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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Management : seuls des êtres humains peuvent rendre d’autres êtres humains heureux

Le magnat des casinos Steve Wynn a été interviewé dans le cadre de la série “Icons + Images” d’Instagram. Cette conversation, extrêmement inspirante, abonde en leçons de management.

Le développeur d’hôtels a révolutionné Las Vegas en en faisant un territoire de loisirs familiaux (shows du Cirque du Soleil, restaurants haut de gamme, attractions diverses, galeries d’art…) dans lequel le jeu ne tient plus la place principale pour tous les visiteurs. Il a aussi créé la majorité des plus beaux hôtels – à mon goût – de Sin City : Mirage (1989), Treasure Island (1993), Bellagio (1998), Wynn (2005) et Encore (2008).

Il est aujourd’hui âgé de 74 ans et sa fortune est estimée à plus de 2 milliards de dollars. Il ne s’arrête pourtant pas de développer de nouveaux concepts, aux Etats-Unis comme en Asie.

Dans cet entretien, Steve Wynn fait preuve de ses vision stratégique et passion habituelles. Il évoque notamment l’histoire émouvante de son père impécunieux, la manière inédite avec laquelle il impliqua les 2 000 chauffeurs de taxi de Las Vegas dans le lancement de Encore et le tournage de la publicité la plus spectaculaire jamais filmée à Sin City.

Les hôtels Wynn et Encore de Las Vegas avec leur parcours de golf privé - (CC) s.yume

Les hôtels Wynn et Encore de Las Vegas avec leur parcours de golf privé – (CC) s.yume

Mais ce qui a le plus retenu mon attention est l’exposé de sa philosophie managériale qu’il met en pratique dans l’un des marchés les plus concurrentiels de la planète, toutes industries confondues.

Cette philosophie recouvre plusieurs principes que je promeus régulièrement sur Superception :

  • l’importance de mettre l’être humain au coeur de tout projet d’entreprise (lire notamment ici);
  • le caractère déterminant, pour la motivation des collaborateurs, de facteurs intrinsèques1 tels que le sens, l’estime de soi, la sécurité, le respect et l’épanouissement dans le travail (lire par exemple ici) ;
  • la fragilité d’une culture corporate si elle n’est pas entretenue et exemplifiée par le patron (lire entre autres ici) ;
  • l’idée qu’un manager ne doit pas prétendre à l’omniscience s’il veut permettre à ses collaborateurs de se développer (lire particulièrement ici) ;
  • le fait qu’une marque a plus à gagner avec un client insatisfait (lire ici).

J’ai retranscrit ci-après les extraits de cette interview relatifs à ces thématiques (l’intégralité de la vidéo de près d’une heure est visible à la fin de cet article) :

L’expérience que nous offrons à nos clients ne se réduit pas à ses aspects matériels – les immeubles, les chandeliers en cristal, les tapis tissés main, l’onyx, le marbre. Certes, tout est devenu plus grand, plus précieux et plus beau à Las Vegas. Cette ville a toujours été le lieu où les gens se rendaient pour vivre une expérience dont ils ne pouvaient pas bénéficier chez eux.

Mais, au coeur de l’expérience Wynn, réside une vérité plus profonde et vibrante : seuls des êtres humains peuvent rendre d’autres êtres humains heureux. C’est cette conviction qui m’a conduit à toujours vouloir créer une connexion humaine personnelle entre nos collaborateurs et nos clients. Ce que nous essayons d’accomplir ici, au-delà de présenter un environnement de qualité et de bon goût, est de proposer aux voyageurs qui nous rendent visite une expérience personnelle et chaleureuse rendue possible par le travail et l’attitude de nos collaborateurs.

Dans une entreprise, l’argent est souvent au centre des conversations. Combien payons-nous nos employés ? Utilisons-nous des systèmes de bonus ? Tout cela importe mais, dès lors que les gens sont rémunérés équitablement, l’argent n’est plus vraiment le sujet. Ce qui compte le plus est l’estime de soi. Si vous pouvez établir une connexion entre l’estime de soi des collaborateurs et leur travail, vous avez créé la dynamique la plus forte qui soit.

