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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

La communication d’Apple est préhistorique

Le lancement de l’iPhone X confirme que la marque prétendument la plus innovante du monde est figée dans le passé quant à son rapport avec ses publics.

Dans “Le génie gênant“, mon dernier livre sur la transformation numérique, je propose le concept de communication totale pour remplacer celui de communication globale (ou 360°) avec lequel les communicants du monde entier ont été éduqués depuis des décennies.

La communication globale posait que la communication est un tout : les marques véhiculent un message d’ensemble adapté et décliné vers chacune de leurs audiences à travers leurs vecteurs de communication propriétaires et les médias auxquels elles ont accès. Or les révolutions successivement numérique, sociale et mobile rebattent les cartes de la communication en tant que pratique interpersonnelle, activité professionnelle et dynamique sociétale.

En conséquence, la communication totale établit que tout est communication. Son avènement induit à mon sens six révolutions.

Apple n’a adopté aucune de ces nouvelles dimensions de la communication. Passons-les en revue.

1. De la cohérence présumée à la divergence assumée de l’image.

A l’époque de la communication globale, les marques présumaient qu’elles pouvaient déployer une image cohérente parce qu’elles pouvaient (relativement) la contrôler : une grande partie de leur activité était cachée et l’encadrement médiatique de ce qui était exposé était favorisé par la muette déférence des publics à l’égard des pouvoirs et le nombre limité de médias. A l’ère de la communication totale, (presque) tout ce que les marques accomplissent est connu et contribue à faire ou défaire leur réputation. Par ailleurs, le coût zéro de la production et de la diffusion numérique de contenus crée une concurrence journalistique sans limite. Dans ce nouvel écosystème, les marques ne contrôlent plus leur image et doivent assumer sa divergence afin de la valoriser.

Apple n’est pas immunisé contre cette évolution, comme le montre la fuite, avant l’événement de mardi dernier, de toutes les informations importantes relatives aux annonces faites par Tim Cook et ses équipes. Pourtant, le Groupe continue de poursuivre la chimère d’une communication parfaitement contrôlée susceptible de créer un monolithisme perceptif parmi ses audiences.

Dans ce cadre, les dirigeants de la marque à la pomme refusent tout échange apte à les challenger. Leurs conférences présentent cette caractéristique extravagante de ne comporter aucune question publique des journalistes – même Vladimir Poutine donne chaque année une conférence de presse plus ouverte. Et, comme Donald Trump, Apple remplit les salles de ses événements presse avec ses collaborateurs qui représentent environ un tiers du public et se chargent d’applaudir chaque information communiquée par leurs patrons. Par ailleurs, le pouvoir médiatique exorbitant du Groupe lui permet de choisir, plus que toute autre marque, les journalistes avec lesquels elle accepte d’interagir entre ses événements propriétaires.

Sur le web social, au-delà du classique compte dédié à son service client, l’Entreprise ne dialogue pas avec ses parties prenantes : son compte Twitter dispose ainsi de 1,34 million d’abonnés et de 0 tweet. Ce compte n’a certainement vocation qu’à protéger la marque en bloquant l’identifiant @Apple.

2. D’une relation verticale où les marques communiquaient vers leurs publics à une relation horizontale où elles communiquent avec leurs publics.

A l’époque de la communication globale, la communication était généralement descendante, des dirigeants – qui détenaient alors l’essentiel des informations sur leurs organisations respectives – vers leurs collaborateurs et leurs parties prenantes externes (y compris les médias et la communauté financière). A l’ère de la communication totale, elle est horizontale. L’horizontalisation de la relation entre marques et publics résulte notamment de l’avènement du marketing de la permission. Dans ce nouveau modèle, les consommateurs donnent la permission aux marques de leur communiquer des informations, l’exemple le plus représentatif étant l’abonnement à la page d’une marque sur un réseau social. Jusqu’à présent, le modèle dominant était le marketing de l’interruption, dans lequel les messages des marques interrompent la consommation de contenus, l’exemple le plus représentatif étant le spot de publicité télévisé. Avec l’émergence du marketing de la permission, les marques ne peuvent plus prendre l’accès aux publics pour acquis.

C’est pourtant ce que fait Apple qui continue de fonder sa communication sur le marketing de l’interruption : événements d’annonce de produits et campagnes de publicité traditionnelle. En réalité, sa communication n’a pas changé d’un iota depuis le retour de Steve Jobs à sa tête. Or c’était il y a vingt ans, une éternité au rythme des changements générés par la triple révolution numérique, sociale et mobile.

3. De l’information comme un processus à l’information comme une procession.

A l’époque de la communication globale, la communication procédait de rendez-vous (lancements de produit, annonces de contrat ou partenariat, publications de résultats financiers…) qui participaient d’ailleurs du contrôle des marques sur leur image. A l’ère de la communication totale, la communication est réalisée en flux continu. Cette nouvelle pratique résulte de la transformation du traitement médiatique de l’information, d’un processus (informations analogiques consommées à heure fixe – quotidien du matin, journal télévisé du soir…) en une procession (informations numériques consommées en permanence, notamment à travers les alertes reçues sur nos gadgets électroniques).

