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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Communication totale : Dell embrasse le web social

Je vous ai présenté hier le concept de communication totale afin d’adapter la théorie de la communication au nouvel environnement dans lequel celle-ci s’opère.

J’ai mis en exergue six révolutions induites par l’avènement de la communication totale, dont une qui concerne le rapport des collaborateurs à la perception de leur employeur sur ses marchés :

A l’époque de la communication globale, les collaborateurs qui n’étaient pas en contact direct avec les clients ne jouaient aucun rôle dans la stratégie marketing et commerciale de leur employeur. Et les clients étaient logiquement la cible prioritaire de la communication externe.

A l’ère de la communication totale, les collaborateurs parlent de leur employeur sur le web social en touchant un nombre considérable de ses parties prenantes : les collaborateurs disposent sur les réseaux sociaux d’une communauté dix fois plus grande en cumulé que celle de leur employeur et, alors que seulement 2% des collaborateurs partagent les contenus que leur organisation publie, ils génèrent 20% de leur engagement total.

La contribution des collaborateurs à la communication externe est d’autant plus importante que (i) ils sont plus crédibles que leur employeur (15% des gens seulement font confiance aux messages corporate publiés sur les réseaux sociaux contre 70% qui se fient aux opinions mises en ligne par leurs relations) et (ii) la connexion émotionnelle qu’ils ont avec leurs contacts numériques bénéficie à la marque qu’ils représentent.

Ce phénomène a deux conséquences.

En premier lieu, il est plus important que jamais que les collaborateurs maîtrisent et s’approprient les messages corporate de leur employeur ainsi que son offre de produits et/ou services afin de les évoquer pertinemment sur le web social. Le marketing va donc s’internaliser, de même que la mission des community managers, afin d’éduquer les collaborateurs qui seront demain les vrais community managers des marques sur le web social.

En outre, la communication interne devra plus que jamais donner du sens à l’activité des organisations en partageant leur vision, leur stratégie et leurs valeurs : ces contenus sont à la fois les plus gratifiants à partager pour les collaborateurs sur le web social et les plus générateurs d’adhésion. Cet enjeu est d’autant plus important que seulement 37% des collaborateurs
 ont une compréhension claire 
de la vision et des objectifs
 de leur organisation”.

Il est une entreprise qui applique ces principes et constitue aujourd’hui un cas d’étude passionnant lorsqu’il s’agit de faire passer des collaborateurs de spectateurs à acteurs de l’image de leur employeur : Dell.

Michael Dell, fondateur de l'entreprise éponyme - (CC) Oracle PR

Michael Dell, fondateur de l’entreprise éponyme – (CC) Oracle PR

Le Groupe créa sa première équipe dédiée aux réseaux sociaux dès 2006. Rappelons que, à l’époque, les pages d’entreprise n’existaient même pas sur Facebook (elles furent créées l’année suivante). Dell s’engagea donc sur le web social en expérimentant dans un environnement encore largement en friche d’un point de vue corporate.

Quelques mois plus tard, l’une de ses expérimentations provoqua de gros remous en interne où beaucoup de collaborateurs se demandèrent pourquoi la marque faisait sa contre-publicité. Trois jours après son lancement, en effet, le blog officiel de Dell, Direct2Dell, publia un lien vers l’article d’Engadget qui relatait l’explosion d’un ordinateur portable de la marque à Osaka (voir capture d’écran ci-dessous). Or la création du blog et cette initiative répondaient à la volonté de Michael Dell de voir son entreprise s’exprimer ouvertement sur Internet à propos des problèmes que les internautes et influenceurs évoquaient à son sujet.

Il faut dire que Michael Dell, revenu à la tête de l’entreprise éponyme en janvier 2007 après l’avoir laissée à l’un de ses lieutenants trois ans auparavant, avait professé lors de son retour que les réseaux sociaux correspondaient au modèle de vente et service direct du Groupe dans lequel l’écoute des clients et le dialogue avec eux constituent des valeurs cardinales.

(CC) Engadget

(CC) Engadget

Le lancement de Direct2Dell fut donc accompagné de plusieurs programmes visant à mettre l’Entreprise à l’écoute de ses clients sur Internet et à les y aider à résoudre leurs problèmes.

