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Toute vérité n'est que perception

Livre sur Donald Trump : un polémiste discutable sera-t-il le journaliste le plus conséquent de la décennie ?

Fire And Fury: Inside The White House“, le livre de Michael Wolff, aussi peu éthique qu’il soit, est peut-être le meilleur moyen pour la presse de confronter la menace démocratique représentée par Donald Trump.

Mes incursions dans la politique internationale procèdent de ma passion pour ces sujets qui, pour reprendre une formule célèbre, ne me sont pas totalement étrangers, ayant conseillé il y a quelques décennies un futur Président de la République française pendant plusieurs années à leur propos. Loin de constituer un argument d’autorité, cette expérience motive simplement les digressions sur la géopolitique que je me permets dans ce blog, bien qu’il ne lui soit pas consacré.Christophe Lachnitt

Ce dernier a pris la mesure de la menace que ce brûlot constitue pour lui : son avocat a exigé en son nom la censure du livre, ce qui résulta dans le plus spectaculaire cas d'”effet Barbra Streisand”1 de l’histoire mondiale de la communication. En effet, la publicité suscitée par cette demande (et par l’ensemble de la réaction de la Maison-Blanche) fut telle que l’éditeur de “Fire And Fury” avança la sortie du livre qui figure depuis lors en tête des ventes. Gribouille n’aurait pas fait mieux.

Un auteur manquant de hauteur

Le succès populaire de l’ouvrage ne doit cependant pas occulter le trouble que son auteur suscite. Michael Wolff, dont l’éthique journalistique est inversement proportionnelle à l’arrogance et au talent de polémiste, est notamment connu pour prendre certaines libertés avec les faits et ne pas respecter ses engagements vis-à-vis des sources qui lui confient des informations “off the record” (c’est-à-dire que le journaliste promet de ne pas publier le nom de sa source). Il est d’ailleurs probable que nombre des citations les plus polémiques qu’il attribue aux protagonistes de son livre lui aient été confiées par ces derniers dans ce cadre.

Michael Wolff – (CC) The Financial Times

Wolff fait donc l’objet depuis la publication de son livre d’attaques justifiées de certains journalistes pour son manque de déontologie. Mais certaines des accusations portées contre la pertinence de ses affirmations ont fait chou blanc, telle celle qui avait trait à sa relation d’un dîner entre Steve Bannon, Président exécutif du site ultra-conversateur Breitbart et ancien père Joseph de Donald Trump, et Roger Ailes, ancien patron de Fox News aujourd’hui décédé. Ses contempteurs se demandaient comment Wolff pouvait reconstituer un échange tenu dans un contexte privé. Il s’avère que, comme l’a expliqué une dirigeante de média très respectée qui avait participé à ce repas, celui-ci se déroulait au domicile de Michael Wolff qui en était l’hôte. De même, Wolff aurait enregistré un grand nombre des 200 interviews qu’il a réalisées durant son “séjour” de six mois à la Maison-Blanche, rendant les dénégations de ses sources d’autant plus difficiles.

Malgré la réputation contrastée de son auteur, les principales révélations de “Fire And Fury” ne sont donc pas considérées par les médias comme manquant totalement de crédibilité :

  • Donald Trump ne croyait pas à sa victoire – ce que beaucoup de médias avaient déjà relaté -, ne la souhaitait pas et fut d’abord accablé par celle-ci ;
  • tous les membres de l’équipe de Trump le jugent inapte – intellectuellement et émotionnellement – à la fonction qu’il assume, l’information la plus alarmante du livre ;
  • Trump est incapable de se concentrer plus de quelques minutes sur un sujet sérieux, ce qui rend le travail de son équipe très difficile et sa mission à la tête de la première puissance mondiale extrêmement périlleuse ;
  • Trump ne comprenait absolument rien au système d’assurance-maladie mis en place par Barack Obama ni à sa réforme – qui finit par échouer – souhaitée par les Républicains ;
  • Trump n’a consulté et prévenu personne avant de décider de congédier James Comey, le patron du FBI ;
  • le porte-parole de Donald Trump spécialisé dans les dossiers juridiques a démissionné après avoir assisté à ce qu’il considérait comme une action d’entrave à la justice perpétrée par Donald Trump ;
  • Steve Bannon juge que la rencontre entre Donald Trump Jr. et des représentants russes constitua une trahison et un acte antipatriotique et estime que l’enquête sur la collusion entre la campagne Trump et la Russie va se concentrer sur le blanchiment d’argent sale.

