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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Yahoo! : Marissa Mayer, la Madoff du management

Il y a quatre ans, lors de sa nomination, je pronostiquais l’échec de Marissa Mayer à la tête de Yahoo! et, surtout, je détaillais les trois raisons pour lesquelles ce fiasco était prévisible.

Après tout, j’ai publié plus de 2 300 articles sur Superception et il est normal que, une fois de temps en temps, je voie juste.

Ce matin (heure américaine), la vente pour 4,83 milliards de dollars (en numéraire) des actifs Internet de Yahoo! à l’opérateur de télécommunications américain Verizon a donc été annoncée, confirmant les spéculations des dernières semaines. Verizon investira également 1,1 milliard de dollars pour racheter les actions des collaborateurs de Yahoo!

La transaction ne couvre pas certains actifs détenus par les actionnaires de Yahoo! : part de 15% au capital d’Alibaba (d’une valeur de 32 milliards de dollars), part de 35,5% au capital de Yahoo! Japan (d’une valeur de 8,7 milliards de dollars) et brevets de Yahoo! qui ne concernent pas les activités vendues à Verizon.

Cette vente est le constat d’échec définitif des quatre ans passés par Marissa Mayer à la tête de Yahoo! Son objectif, affiché tout au long de son mandat, était de sauver et régénérer l’Entreprise pour en refaire un leader sur ses marchés.

Le bilan de Marissa Mayer peut être analysé plus en détail avec une série de données chiffrées comparant l’évolution de Yahoo! entre sa prise de fonction et aujourd’hui :

  • Revenus générés par l’activité de recherche de Yahoo! : -17%. Il convient de noter que la recherche était censément la spécialité de Marissa Mayer, étant donné son passé chez Google. Elle avait d’ailleurs affiché des ambitions majeures dans ce domaine lorsqu’elle avait rejoint Yahoo!, peut-être pour venger sa rétrogradation au sein de Google en 2010.
  • Revenus générés par l’activité publicitaire (bannières) : -16%.
  • Autres revenus : -43%. Marissa Mayer a fait miroiter aux marchés financiers une forte croissance de Yahoo! dans de nouvelles activités (les “Mavens”, c’est-à-dire le mobile, la vidéo, la publicité native et les publicités sociales) et y a investi des montants considérables. Sans succès.
  • Résultat opérationnel : -80%.
  • Cours de Bourse : +137%. Cette progression a été nourrie par l’appréciation de la valeur de la part détenue par Yahoo! dans Alibaba (cf. supra) qui n’est en rien due à l’action de Marissa Mayer.

Le plus rageant, pour les collaborateurs, actionnaires et partenaires de Yahoo!, est que cette débâcle était prévisible. Il y a quatre ans presque jour pour jour, j’expliquais ainsi sur Superception, lors de la nomination de Marissa Mayer à la direction de l’emblématique portail Internet, pourquoi il s’agissait d’un mauvais choix.

Je détaillais alors trois contradictions entre le profil de l’ancienne cadre de Google et celui qui me semblait adapté au sauvetage de Yahoo! :