C’est pourquoi nous mettons en oeuvre toutes les idées et techniques imaginables pour motiver nos collaborateurs à toucher personnellement nos clients. Nous le faisons en leur expliquant que, s’ils peuvent fournir cette expérience à nos clients, cet hôtel sera réellement le meilleur au monde. Ce focus sur les ressources humaines est même plus important que l’attention que nous portons aux technologies car, en définitive, si quelqu’un prend soin de vous, se préoccupe de votre expérience dans notre hôtel, notre objectif devient une prophétie autoréalisatrice : vous vous sentirez merveilleusement bien chez nous et adorerez notre hôtel. C’est une affirmation simple à énoncer – je viens de le faire – mais c’est très difficile à accomplir. […]

Le respect est le mot-clé. Par exemple, contrairement à ce qui se passe dans les autres hôtels de Las Vegas, chez nous, les installations réservées aux employés (cafétérias, espaces de repos…) sont aussi qualitatives que celles proposées aux clients. Comment nos collaborateurs peuvent-ils embrasser la notion de luxe s’ils n’y ont pas accès eux-mêmes ? Comment peuvent-ils respecter notre clientèle si nous ne faisons pas preuve de respect à leur égard ? Le respect est le vecteur qui fait converger les êtres humains de manière constructive. La minute où il se perd, tout se désintègre. […]

Steve Wynn - (CC) Instagram

Steve Wynn – (CC) Instagram

La manière dont nous opérons n’est pas secrète ; nous en parlons ouvertement. Mieux, quand nous avons vendu Mirage Resorts à MGM, ils ont récupéré les hôtels Mirage, Treasure Islands, Bellagio et Monte Carlo au sein desquels travaillaient alors mes équipes. En effet, j’étais reparti de zéro en acquérant The Desert Inn pour le détruire et y construire le Wynn. Ainsi donc, les jeunes gens qui avaient construit ces entreprises avec moi, qui avaient mis en oeuvre ces principes de management dont nous parlons aujourd’hui, connaissaient tout à leur sujet et travaillaient désormais pour MGM. Il n’y avait aucun secret. Et, pourtant, une culture est insaisissable.

Dans notre secteur d’activité, les salaires sont généralement le premier poste de dépense. A mes yeux, la paie, les collaborateurs constituent l’actif le plus important pour créer une entreprise extraordinaire. Je considère les collaborateurs comme la culture de notre entreprise. C’est la raison pour laquelle nous n’avons jamais réalisé de plan social. Je veux que nos collaborateurs se sentent en sécurité et qu’ils soient bien dans leur peau. Si je peux faire en sorte que les personnes qui travaillent ici soient fières de figurer dans nos équipes, que leur estime de soi soit liée d’une manière ou d’une autre à notre famille, je crée une étincelle inégalable. Il n’y a pas d’alternative à cette vérité. C’est la condition pour disposer d’une culture d’excellence. […] C’est ainsi que les êtres humains fonctionnent : nous réagissons positivement lorsque l’on fait preuve de respect et d’attention personnelle à notre endroit. Comportez-vous ainsi dans votre management et vous vous en sortirez quoi qu’il arrive. […]

Nous avons le plus bas taux de rotation des effectifs de notre industrie, et de très très loin. Quand vous analysez un secteur d’activité, cherchez l’entreprise qui a le taux d’attrition le moins élevé. Je vous garantis que vous aurez trouvé le leader de son marché. Parce qu’il a la culture de ses collaborateurs. Tout dépend de la manière dont nous nous traitons mutuellement. Point final. Le marketing correspond à ce que nous nous disons au sein de notre entreprise avant même de signaler ce que nous racontons au public. Qui touche nos clients ici ? Moi ? J’ai de la chance si j’arrive à rencontrer six visiteurs dans une journée. Les personnes qui définissent cet endroit sont les personnes qui touchent nos clients. Mon travail est de m’assurer qu’elles sont heureuses et aussi motivées qu’enthousiastes de créer une différence dans la manière dont le séjour de nos clients chez nous se déroule. […]

Si je peux faire en sorte que les personnes qui travaillent ici soient fières de figurer dans nos équipes, que leur estime de soi soit liée d’une manière ou d’une autre à notre famille, je crée une étincelle inégalable“.

L’activité des entreprises croît et décroît. Le cycle du business est aussi certain que le lever et le coucher du soleil. La différence est que nous savons quand le soleil se lèvera demain mais nous ne savons pas quand le business va croître et décroître. En tant qu’entrepreneur, ma mission est de maintenir les conditions financières de notre entreprise pour nous éviter d’être démunis, à cause des cycles économiques, en matière de niveau de service ou de qualité de nos équipes.