En 2007, Dell étendit son engagement sur les réseaux sociaux au-delà du service client en lançant IdeaStorm, l’un des premiers sites en crowdsourcing destinés à recueillir des idées pour façonner les futurs produits d’une marque. Le Groupe y demande à ses clients d’évaluer ses solutions et de lui donner leurs suggestions pour les améliorer afin de mieux répondre à leurs attentes. La communauté qui est active sur le site vote pour élire les meilleures idées qui sont alors analysées par Dell.

Ce type d’engagement illustre le credo de Karen Quintos, la directrice du marketing de Dell :

Les réseaux sociaux sont bien plus qu’un outil ; ils constituent une extension de notre marque“.

Comme elle l’explique,

L’utilisation des réseaux sociaux ne peut pas être une stratégie de complément. Elle doit être au coeur de la culture de l’Entreprise.

Ce ne peut pas être le deuxième travail des collaborateurs ou un élément auquel ils pensent une fois par semaine. Cela doit être intégré dans leur activité au quotidien“.

A l’origine, le retour sur investissement de cette approche était moins clair que les risques qu’elle induisait. Mais Dell plongea dans le grand bain du web social et son innovation dans ce domaine lui donna une longueur d’avance dans le développement de ses relations avec ses clients et de la confiance de ceux-ci à son égard. Dell apprit vite à ne pas distinguer l’utilisation des réseaux sociaux dans un objectif de positionnement de marque et dans un but de service client.

Comme le souligne encore Karen Quintos,

Au sein de Dell, nous considérons que notre marque est faite de chaque interaction que nous avons avec nos clients dans le cadre de notre approche marketing à 360 degrés, que ce soit lors d’un appel avec notre support téléphonique, sur les réseaux sociaux, avec notre stratégie numérique, avec une publicité dans les médias traditionnels et tout ce qui se trouve entre ces médias“.

Karen Quintos - (CC) Interbrand via YouTube

Karen Quintos – (CC) Interbrand via YouTube

C’est pourquoi Dell intègre les réseaux sociaux non seulement au sein de sa stratégie marketing mais aussi dans l’ensemble de son activité opérationnelle et qu’elle est devenue une entreprise sociale au double service de la collaboration entre ses employés et de l’expérience prodiguée à ses clients.

C’est ainsi que fut créée la Social Media and Community University (SMaC) en 2010.

Le premier objectif du programme de formation de la SMaC était de certifier les collaborateurs de Dell afin qu’ils le représentent sur les réseaux sociaux en maîtrisant sa stratégie, son positionnement de marque et les meilleures pratiques des réseaux sociaux (rédaction de blogs, relations en ligne avec des influenceurs…). Ils sont également formés à utiliser les réseaux sociaux au quotidien dans leur travail, par exemple pour se mettre à l’écoute des clients afin de recueillir des feedbacks sur les produits du Groupe.

L’une des originalités de ce programme de formation est qu’il classe les réseaux sociaux par type plutôt que d’enseigner le maniement de chaque plate-forme de manière distincte. Il forme ainsi les collaborateurs du Groupe à utiliser des services de blogging (e.g. WordPress), de micro-blogging (e.g. Twitter), de réseautage professionnel (e.g. LinkedIn), etc. Cela se révèle très utile lorsque de nouveaux réseaux sociaux prennent une grande importance à l’échelle mondiale (e.g. Pinterest et Snapchat ces dernières années) ou que des réseaux propres à certaines régions (notamment en Chine) se développent à côté des grandes plates-formes américaines.

Les collaborateurs de Dell sont également formés au comportement à adopter dans une communauté virtuelle, à la stratégie de marketing social du Groupe, au ton qu’ils doivent employer sur le web social et aux enjeux juridiques associés à leur activité sur Internet. La direction juridique de Dell compte d’ailleurs une personne se consacrant pleinement au suivi de l’évolution du web social sous l’angle légal.

La SMaC a formé 20 000 collaborateurs de Dell (soit presque un salarié sur cinq), originaires de 55 pays, dont 11 000 ont obtenu la certification la plus élevée (voir ci-dessous) : ils constituent une force de frappe sans égale pour représenter et promouvoir le Groupe sur les réseaux sociaux.