Un portrait de Trump vraisemblable parce qu’il est vrai

Surtout, malgré certaines invraisemblances patentes (comme par exemple le fait que Donald Trump ne saurait pas qui est John Boehner, l’ancien Président républicain de la Chambre des Représentants entre 2011 et 2015), la crédibilité et le danger de ce livre pour le Président tiennent à un élément dévastateur : il sonne juste dans sa description de la personnalité du milliardaire rouge2 et du fonctionnement de son Administration. Au-delà de quelques détails discutables, il est vraisemblable parce qu’il est vrai. Les journalistes sérieux se bousculent d’ailleurs dans leurs médias respectifs et sur les réseaux sociaux pour confirmer l’écrasante majorité des faits rapportés par Wolff.

Surtout, il suffirait de lire le fil Twitter de Donald Trump pour se convaincre de la pertinence du portrait tracé par Michael Wolff. Depuis son élection, le Président a proféré, le plus souvent dans des tweets, 1 950 mensonges ou déclarations trompeuses en 347 jours passés à la Maison-Blanche, soit en moyenne 5,6 par jour, et a énoncé un nombre plus grand encore d’énormités morales et/ou politiques.

Si l’on observe son comportement sur la seule semaine écoulée, on constate ainsi que Trump a notamment demandé la censure d’un livre (cf. supra), exigé l’emprisonnement de l’une de ses opposantes (Huma Abedin, la plus proche collaboratrice d’Hillary Clinton), engagé une “guerre des boutons” nucléaires avec Kim Jong-un et affirmé que son ancien conseiller le plus proche était dément.

Dans la même veine, les tweets qu’il a publiés pour contrer la perception créée par le livre de Michael Wolff ont plutôt confirmé son égocentrisme, son impulsivité et son inadaptation au Bureau ovale :

(CC) Donald Trump, Twitter

Le vrai journaliste n’est pas toujours celui qu’on croit

Personne ne pourra donc dire qu’il ne savait pas qui était vraiment Donald Trump, le “leader” politique qui se moque des handicapés, se glorifie de ses agressions sexuelles sur des femmes, défend les néo-nazis, soumet son Administration et son pays à son narcissisme et est incapable de la moindre stratégie de gouvernement.

Pour démasquer ce qui était exposé aux yeux de tous, Michael Wolff a employé des méthodes dont il est coutumier mais qui sont étrangères au monde du journalisme politique classique. Il n’a reculé devant aucune manipulation, commençant par soutenir publiquement l’Administration Trump, affirmer que les journalistes devraient être moins agressifs à son égard et critiquer ses confrères qu’il jugeait excessivement anti-Trump (lire notamment ici et ici). Il a de ce fait certainement fait croire au Président et son équipe qu’il figurait au rang de leurs soutiens. C’est ainsi qu’ils lui accordèrent un accès sans précédent à la Maison-Blanche (il disposait d’un badge lui permettant d’y circuler à sa guise que tous les journalistes auraient rêver de posséder), et ce alors même que Rupert Murdoch, grand ami de Trump, s’était fait abuser de la même manière lors de la préparation d’un livre de Wolff qui lui était consacré.

Donald Trump – (CC) Thomas Cizauskas

Ce faisant, Michael Wolff répondit à la guerre asymétrique que Donald Trump a déclaré aux médias et au Premier amendement de la Constitution américaine en employant lui aussi des moyens asymétriques. Il était peut-être le seul journaliste susceptible de cette approche : il est en effet presque aussi égotiste et peu regardant sur les principes que le sujet de son dernier livre3. En outre, le fait que Michael Wolff ait fonctionné hors de toute structure éditoriale – ses méthodes ne furent pas soumises à la validation du patron d’une rédaction – lui a laissé toute latitude pour opérer comme il l’entendait.

Incidemment, sa méthode n’est pas à rejeter complètement. Davantage qu’une trahison du journalisme d’accès – qui consiste à entretenir de bonnes relations avec les acteurs de l’actualité dans l’espoir d’obtenir des informations -, elle relève à mon sens de l’infiltration d’un milieu hostile. Les journalistes qui enquêtent sur l’Eglise de scientologie, sur la corruption d’une organisation ou sur un gang trompent et trahissent eux aussi les individus sur lesquels ils investiguent.