La récession a frappé le monde en 2008. Or il se trouve que nous avons ouvert notre hôtel Encore – un investissement de plus de 2 milliards de dollars – le 22 décembre 2008. Il était impossible de choisir un plus mauvais moment pour inaugurer un hôtel de 2 milliards de dollars à Las Vegas. Je me suis dit : ‘C’est une catastrophe mais c’est aussi une grande chance pour nous‘. Tous les autres hôtels de Vegas ont réalisé des plans sociaux. Pas nous. Ce fut le moment, pour moi et mes collègues, de définir qui nous étions. Soit nous privilégions le chacun pour soi et seule comptait la rentabilité, soit nous montrions que nous sommes une famille et que nous allions traverser la crise unis.

Nous avons décidé de diminuer les salaires de tous les cadres dirigeants de 15%. Parallèlement, nous avons passé les employés en semaine de travail de quatre jours au lieu de cinq, ce qui leur permettait de conserver leur assurance-maladie et la majorité de leur salaire. Nous avons fait face à ce problème ensemble et cela nous a rapprochés.

Nous avons prodigué un service encore meilleur à nos clients. Et, pendant cette période très difficile, en 2008 et 2009, nous avons augmenté notre part de marché parce que nous avons démontré à nos collaborateurs, d’abord, ceux qui constituent notre famille et à nos clients, ensuite, que cet établissement serait cohérent, que nous ne nous laisserions pas déstabiliser, que nous n’étions pas un bouchon de liège dans une mer déchaînée mais un navire solide qui poursuivait sa route.

Les temps difficiles fournissent une excellente occasion de définir qui vous êtes. []

Nous avons décidé de diminuer les salaires de tous les cadres dirigeants de 15%. Parallèlement, nous avons passé les employés en semaine de travail de quatre jours au lieu de cinq, ce qui leur permettait de conserver leur assurance-maladie et la majorité de leur salaire. Nous avons fait face à ce problème ensemble et cela nous a rapprochés“.

En fin de compte, vous devez vous en tenir à vos vérités premières. Au cours de votre vie, vous serez confrontés à des moments où le statu quo ne fonctionne plus et vous devrez changer votre approche. Pour faire simple, disons que vous deviez choisir entre une option A et une option B qui, toutes deux, ne sont pas idéales. Comment aborder cette prise de décision ?

Ma méthode consiste à déconstruire le problème auquel je suis confronté jusqu’à ce que je retrouve l’une de mes vérités fondamentales. Dès lors, je peux prendre une décision.

Dans mon rôle de PDG, mes collègues ne viennent me voir que lorsqu’ils ont un problème. Ils doivent penser que ce n’est pas la peine de m’annoncer une bonne nouvelle, que je dois déjà la connaître. Lorsqu’un collègue vient me voir avec un problème, cela signifie qu’il doit prendre une décision risquée. Or, invariablement, la personne qui me sollicite en sait plus sur l’aspect technique du sujet concerné que moi car elle en est plus proche au quotidien.

Mon rôle de patron est d’agir comme un… je crois que l’on peut appeler cela un conseiller, un auxiliaire. Ma mission est d’apporter de la clarté, de rappeler à mes collègues nos vérités fondamentales. Puis nous regardons de nouveau le problème qu’ils doivent résoudre et, presque toujours, mes collègues trouvent la solution idoine. Je me suis contenté d’être un facilitateur. C’est un rôle que j’apprécie parce qu’il est sain pour moi et pour mes collègues auxquels je démontre le respect que j’ai pour eux. []

Steve Wynn - (CC) Instagram

Steve Wynn – (CC) Instagram

Nos collaborateurs savent que le meilleur moment pour nous définir auprès de nos clients est lorsque nous commettons une erreur, ce qui nous arrive inévitablement : une commande de nourriture n’est pas bien servie, un message téléphonique n’est pas bien pris ou, tout simplement, un client n’arrive pas à se diriger dans notre hôtel. Nos employés sont à l’affût de ce moment difficile parce que c’est alors que nous nous définissons le plus parfaitement”.

Certes, Steve Wynn dirige une entreprise de services où l’expérience client dépend des interactions entre ses employés et clients. Mais sa philosophie managériale est pertinente pour tous les secteurs d’activité : des collaborateurs heureux, sécurisés et respectés sont toujours plus efficaces, quel que soit le marché dans lequel leur employeur évolue.

1 Les études montrent que la motivation intrinsèque (l’adhésion à un projet, l’amour de son activité, la sollicitation intellectuelle…) est beaucoup plus puissante que la motivation extrinsèque (la recherche d’une récompense financière, l’évitement d’une sanction…).

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