà évoqué il y a quelques jours, à l’occasion de ses premières déclarations scandaleuses, ce qu’incarne et représente la candidature de Donald Trump :

Celui dont la mèche est aussi célèbre outre-Atlantique que le séant de Kim Kardashian est bien un phénomène politique au sens où il incarne un courant d’opinion de plus en plus actif dans ce pays comme dans d’autres : le rejet de ‘l’établissement’, pilorié pour son incompétence et, peut-être plus encore, son inauthenticité.

Ce rejet revêt des couleurs politiques différentes en Europe (Espagne, France, Grèce, Italie…) et aux Etats-Unis mais la dynamique est partout comparable, aux spécificités culturelles locales près. A cet égard, ce rejet prend d’autant plus d’ampleur aux Etats-Unis que l’élection qui était promise depuis plusieurs mois aux citoyens devait voir s’opposer deux dynasties politiques incarnant jusqu’à la caricature ledit ‘établissement’ : les Clinton représentés par Hillary et les Bush représentés par Jeb (fils de George H.W. et frère de George W.)“.

Trump est arrivé au débat de jeudi soir en tête dans les sondages. Il a normalement fait l’objet des plus nombreuses questions et a d’ailleurs bénéficié d’un temps de parole de deux minutes supérieur à celui de son poursuivant (Jeb Bush).

Parmi ces questions, Megyn Kelly, la brillante et coriace journaliste vedette de Fox News – qui organisait et diffusait le débat – interrogea notamment le milliardaire aussi légitimement que pertinemment sur son comportement à l’égard des femmes et la réalité de ses convictions républicaines. Vous pouvez voir le premier de ces échanges ci-dessous :

Trump, qui ambitionne d’être élu à la Maison-Blanche et de devoir donc négocier avec des leaders aussi retors que Vladimir Poutine, se plaint depuis deux jours du traitement que lui infligèrent les trois journalistes de Fox News et, tout particulièrement, Megyn Kelly.

Il la prit pour cible devant les micros et sur Twitter dès la fin du débat, attaques qui culminèrent hier soir sur CNN lorsqu’il expliqua que Megyn Kelly était en période de menstruation lors du débat, ce qui explique sa prétendue agressivité. Je vous laisse regarder ci-dessous l’interview de Donald Trump à ce sujet, ce qui m’évitera de reproduire ses propos exacts :

Il est d’ailleurs édifiant de constater que les journalistes de Fox News, chaîne conservatrice, ont mis sur le grill lors des débats de jeudi tous les candidats républicains (et pas seulement Trump même s’il est le seul à se plaindre), alors que CNN, qui veut incarner la neutralité journalistique, fait montre à l’égard du roi de l’immobilier d’une complaisance parfaitement illustrée par l’interview reproduite ci-dessus.

Donald Trump, dont les pratiques managériales dictatoriales sont bien documentées, a probablement perdu l’habitude depuis des décennies d’être challengé. Or c’est la mission et l’honneur des journalistes que de se faire l’intermédiaire des citoyens pour mettre en question – voire parfois en cause – les individus qui prétendent à les gouverner.

Dans son comportement à ce sujet, Donald Trump fait étalage de son manque de culture démocratique. Dans ses réponses, il confond politiquement correct et décence. Il ne s’excusera pas car l’admission d’une erreur ne fait pas partie de son mode de fonctionnement, même lorsqu’il encourage la maltraitance contre les femmes.

Lorsque le leader – même temporaire – de l’un des deux grands partis politiques américains accuse une journaliste d’avoir ses règles parce qu’il considère ses questions comme indûment agressives, il est naturellement le premier coupable. Mais il n’est pas le seul. Le Parti républicain, ses concurrents et la presse le sont également :

  • le Parti républicain fait tout pour amadouer Trump afin d’éviter qu’il ne se présente en candidat indépendant à la Maison-Blanche, ce qui, si l’on se fonde sur l’exemple de Ross Perot en 1992, garantirait quasi assurément une défaite au héraut conservateur quel qu’il soit. Reince Priebus, le Président du Parti, a même été jusqu’à déclarer après le débat de jeudi que le refus de Trump, affirmé sur scène, de s’engager à soutenir le vainqueur de la primaire républicaine et à ne pas se présenter en indépendant, ne constituait pas un problème alors que c’est une épée de Damoclès sur le destin électoral du Parti. En l’occurrence, Donald Trump bénéficie de la langue de bois politique qu’il dénonce à longueur de journées. J’ai déjà évoqué sur Superception (lire notamment ici et ici) la tendance du Parti républicain à s’aliéner les minorités ethniques qui constitueront bientôt la majorité du peuple américain et, ainsi, à rendre ses candidats à la Maison-Blanche inéligibles. L’aliénation des femmes (53% du corps électoral) n’arrangerait rien ;
  • les concurrents de Trump, à quelques exceptions près (Carly Fiorina, Rand Paul et Rick Perry) se sont bien gardés de l’attaquer frontalement, trop effrayés qu’ils étaient par la perspective de ne pas se rallier ses fans une fois que sa candidature aurait implosé. Depuis ses déclarations à l’encontre de Megyn Kelly, ils sont plus nombreux (à l’exception notable de Ted Cruz) à le vilipender. J’explique toujours qu’une crise ne fait qu’empirer lorsqu’on ne la traite pas dès qu’elle éclate. La candidature de Donald Trump en est une nouvelle démonstration ;
  • les médias, enfin, ont vu en Donald Trump la poule aux oeufs d’or, un pourvoyeur d’audiences inégalable. Le succès du débat de jeudi soir entre les dix premiers candidats leur a d’ailleurs donné raison : il a été regardé par 24 millions de personnes contre 3 pour le débat équivalent de la primaire de 2011. Il s’agit de la meilleure audience de tous les temps pour une chaîne câblée outre-Atlantique, hors émissions sportives. Mais, en donnant tribune libre – en temps et en contenus – à l’entrepreneur, ils n’ont pas joué leur rôle de quatrième pouvoir, ainsi que l’illustre désolablement CNN.

In fine, cependant, ne nous voilons pas la face : le coupable ultime est le peuple américain ou, du moins, ses membres qui placent Trump en tête des sondages pour la primaire républicaine, qui l’applaudissent lorsqu’il refuse de s’engager à ne pas être candidat indépendant (contre leur propre intérêt !) et qui rient lorsqu’il fait montre de mépris misogyne à l’égard des femmes.

Cette faiblesse coupable à l’égard de Donald Trump se nourrit, ainsi que je l’expliquais ci-dessus, de la colère de cette frange du peuple américain contre ses élites politiques. On a l’impression que Donald Trump pourrait étouffer des chiots en direct à la télévision et qu’il serait encore pardonné par ses fans parce qu’il exprime leur rejet du “système”.

L’épisode Donald Trump nous prodigue à cet égard une riche leçon de perception : passée un certain niveau, la colère aveugle complètement ceux qui la ressentent, leur faisant perdre tout sens des réalités*. C’est un phénomène qui touche plus souvent le monde politique que l’univers corporate mais à l’égard duquel il convient cependant d’être vigilant en entreprise, notamment en matière de communication interne et de relations sociales.

Oui, en perception, la colère est vraiment mauvaise conseillère.

* C’est ainsi que des supportrices de Trump défendent ses remarques les plus sexistes.

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