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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Vine, un parcours qui rappelle étrangement celui de Twitter

En fermant Vine, Twitter a mis fin à un Twitter miniature.

Il y a six mois seulement, Twitter affirmait que Vine était l’une de ses “acquisitions fondatrices”. Cette semaine, pourtant, Jack Dorsey, le cofondateur et patron du service de micro-blogging, annonçait la fermeture de Vine après avoir tenté de la vendre sans succès.

Vine compte 40 collaborateurs et c’est peut-être son plus grand défaut aux yeux de Dorsey. En effet, les piètres résultats financiers de Twitter (croissance des revenus de seulement 8% et nouvelle perte de 103 millions de dollars au troisième trimestre 2016) l’ont contraint à décider le licenciement de 9% des effectifs du Groupe, soit 350 personnes. Il faut dire que Twitter n’a toujours pas réalisé un seul profit depuis sa création, accumulant plus de 2 milliards de dollars de pertes, et que Dorsey a promis aux marchés financiers que l’Entreprise serait rentable en 2017.

Dans ce contexte, Vine n’est manifestement plus aussi importante aux yeux du patron de Twitter. C’est pourtant lui qui avait poussé Dick Costolo, alors directeur général de Twitter, à l’acquérir en 2012. Dorsey pensait avoir trouvé la réplique parfaite à l’acquisition, huit mois plus tôt, d’Instagram par Facebook. Il voyait le focus de Vine sur les vidéos comme extrêmement porteur au moment où cet usage connaissait un succès exponentiel chez les jeunes internautes.

Vine permettait de diffuser en boucle des vidéos de six secondes. L’application imposait donc à ses utilisateurs la même contrainte de brièveté que Twitter avec ses 140 caractères. Mais, plus encore qu’avec les tweets, cette contrainte devint un vecteur de créativité, assurant à Vine une place de choix dans la culture populaire durant quelques années.

7park

Puis l’immobilisme opérationnel de Vine et la percée d’autres applications furent fatals à la start-up : le graphe reproduit ci-dessus montre le déclin de sa popularité chez les internautes américains.

En 2013, Instagram offrit à ses membres la possibilité de mettre en ligne des vidéos de quinze secondes1, portant un premier coup majeur à Vine. En effet, la taille de la communauté d’Instagram (dix fois plus grande que celle de Vine), la dualité de ses usages (photos et vidéos), sa popularité auprès des célébrités et son acquisition par Facebook lui conféraient quatre atouts décisifs dans sa lutte avec Vine pour capter et conserver l’attention des internautes. Quelque temps plus tard, l’essor de Snapchat fut le coup de grâce.

L’intérêt des annonceurs se focalisa logiquement sur les plates-formes bénéficiant du plus grand nombre d’utilisateurs et du plus fort engagement de ces derniers. Inutile de dire que Facebook, qui a constamment pris des initiatives dans le domaine vidéo, est également un acteur de tout premier plan dans ce domaine.

L’attitude du groupe de Mark Zuckerberg contraste radicalement avec l’inaptitude de Vine à innover à l’égard de ses trois parties prenantes : les utilisateurs, les annonceurs et les créateurs.

Contrairement à ses concurrents qui ne se reposent jamais sur leurs lauriers et lancent en permanence de nouvelles fonctionnalités et améliorations de leur service, Vine resta inerte dans ce domaine.

De même, Vine ne développa-t-elle pas un produit permettant aux annonceurs de diffuser des publicités sur sa plate-forme. Cela obligeait les marques qui voulaient s’y faire connaître à collaborer avec des créateurs de Vines ou à créer leurs propres Vines.

