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Surveillance d’Internet par la NSA : la fin de la vie privée ?

Web et philosophie politique.

Ce fut un scoop en trois temps. Le premier vit la publication par The Guardian d’une information selon laquelle la National Security Agency (NSA) collecte les communications passées sur le réseau de l’opérateur de télécommunications Verizon. Puis The Washington Post rendit public un programme de surveillance de la NSA dénommé PRISM qui recueille les données des plus grands acteurs de l’Internet (Apple, Facebook Google, Microsoft, Skype, Yahoo! et YouTube) à l’exception de Twitter qui serait le seul géant du web à avoir refusé de donner accès aux informations privées de ses utilisateurs. Enfin, The Wall Street Journal compléta le tableau en expliquant que la NSA surveille aussi les fournisseurs d’accès à Internet et les entreprises de paiement par cartes de crédit.

La personne à l’origine de ces révélations s’appelle Edward Snowden. Agé de 29 ans, il travaille pour Booz Allen Hamilton comme sous-traitant de la NSA depuis quatre ans. Spécialiste en informatique, il était basé à Hawaï et payé 200 000 dollars par an jusqu’à ce qu’il s’enfuie à Hong Kong pour organiser son coup médiatique.

Il semble qu’il ait été plus sélectif que Bradley Manning, la source de la plus importante fuite américaine vers WikiLeaks, dans le tri des documents qu’il a livrés aux médias et qu’il n’ait pas, lui, mis en danger des individus (lire ici). On peut également noter que, contrairement au site de Julian Assange, les journaux qui ont recueilli les documents fournis par Snowden ont opéré un second tri, n’en publiant qu’une petite partie. La frontière entre journalisme et militantisme existe donc encore et c’est heureux.

Il est en revanche plus étonnant que le jeune informaticien ait choisi comme havre de la liberté d’expression l’ancienne colonie britannique désormais sous domination chinoise. Il ne reste qu’à espérer que les secrets encore en sa possession ne tombent pas dans n’importe quelles mains lors de sa cavale asiatique.

Autre acteur-clé de cette affaire, Barack Obama. Les révélations de Snowden soulignent une nouvelle fois son apostasie par rapport à sa critique de la politique sécuritaire de George W. Bush et à ses engagements de campagne dans ce domaine. Elles tombent au plus mauvais moment, quelques jours après le scandale créé par la saisie des registres téléphoniques de The Associated Press par l’administration démocrate (lire ici).

Troisième protagoniste du dossier NSA, celui dont on parle le moins mais qui n’est pas le moins important : le Congrès américain. Il a progressivement abandonné l’essentiel de ses prérogatives en matière de contrôle de l’action des services de renseignement et de sécurité, au premier rang desquels la NSA, de même qu’il s’est laissé dépouiller de ses pouvoirs concernant l’engagement de l’Amérique dans des conflits armés.

Cette dérive constitutionnelle, fruit du traumatisme du 11 septembre 2001, viole le plus élémentaire principe de “checks and balances” (poids et contrepoids permettant l’équilibre entre les pouvoirs des trois branches du gouvernement américain). Elle ne pourra pas être traitée sereinement tant que le climat politique sera polarisé à l’extrême outre-Atlantique. En attendant, la garantie que le système PRISM ne soit jamais utilisé à des fins politiciennes n’est pas acquise. Or les actions de l’administration fiscale contre des groupes politiques conservateurs (autre scandale touchant la Présidence Obama) permettent les fantasmes les plus délirants à cet égard, et ce d’autant plus que le secret encourage le soupçon.

(CC) NSA

(CC) NSA

L’aspect le plus étonnant de cette affaire est que l’accès de la NSA aux données privées de citoyens américains et étrangers – il leur suffit d’utiliser les services des entreprises ciblées par l’agence de sécurité – est légal. C’est là une différence majeure, par exemple, vis-à-vis des actions d’espionnage – à des fins politiciennes – menées par Richard Nixon.

C’est pourquoi l’activité de la NSA doit susciter un débat de philosophie politique : jusqu’où un Etat démocratique peut-il surveiller ses citoyens grâce à des programmes aussi légaux que secrets ? A mon sens, l’essentiel du problème concerne le caractère secret de PRISM qui n’est, sinon, peut-être pas aussi inacceptable que la clameur mondiale actuelle pourrait le laisser accroire.

En effet, il faut opérer une différence entre la possibilité d’accéder aux données privées de citoyens ordinaires et l’exploitation discrétionnaire de ces données. Or Edward Snowden n’a donné aucune preuve que des abus aient été commis dans ce domaine. En l’occurrence, si PRISM détecte un flux de communications suspectes, les autorités, ainsi que le stipule The Foreign Intelligence Surveillance Act, doivent solliciter la justice pour avoir accès auxdites communications. C’est donc la législation américaine que les révélations de Snowden remettent en cause plutôt qu’un dérapage hors-la-loi individuel ou collectif. En somme, le débat ne concerne pas la légalité des activités de la NSA mais leur légitimité.

Tous les pouvoirs détenus par un Etat peuvent être utilisés à mauvais escient et le risque est d’autant plus grand que ces pouvoirs sont importants et que les contre-pouvoirs sont faibles. Nous avons déjà vu que les contre-pouvoirs américains semblent s’anémier volontairement. A cela s’ajoute le fait que le volume de données privées auxquelles la NSA a accès conférerait un pouvoir colossal à l’Etat fédéral américain si celui-ci venait à être détourné du droit chemin. Un pouvoir qui délimite ce qui sépare une société démocratique d’un régime totalitaire. Ce dernier, en effet, se définit par le fait qu’il vise à diriger non seulement la vie publique mais aussi la vie privée des citoyens.

A cet égard, le paradoxe est que les citoyens, à l’ère d’Internet, abandonnent une part croissante de leur vie privée sur l’autel de l’interactivité numérique. Ne vous méprenez pas, je considère pour ma part que c’est une évolution positive et j’annonce depuis longtemps sur Superception, sans la redouter, la fin de la vie privée telle que nous la connaissons depuis la nuit des temps (lire par exemple ici).

Il y a cependant une différence majeure entre communiquer ses données personnelles à un acteur privé et à un Etat. Cette différence tient, pour citer Max Weber, au fait que l’Etat a “le monopole de la violence physique légitime“. C’est pourquoi, même s’il est hypocrite de notre part de regretter l’invasion étatique de nos vies privées après les avoir livrées au web, cette invasion est paradoxalement moins légitime lorsqu’elle est accomplie par le pouvoir le plus légal et le plus démocratique qui soit.

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