1. Yahoo! avait besoin d’un stratège et a choisi un spécialiste produit. Chez Google, Marissa Mayer a été une remarquable spécialiste des produits et interfaces utilisateur. Elle est notamment connue pour le soin apporté à peaufiner l’interface du moteur de recherche de Google jusqu’à tester une quarantaine de bleus pour déterminer la couleur des liens qui favoriserait le plus l’utilisation du site par les Internautes. Mais elle a peu d’expérience en matière de stratégie, de business, de marketing et de développement de marque. Certains journalistes et blogueurs (ou blagueurs dans ce cas) ont déjà comparé Marissa Mayer à Steve Jobs en rapprochant leur maîtrise des produits et leur attention à l’expérience utilisateur. Mais cette comparaison laisse de côté le fait que, avant d’être un génie des produits, Steve Jobs était surtout un stratège visionnaire. Ses produits révolutionnèrent quatre industries – l’informatique, la musique, la téléphonie mobile et le cinéma – non pas seulement parce qu’ils créèrent des ruptures avec l’offre existante mais parce qu’ils rebattirent complètement les cartes de chacun de ces marchés en appliquant la vision conçue par Jobs. Un produit n’est jamais qu’un moyen au service d’une stratégie. Le fait d’être une exceptionnelle spécialiste des produits comme Marissa Mayer ne suffit donc pas à garantir qu’elle aura la capacité à dessiner la vision qui permettra à Yahoo! de définir le cadre stratégique propice au lancement de nouveaux services attractifs. Certes, Yahoo! a des réserves de cash (2,4 milliards de dollars) et pourrait réaliser des acquisitions. Mais des acquisitions ne font pas davantage une stratégie que des produits ;
2. Yahoo! avait besoin d’un spécialiste des médias et a choisi un ingénieur. On peut aujourd’hui penser que, à son stade de développement (ou de décrépitude), Yahoo! est, plus que toute autre chose, une plate-forme médiatique qui fonde ses revenus prioritairement sur les bannières. Marissa Mayer n’a aucune expérience dans les médias et ce modèle de génération de revenus publicitaires n’est même pas celui qui prime chez Google. Or la gestion d’un média recouvre des enjeux bien plus divers que les seuls aspects techniques. Yahoo! doit déterminer comment générer des revenus à partir de services qui furent aussi réputés que Yahoo! News, Yahoo! Sports ou Yahoo! Finance. C’est pourquoi les profils du PDG intérimaire, Ross Levinsohn, ou du PDG de la plate-forme vidéo Hulu, Jason Kilar, semblaient plus adaptés ;
3. Yahoo! avait besoin d’un leader et a choisi une star. Marissa Mayer donne toujours l’impression d’être plus centrée sur elle-même que sur l’entreprise pour laquelle elle travaille. Chez Google, elle s’est construite une image extraordinairement puissante – qui l’a d’ailleurs menée à la tête de Yahoo! – en parlant dans les médias de ses convictions managériales, de ses pratiques sportives, de ses goûts en matière d’habillement et de décoration et de ses préférences politiques. On l’a très rarement entendue incarner la stratégie de l’Entreprise désormais dirigée par Larry Page. Et sa nomination à la tête de Yahoo! a de nouveau mis ce travers en lumière : elle annonça quelques heures après avoir été nommée qu’elle est enceinte, faisant encore une fois passer son destin personnel avant celui des collaborateurs, actionnaires et utilisateurs de Yahoo! auxquels elle aurait dû parler de leurs attentes, de leur passion pour la marque et de ses espoirs pour leur entreprise avant de parler d’elle. Je considère pour ma part ce comportement comme scandaleux. Certes, à court terme, l’aura de Marissa Mayer attirera certainement des talents chez Yahoo! que l’Entreprise n’était plus en mesure de recruter et facilitera la conclusion de partenariats stratégiques et publicitaires. Mais, à plus long terme, il faudra que Marissa Mayer apprenne que le monde, même celui de l’Internet, ne tourne pas exclusivement autour d’elle“.

(CC) Fortune Live Media

(CC) Fortune Live Media

Or ce sont précisément les trois contradictions qui furent à l’origine du krach de Marissa Mayer au sein de Yahoo! :