Ici aussi, Apple n’a pas évolué. Sa communication reste faite de rendez-vous (Apple Worldwide Developers Conference, conférences de lancement, rares interviews médiatiques… ) qui lui permettent de contrôler au mieux son expression publique. Chez Apple, l’improvisation n’a pas sa place. Le naturel non plus (j’y reviendrai).

(CC) Apple

(CC) Apple

 

4. Du texte au contexte.

A l’époque de la communication globale, le texte (au sens de message) de la communication était roi. Le fait que les formats médiatiques étaient aussi illimités que la concurrence pour l’attention des publics était limitée permettait aux marques de développer à loisir leurs contenus. En revanche, leur interaction avec leurs publics était rudimentaire : elles ne les connaissaient pas bien et avaient peu de possibilités de leur faire partager le cadre dans lequel elles communiquaient. A l’ère de la communication totale, les marques disposent à la fois de plus et de moins de contexte pour communiquer. Le surplus de contexte résulte du développement des équipements (e.g. smartphones) et techniques (e.g. publicité programmatique) permettant de toujours mieux connaître et cibler les publics auxquels les entreprises s’adressent. Cependant, ces dernières pâtissent aussi d’un déficit inédit de contexte, celui-ci étant décomposé par l’ubiquité, l’instantanéité, l’interactivité, la viralité et l’éphémérité de la communication numérique.

Alors que les marques peuvent dépasser les limites de la virtualisation des échanges avec leurs publics en rapprochant toujours plus communication corporate et contact client ou en développant un marketing de contenus narratif permettant d’engager les audiences sur le web social, Apple continue de se reposer sur la force inégalable de ses Apple Stores, lesquels constituent d’ailleurs un vecteur de marketing plus encore que de revenus. A cet égard, Angela Ahrendts, l’ancienne patronne de Burberrys recrutée il y a déjà quatre ans pour diriger l’activité commerciale de la marque à la pomme, n’y a pas entrepris la transformation numérique qu’elle avait menée au sein de l’icône britannique.

Quant au marketing de contenus, qui induit une relation adulte avec ses audiences, il semble antinomique de la philosophie de marque d’Apple fondée sur l’infantilisation des consommateurs. Le recours au marketing de contenu serait ainsi incompatible avec l’hyperbole démesurée qui caractérise la communication de la marque (où la faculté de pouvoir personnaliser des émoticons de fèces fut par exemple présentée comme une innovation majeure lors du lancement de l’iPhone X) et avec ses manipulations cognitives (qui induisent qu’il faut généralement un ou deux jours pour décoder ce que les dirigeants de la marque ont affirmé et, plus encore, passé sous silence lors d’une annonce d’un produit ou service).

5. De collaborateurs spectateurs à des collaborateurs acteurs de l’image de leur employeur.

A l’époque de la communication globale, les collaborateurs qui n’étaient pas en contact direct avec les clients ne jouaient aucun rôle dans la stratégie marketing et commerciale de leur employeur. Et les clients étaient logiquement la cible prioritaire de la communication externe. A l’ère de la communication totale, les collaborateurs parlent de leur employeur sur le web social en touchant un nombre considérable de ses parties prenantes.

On ne peut pas dire qu’Apple se distingue dans ce domaine, la double culture du secret en matière de développement produit et de discipline en matière de communication qui caractérise l’Entreprise retenant ses collaborateurs de se déployer à son profit sur les réseaux sociaux.

6. De la singularité à l’unicité de la marque.

A l’époque de la communication globale, la communication pouvait être mono-canal : les marques étaient en mesure de communiquer des messages distincts à leurs différents publics car ceux-ci ne s’entremêlaient pas. A l’ère de la communication totale, la communication par silo n’est plus possible car tous les publics se retrouvent sur Internet. La singularité des messages diffusés à chaque audience, qui caractérisait la communication globale, doit donc être remplacée par l’unicité, non seulement du discours des marques mais aussi de leur comportement. Janus n’a plus sa place dans l’univers corporate car les postures de communication sont désormais perçues comme des impostures. Les marques doivent désormais faire preuve d’authenticité pour gagner la confiance de leurs publics dans un environnement où (presque) tout finit par se savoir (cf. point 1).

Il n’est pas de marque moins authentique qu’Apple. La culture instillée par Steve Jobs du souci du détail dans les produits et de la recherche de la perfection dans les interactions avec les clients s’est rapidement transformée en scénarisation artificielle du moindre point de contact (“touchpoint“) direct ou indirect avec les consommateurs. La communication d’Apple est un immense et permanent village Potemkine où les interlocuteurs de la marque remplacent Catherine II. Apple bénéficie à cet égard de la complicité active des médias, ce qui s’explique par quatre raisons que j’ai déjà analysées sur Superception (lire ici).

*

En définitive, Apple communique comme si l’ensemble de son public était constitué de ses fans invétérés. Aveuglée par sa propre puissance, elle ne tient pas compte des évolutions des technologies numériques et des usages associés qui donnent aux publics un pouvoir de plus en plus grand à l’égard des entreprises en matière d’information, de communication et de relation commerciale.

Elle n’est évidemment pas la seule à procéder ainsi. Mais sa position de marché, son aura et son perfectionnisme lui ont permis de parfaire cette approche qui est aujourd’hui souvent imitée mais heureusement jamais égalée. En effet, si elle est profitable pour certaines sociétés en situation de quasi monopole, cette stratégie est loin d’être bénéfique pour la Société.

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