Dans le cas de Michael Wolff, cette approche a été facilitée par le fait qu’il est une figure du journalisme médiatique de New York depuis longtemps et, en tant que tel, un familier de Donald Trump. Cela rend le manque de préparation de ce dernier pour l’issue de l’intégration de Wolff au sein de la Maison-Blanche d’autant plus étonnante et illustrative du manque de professionnalisme qui, sur presque tous les sujets, caractérise l’administration Trump.

La fable de l’élection de Trump contre les médias

On lit et entend beaucoup en France que Donald Trump aurait été élu à la Présidence des Etats-Unis contre l’ensemble des médias américains.

C’est faux pour trois raisons :

  • le premier média d’informtion télévisé, Fox News, a agi (et continue d’agir) comme sa véritable machine de propagande, adoptant ses thèses contre celles de l’établissement conservateur dès la primaire républicaine et le soutenant sans relâche dans la campagne présidentielle et depuis son élection. Trump est aussi soutenu par d’autres médias conservateurs très influents, au premier rang desquels une autre chaîne de télévision, NewsMax, les sites Internet Breitbart, Drudge Report et Infowars et les animateurs d’émissions politiques radiophoniques Laura Ingraham et Rush Limbaugh. Ce ne sont là que quelques organisations et individus d’un véritable écosystème médiatique dont Donald Trump est le héros et le héraut ;
  • les autres médias ont contribué à l’élection de Donald Trump en lui ouvrant leurs antennes et colonnes, aimantés par ses déclarations sensationnalistes et sa propension à casser les codes de la politique qui en font un stimulant pour leurs audiences. C’est ainsi qu’on vit régulièrement des chaînes américaines préférer diffuser les images en direct du podium vide de Donald Trump, dans l’attente de son arrivée sur scène, alors que l’un de ses rivaux républicains de la primaire ou Hillary Clinton était en train de prononcer un discours. De ce fait, Trump bénéficia durant la seule primaire de l’équivalent de 3 milliards de dollars de présence gratuite sur les médias contre 1,1 milliard pour Clinton. En outre, les médias, voulant préserver leur image de neutralité, ont traité Donald Trump comme un candidat normal même lorsqu’il sortait du cadre des valeurs américaines ;
  • last but not least, Donald Trump a également profité d’une vague très favorable sur les médias sociaux où les manipulations et “fake news” notamment propagées par les instigateurs russes ont servi ses plans.

Certes, Michael Wolff n’est pas comparable à Carl Bernstein et Bob Woodward4, les deux journalistes du Washington Post qui firent tomber Richard Nixon. Mais il a au moins le mérite d’avoir été au bout de sa démarche et d’avoir brûlé tous les ponts avec ses sources pour sortir son livre. Tous les journalistes politiques qui reconnaissent aujourd’hui avoir été témoins de phénomènes semblables à ceux qu’il décrit dans “Fire And Fury” mais ne les ont pas relatés aussi clairement pour ne pas rompre les contacts avec les Trump n’ont pas rendu service à leurs publics, de même qu’ils ne l’avaient pas fait durant la campagne (voir l’encadré ci-dessus).

Naturellement, ce livre, qui a réussi, par la puissance de son récit, à mettre au centre du débat la question de l’état mental de Donald Trump, ne suffira pas à faire tomber ce dernier ni à faire changer d’avis la frange de ses soutiens les plus radicalisés. Mais on sait en France combien des livres sur un Président5 peuvent jouer un rôle décisif dans l’affaiblissement de celui-ci lorsqu’ils confirment une opinion diffusément répandue à son sujet et s’inscrivent durablement comme un élément structurant du débat politique à l’aune duquel toute l’actualité est examinée.

C’est tout ce qu’on peut souhaiter à la démocratie américaine.

1 En 2003, la chanteuse avait attaqué un photographe qui avait pris un cliché aérien de sa somptueuse propriété de Malibu. Le photographe avait gagné son procès, lequel eut pour conséquence de donner une énorme publicité à l’image que Barbara Streisand voulait précisément retirer de la circulation.

2 Le rouge est la couleur du Parti républicain outre-Atlantique.

3 Et, comme Donald Trump, il est convaincu qu’une mauvaise publicité est préférable à l’absence de publicité.

4 Mais le fait qu’il reprenne, toutes proportions gardées, leur rôle signale l’état politique et médiatique de notre époque.

5 Je pense évidemment à “Merci pour ce moment” de Valérie Trierweiler et “Un président ne devrait pas dire ça” de Gérard Davet et Fabrice Lhomme.

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