  1. Yahoo! avait besoin d’un stratège et a choisi un spécialiste produit. Mayer ne fut jamais capable de définir une stratégie pour l’Entreprise et y navigua à vue sans vision de sa raison d’être ni même de sa pertinence. En outre, comme je l’avais anticipé, elle utilisa le cash de Yahoo! afin de réaliser des acquisitions (50 pour un investissement cumulé de 2,8 milliards de dollars) qui se révélèrent presque autant de naufrages. La plus symbolique est l’achat en 2013 de la plate-forme de blogging simplifiée Tumblr pour 1,1 milliard de dollars. Sa valeur a été dépréciée de 712 millions de dollars dans les comptes de Yahoo! depuis lors. Pis, Mayer n’a pas été plus performante dans les produits qu’en stratégie : Yahoo! n’a en effet pas lancé un seul nouveau produit à succès en quatre ans sous son leadership. Souvenons-nous qu’il ne fallut que deux ans à Steve Jobs pour présenter l’iMac (un produit beaucoup plus complexe à développer qu’un service Internet) après son retour à la barre d’Apple.
  2. Yahoo! avait besoin d’un spécialiste des médias et a choisi un ingénieur. En 2012, lors de la nomination de Mayer, le débat qui animait la Silicon Valley était de déterminer si Yahoo! était une entreprise de médias ou de hautes technologies. J’étais alors très minoritaire car cette dernière option prédominait chez les spécialistes et observateurs et c’est l’une des raisons pour lesquelles Mayer avait été choisie par le Conseil d’Administration de Yahoo! plutôt qu’un spécialiste des médias. Le consensus s’est inversé depuis quatre ans pour s’établir aujourd’hui sur le fait que Yahoo! est bien une entreprise de médias même si elle est dépendante d’enjeux technologiques. Le projet de Verizon correspond à cette vision : l’opérateur va combiner Yahoo! avec ses autres activités médiatiques, au premier rang desquelles AOL. Ainsi que l’a expliqué Lowell C. McAdam, le Président de Verizon, “l’acquisition de Yahoo! va placer Verizon dans une excellente position comme média mobile mondial et contribuer à accélérer la croissance de nos revenus publicitaires numériques”. L’objectif de Verizon, depuis quelque temps, est de créer une troisième plate-forme publicitaire numérique de référence outre-Atlantique pour concurrencer celles de Facebook et Google. Ses activités dans ce domaine sont pilotées par Tim Armstrong. Comme Marissa Mayer, il est un ancien cadre dirigeant de Google mais, à l’inverse d’elle, c’est un spécialiste des médias et du business publicitaire.
  3. Yahoo! avait besoin d’un leader et a choisi une star. L’ego de Marissa Mayer ne s’est pas dégonflé après sa nomination à la barre de Yahoo!, tout au contraire. Elle a fait preuve dans son management de la prétendue omniscience, de l’arrogance et de la misanthropie qu’on lui connaissait. Il semble ainsi que, moins elle connaissait un domaine, plus elle décidait de le micro-manager. Ce fut par exemple le cas dans les développements médiatiques de Yahoo! (séries télévisées, vidéos, magazines numériques verticaux…) qu’elle engagea en se décrétant soudainement spécialiste de la production de contenus. Dans le même temps, elle sous-investissait dans les points forts de Yahoo!, en particulier Yahoo! Finance, Yahoo! News et Yahoo! Sports. Son management des ressources humaines (nomination de cadres dirigeants, gestion des potentiels, attitude vis-à-vis de ses collaborateurs, motivation des équipes…) fut calamiteux, conduisant à un exode des talents et à une dépréciation de son crédit interne alors qu’elle bénéficiait à son arrivée d’un prestige sans égal. Last but not least, elle aggrava ces comportements par un refus complet de voir et/ou accepter les revers causés par ses décisions et sa méthode de management, ce qui interdit à Yahoo! de corriger ses erreurs. Incidemment, celles et ceux qui veulent prendre une contre-leçon de management peuvent lire “Marissa Mayer And The Fight To Save Yahoo!“, le livre que le journaliste Nicholas Carlson consacra il y a un an et demi à la gestion de Yahoo! par Marissa Mayer.

Cette dernière déclare aujourd’hui qu’elle compte rester au sein de Yahoo! sans préciser pour combien de temps (l’acquisition par Verizon doit devenir effective au début de l’année prochaine). Si elle quittait l’Entreprise, elle toucherait 54,9 millions de dollars qui viendraient s’ajouter aux près de 120 millions qu’elle y a déjà engrangés. Chez Yahoo!, l’incompétence est bien rémunérée.