Puis, ainsi que le graphe reproduit ci-desous le reflète, ce furent les stars de Vine qui partirent, progressivement mais en masse, vers Facebook, Instagram, Snapchat et YouTube. Elles se plaignaient notamment du peu de considération dont elles bénéficiaient de la part de Vine, alors que d’autres plates-formes, au premier rang desquelles YouTube (elle-même aiguillonnée par la concurrence croissante de Facebook), les aidaient à générer des revenus.

business-insider

Au final, le parcours de Vine rappelle étrangement celui de Twitter :

  • comme Twitter, Vine connut un succès accidentel, ayant été créée pour un usage donné et mise à profit par ses utilisateurs dans une optique complètement différente (la production de vidéos très créatives au lieu du partage de moments anodins de la vie quotidienne) ;
  • comme pour Twitter, l’impact sociétal de Vine fut sans rapport avec le succès de la société Vine ;
  • comme celle de Twitter, l’équipe managériale de Vine connut de nombreuses restructurations, ce qui l’empêcha de développer et mettre en oeuvre une vision commune ;
  • comme Twitter, Vine fut incapable d’innover et fut de ce fait distancée par ses concurrents.

Le point commun aux revers de Twitter et Vine est Jack Dorsey.

Il y a presque un an, je mettais en perspective son retour à la tête de Twitter de la manière suivante :

Twitter ne sera jamais Facebook mais cela ne signifie pas pour autant qu’il soit condamné.

Plus de 700 millions d’internautes ont essayé et abandonné Twitter, le trouvant trop complexe à utiliser. Twitter ne les reconquerra pas. Penser qu’elle le peut conduit l’Entreprise à se détourner de sa priorité, à décevoir continûment les marchés financiers et à perdre en attractivité auprès des talents qu’elle doit recruter et fidéliser. Même dans le monde virtuel qu’est Internet, il est impossible de vivre d’illusions.

Si elle veut prospérer, l’Entreprise doit concentrer ses efforts et son expression publique sur la croissance de son chiffre d’affaires et de sa rentabilité et faire passer l’augmentation de son nombre d’utilisateurs actifs au deuxième plan. Le fait qu’elle compte encore 320 millions de fidèles est d’ailleurs un petit miracle alors que le bilan de son activité ces dernières années s’apparente largement à une suite d’échecs managériaux et opérationnels. […]

Aujourd’hui, Twitter doit abandonner la chimère relative à la croissance de sa communauté pour se concentrer sur la croissance de son efficacité vis-à-vis des deux groupes qui feront son succès : ses utilisateurs actuels et ses annonceurs.

L’Entreprise doit se focaliser sur l’amélioration de son expérience utilisateur, notamment en faisant des progrès en matière de harcèlement et en poursuivant le développement de l’application mobile Periscope de diffusion vidéo en direct. Elle devrait également mieux monétiser ses atouts uniques – notamment eu égard à la connaissance très précise des centres d’intérêt de ses audiences – en proposant de meilleures solutions de ciblage et de mesure de performance aux annonceurs. Last but not least, il est temps qu’elle réduise ses coûts fixes.

Jack Dorsey, l’un des fondateurs de l’Entreprise, est-il le mieux placé pour ramener les ambitions de son “bébé” à la raison ? Rien n’est moins sûr car le coût émotionnel pour lui sera plus grand que pour un manager moins investi sur ce plan, comme pourrait l’être le dirigeant d’un éventuel acquéreur de Twitter. […]

Jack Dorsey aime se comparer à Steve Jobs. C’est le moment pour lui de montrer que cette analogie n’est pas usurpée”.

Eperonnée par les marchés financiers, l’équipe dirigeante de Twitter semble avoir enfin compris qu’elle n’a d’autre choix que de réduire ses coûts fixes. Sa situation dans ce domaine est d’autant plus déplorable que ses effectifs pléthoriques ne produisent aucune innovation significative et aucune amélioration eu égard aux problèmes de harcèlement qui gangrènent son service.

Jack Dorsey - (CC) JD Lasica

Jack Dorsey – (CC) JD Lasica

Mais, au lieu de générer des profits satisfaisants en se concentrant sur sa communauté existante2, Jack Dorsey continue de poursuivre sa chimère favorite, c’est-à-dire une forte augmentation du nombre d’utilisateurs de Twitter.