La participation des collaborateurs se fait sur la base du volontariat car il importe que ceux qui doivent incarner la marque sur le web social soient réellement motivés pour ce faire.

(CC) Dell

(CC) Dell

Trois données permettent de mesurer l’impact de ce programme :

  • Dell a enregistré en trois ans une réduction de 30% des commentaires négatifs à son égard sur Internet ;
  • les collaborateurs de Dell partagent désormais six fois plus d’informations relatives au Groupe sur les réseaux sociaux que ses comptes corporate ;
  • or il y a seulement 14% de recouvrement
 entre les abonnés aux comptes corporate
 et à ceux des collaborateurs du Groupe.

Naturellement, pour qu’un tel programme soit efficace, il doit s’appuyer sur des valeurs corporate fortes qui permettent aux collaborateurs de l’Entreprise d’agir de manière cohérente sur le web social et de prendre les décisions idoines lorsqu’ils sont confrontés à de situations éloignées de ce qu’ils ont appris au cours de leur formation. Dans le cas de Dell, ces valeurs sont l’ouverture, la transparence, la simplicité et l’attention portée à autrui.

Dell consacre aussi beaucoup de moyens et d’énergie à traduire en informations concrètes les gigantesques volumes de données clients qu’il recueille sur le web à travers ses multiples initiatives et conversations. Ces données influencent notamment la gestion du service client en temps réel et le développement de nouveaux produits.

Ainsi Dell créa-t-il, toujours en 2010, un Centre de commandement des réseaux sociaux consacré au suivi, à l’analyse et à la réponse aux plus de 25 000 conversations clients qui s’y déroulent chaque jour, soit plus de 6 millions chaque année. Ces chiffres ne concernent que les échanges en anglais mais Dell suit l’activité du web social à son sujet en 11 langues différentes 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Le Groupe considère à juste titre que chacune de ces conversations représente une opportunité de renforcer sa marque et n’a d’ailleurs pas le choix : à partir du moment où ses parties prenantes sont sur Internet et y parlent de sa marque, il peut soit s’y engager soit être à la traîne de ce qui s’y passe.

Il est évident que l’engagement de Dell sur les réseaux sociaux et, en particulier, la latitude donnée à plusieurs milliers de ses collaborateurs de s’exprimer au nom de la marque représentent un risque considérable d’incohérence dans l’expression du message corporate, voire de dérapage.

De nombreux exemples malheureux existent à ce sujet, dont le plus célèbre concerne l’image pornographique, impliquant de surcroît un avion de la marque, tweetée accidentellement en avril 2014 par un community manager d’US Airways.

On ne contrôle pas plusieurs milliers d’ambassadeurs à l’ère de la communication totale comme on pouvait maîtriser quelques porte-parole officiels (dirigeants et attachés de presse) à l’époque de la communication globale.

Mais, comme je l’expliquais hier,

Les marques ne contrôlent plus leur image et doivent assumer sa divergence afin de la valoriser : leur crédibilité se nourrit de l’acceptation – et même de l’appropriation – des diverses opinions émises à leur sujet (2,1 millions de mentions négatives sont mises en ligne chaque jour à propos des marques sur les réseaux sociaux aux seuls Etats-Unis).

La communication est devenue un ruban de Möbius permanent entre lâcher-prise et interventionnisme“.

La sagesse et le courage de Dell, probablement l’entreprise la plus sociale au monde, consistent à avoir compris la nouvelle logique induite par l’avènement de ce que j’appelle la communication totale et à avoir mis en place les programmes de communication interne et externe afférents. Mais combien d’entreprises sont-elles ainsi prêtes à confier les clés de leur image à plusieurs milliers de leurs collaborateurs ?

Ce faisant, Dell concrétise l’une des conclusions que je tirais hier, pour les directions de la communication, de l’émergence de la communication totale :

“La symbiose numérique entre tous les publics ne laisse aucun avenir à la communication interne en tant que fonction. Mais elle va devenir plus importante que jamais en tant qu’enjeu. Le paradoxe est que les marques vont devoir opérer un retour vers elles-mêmes pour mieux se projeter vers l’externe“.

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