Elle y est aussi ouatée. En effet, dès que l’action de Marissa Mayer commença à porter ses fruits pourris, le nouveau credo de la Silicon Valley et de Wall Street, où elle compte des défenseurs aussi nombreux que puissants, fut que, si elle ne pouvait pas sauver Yahoo!, personne ne pouvait accomplir ce “miracle”. Même la majorité de ses détracteurs, tels que Nicholas Carlson, adoptèrent cette thèse. Or celle-ci occulte deux facteurs essentiels.

En premier lieu, son profil, comme je l’avais souligné dès sa nomination, ne correspondait en rien aux défis qui attendaient Yahoo! En second lieu, elle bénéficia de quatre ans – une éternité sur le marché de l’Internet – pour réformer une entreprise qui comptait quatre atouts majeurs : (i) l’une des marques les plus connues du web, (ii) active sur un marché de la publicité numérique en plein boom, (iii) où elle dispose d’un milliard de visiteurs mensuels sur son portail et (iv) que Mayer pouvait manager avec le plein soutien de son Conseil d’Administration et l’adoration de la communauté des nouvelles technologies. Beaucoup de dirigeants ont relevé avec succès des challenges bien plus ardus.

Comme Jack Dorsey à la tête de Twitter, Marissa Mayer regarda voler des coquecigrues au lieu de recentrer son entreprise sur son coeur de métier et de valoriser ses vrais atouts1. Le réel est souvent trop médiocre pour ces dirigeants qui ont une si haute idée d’eux-mêmes.

De fait, Marissa Mayer déploya un système de Ponzi managérial, utilisant en permanence la confiance de ses anciens soutiens pour en conquérir de nouveaux. Elle comprit que la confiance est au leadership ce que l’argent est à la finance : le premier capital. Comme pour Bernie Madoff, la malhonnêteté de sa combine – qui eut heureusement des conséquences moins tragiques même si elle causa une énorme destruction de valeur et d’emplois – finit par être mise au jour.

Or si Mark Zuckerberg, Jonah Peretti, Evan Spiegel ou un autre talent plus abordable avait repris Yahoo! en main, on peut être sûr que l’Entreprise aurait été sauvée. Yahoo! n’était pas condamnée à péricliter si son Conseil d’Administration, le responsable ultime de cette déconvenue, avait fait le bon choix.

Comment se fait-il, tandis qu’un petit blogueur français comme moi avait pu prévoir la débâcle de Marissa Mayer à la tête de Yahoo! dès sa nomination, que le Conseil d’Administration de l’Entreprise, la Silicon Valley, Wall Street et les médias, qui étaient alors tous en pâmoison devant elle2, ne l’aient pas anticipée ?

Au-delà des phénomènes d’endogamie et de starification qui expliquent largement les réactions de la Silicon Valley, de Wall Street et des médias, je me concentrerai sur l’erreur fatale commise par le Conseil d’Administration de Yahoo!

Comme trop souvent, les membres de ce cénacle pensèrent à leur intérêt personnel plutôt qu’à celui des actionnaires qu’ils sont censés représenter. Le meilleur symbole de cette dérive est Dan Loeb, l’investisseur activiste qui fomenta la nomination de Mayer puis se retira un an plus tard en réalisant un profit d’un milliard de dollars pour son fonds. Il accrut sa fortune en réalisant un “coup” boursier grâce à l’aura de Mayer mais accéléra la chute de Yahoo! du fait de l’incompétence de sa star.

Celle-ci, Icare d’Internet, est tombée à l’eau mais on peut douter qu’une mer ne porte jamais son nom.

1 On peut parier que c’est ce que Verizon et Tim Armstrong feront.

2 Et le sont encore pour une partie d’entre eux.

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