Il tenta d’abord de copier Snapchat en lançant Moments, une curation de tweets organisée thématiquement. J’avais prédit à l’époque que cette fonctionnalité ne permettrait pas d’attirer de nouveaux internautes sur le service de micro-blogging et je ne m’étais malheureusement pas trompé. Or, si un petit blogueur comme moi a pu anticiper cet échec, les dirigeants de Twitter auraient dû le prévoir également.

Aujourd’hui, Dorsey parie sur la diffusion vidéo en direct. En septembre dernier, Twitter a ainsi commencé à diffuser des matches de la ligue de football américain (NFL). Ses dirigeants insistent sur les audiences que ses parties génèrent sur sa plate-forme. Mais, comme je l’ai déjà expliqué sur Superception à propos de BuzzFeed et NBC, les audiences vidéo en ligne ne sont en rien comparables avec celles obtenues par la télévision.

Même si ces diffusions attireront un certain nombre d’internautes et donc des annonceurs, elles n’effaceront pas d’un coup de baguette magique deux faiblesses endémiques de Twitter : sa complexité d’utilisation et son manque de compétitivité globale sur le marché de la vidéo numérique face aux géants du secteur. A cet égard, le surpassement express de Periscope, propriété de Twitter, par Facebook Live est éclairant3.

C’est pourquoi je reste convaincu, ainsi que je l’avais expliqué sur Superception il y a six mois, que

L’accord de Twitter avec la NFL confirme les dérives de l’Entreprise davantage qu’il n’y apporte une solution. Jack Dorsey continue de poursuivre la chimère de l’augmentation de sa communauté de membres actifs plutôt que de s’atteler à ses vraies priorités“.

De fait, Jack Dorsey n’a toujours pas renoncé à son ambition de faire de Twitter un réseau social grand public alors qu’il est une plate-forme de niche. Certes, une énorme niche avec plus de 300 millions d’utilisateurs actifs mensuels, mais une niche comparée à Facebook. Et une niche qui n’a gagné que 3% d’utilisateurs mensuels actifs supplémentaires au dernier trimestre.

Or l’ambition dont on ne se donne pas les moyens est une forme d’arrogance. Cette arrogance, on la retrouve dans une réponse que Dorsey apporta à une question d’un analyste financier lors de la récente présentation des résultats de Twitter pour le troisième trimestre 2016 :

“Anthony DiClemente (Nomura Securities International, Inc.) – Et une question plus large pour Jack. J’ai bien compris ce que vous avez dit sur les améliorations incrémentales que vous apportez à Twitter. Mais quelle est votre feuille de route dans d’autres domaines que la diffusion vidéo en direct ? Avez-vous des projets concernant d’autres produits révolutionnaires ?

Jack Dorsey – Anthony, nous sommes focalisés sur la construction du réseau d’information le plus utile, ouvert et complet de la planète proposant le moyen le plus rapide de se tenir au courant de ce qui se passe. Notre produit est déjà révolutionnaire. Nous l’améliorons chaque jour. Nous avons réalisé des centaines de petits changements aussi vite que possible. Ils vont continuer à générer plus d’utilisation de Twitter et nos utilisateurs nous montrent que ces changements fonctionnent. Nous voyons que plus de gens veulent utiliser Twitter et l’utiliser plus souvent”.

Imagine-t-on Mark Zuckerberg (Facebook) ou Evan Spiegel (Snapchat), deux dirigeants qui innovent inlassablement pour maintenir l’attrait de leurs réseaux sociaux respectifs aux yeux des internautes, apporter une réponse à la fois aussi suffisante (satisfaite) et insuffisante (déficiente) ?

Non, décidément, Jack Dorsey n’est pas Steve Jobs.

1 Une limite que l’application portera ultérieurement à 60 secondes.

2 La fermeture de Vine pourrait d’ailleurs aider Twitter à se concentrer sur ses priorités opérationnelles.

3 Il faut d’ailleurs souhaiter que Periscope ne connaisse pas le même sort que Vine.

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