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Toute vérité n'est que perception

Ces journalistes Diafoirus de la vie civique

A quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, qu’il me soit permis une diatribe contre la majorité de la presse politique.

Certains métiers sont plus lourds de conséquences que d’autres. Un chef d’entreprise se trompe de stratégie et plusieurs milliers de personnes perdent leur emploi. Un chirurgien commet une erreur et son patient perd ses facultés physiques ou intellectuelles. Un pilote d’avion déraisonne et plusieurs centaines de passagers perdent la vie.

Les journalistes ne s’en rendent pas compte – sinon ils se comporteraient autrement – mais, si elles sont moins spectaculaires, les conséquences de leurs égarements n’en sont pas moins graves. C’est en effet la démocratie qui perd de sa vigueur lorsqu’ils renoncent à leurs valeurs.

Je défends toujours la presse et les journalistes sur Superception précisément en raison de l’importance de leur mission et parce qu’ils ne font que répondre à la demande d’information du public. Mais cette défense ne peut pas être aveugle.

En l’occurrence, la campagne présidentielle qui s’achève aura mis en lumière, au-delà de leurs errements traditionnels en période électorale (insuffisante écoute des électeurs et candidats, focus sur le jeu politicien plutôt que sur les enjeux de politique, court-termisme, sensationnalisme, abus des codes du récit, inversion du lien de causalité entre analyse et conclusion…), une dérive qui me semble en sensible aggravation : le positionnement des journalistes sur le devant de la scène, reléguant presque les candidats au rang de figurants.

Cette toquade trouve au moins deux traductions.

La première concerne l’angle choisi cette année par plusieurs journalistes pour caractériser leurs séries d’interviews respectives des candidats : pour ne prendre que trois exemples, Jean-Jacques Bourdin organise des “entretiens d’embauche” sur BFM TV et RMC, Elisabeth Martichoux leur fait passer des “grands oraux” sur RTL et Franz-Olivier Giesbert les soumet à des “entretiens crash-test” dans Le Point1.

Se déguisant en recruteurs ou professeurs, nos vedettes des ondes et de la plume délaissent leur rôle principal, pourtant inscrit dans le nom du secteur qui les emploie : être les médiateurs des citoyens pour demander des comptes aux dirigeants (politiques, économiques…).

Je comprends que la concurrence médiatique croissante et les ravages financiers de la révolution numérique motivent en partie cette approche. Mais ils ne la justifient pas et l’excusent encore moins.

Incidemment, il faut être doté d’un solide ego pour accepter de désigner ainsi ses interviews des candidats à la Présidence de la République. Ces journalistes se pensent-ils si supérieurs auxdits candidats – et à la fonction à laquelle ils aspirent – pour se prétendre leurs évaluateurs ?

Le projet de ces journalistes, qui n’est pas d’alimenter le débat démocratique mais de nourrir leurs audiences, donne raison à Vauvenargues :

“Les hommes ont de grandes prétentions et de petits projets”.

Surtout, plus ils se mettent en avant, plus les journalistes relèguent la vie civique au deuxième plan. Quand la notoriété des journalistes leur monte à la tête, le journalisme marche sur la tête.

(CC) BFM TV & RMC

(CC) BFM TV & RMC

Cette inversion des priorités est à l’origine de la deuxième traduction de leur dérive égocentrique. Celle-ci ne se limite en effet pas à l’utilisation de titres racoleurs qui ne seraient pas si dangereux s’ils n’avaient aucune correspondance avec la teneur de leurs interviews.

Malheureusement, le ramage de nos vedettes du journalisme politique se rapporte à leur plumage. A la télévision et la radio, ils cherchent trop souvent à créer le buzz avec des questions qui font trop rarement avancer la compréhension des enjeux.

Quant à Franz-Olivier Giesbert, qui mérite ici un hommage particulier, il est le sujet principal des articles qu’il consacre aux candidats, dont il mesure d’ailleurs la compétence pour occuper l’Elysée à l’aune du niveau de leur culture étalonnée à la sienne.

Sa fatuité n’a d’égale que son talent littéraire, ce qui la rend d’autant plus embarrassante (dans les deux sens du terme). De fait, “FOG” dédie au moins autant d’encre à soupeser les déclarations que les candidats lui livrent qu’à les relater. Bizarrement, à la fin de ses interviews des prétendants à la Présidence de la cinquième puissance de la planète, on a l’impression que ses avis comptent davantage que ceux des candidats. Avec lui, tout article est un éditorial.

Au-delà de ces quelques exemples, cette dérive n’est malheureusement pas limitée à celles et ceux qui l’affichent dans le titre de leurs émissions ou articles. Elle est d’autant plus obscène qu’elle ne permet pas aux citoyens d’éclairer leur choix politique alors que notre pays est confronté à l’une des élections les plus importantes de ces dernières décennies.

Au deuxième siècle avant J-C., l’historien grec Polybe présenta le concept d’ochlocratie, pouvoir de la foule, qui est le pendant négatif de la démocratie, pouvoir du peuple. Celle-ci est régie par la loi alors que celle-là est soumise aux foucades émotionnelles successives de la masse.

Aujourd’hui, par leur comportement qui contribue à l’avilissement de la démocratie, une majorité de nos journalistes politiques encouragent le plus dangereux glissement politique qui soit.

1 Même si cette dernière dénomination est moins scolaire que les deux autres, elle me semble plus arrogante encore car elle induit que le test ultime auquel les prétendants peuvent être soumis est une confrontation avec “FOG”.

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