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Toute vérité n'est que perception

Les leçons de management de Kobe Bryant

Le joueur de basket récemment décédé était un extraterrestre. Pourtant, son parcours de vie peut nous inspirer.

Kobe Bryant était certainement l’un des plus grands compétiteurs de l’histoire du sport : il était en quête permanente d’une domination totale, pas seulement d’une victoire, et ce sur ses partenaires comme sur ses adversaires.

Il décida à l’âge de treize ans de tout faire pour devenir l’un des meilleurs basketteurs que ce sport ait jamais connus. Lycéen dans la banlieue de Philadelphie, il allait défier les joueurs de l’équipe professionnelle des Sixers dans des un-contre-un, faisant preuve d’une audace et d’une confiance en lui qui caractériseront sa carrière. Ensuite, l’un des tout premiers à passer directement du lycée à la NBA sans connaître les années de transition si formatrices du basket universitaire, il s’attaqua d’emblée à son héros, Michael Jordan, qui était alors en train de devenir le plus grand joueur de tous les temps.

Comme le raconta Del Harris, son coach durant ses deux premières saisons à Los Angeles à sa sortie du lycée, “Kobe n’avait rien à faire de la vie nocturne ou de quoi que ce soit d’autre. Il n’avait qu’un centre d’intérêt. Son seul objectif était de devenir le meilleur qu’il pouvait être. Et, dans son esprit, cela signifiait défier Michael Jordan”. Challenger ainsi Jordan, que les autres joueurs appelaient “Black Jesus” en signe de respect, était peut-être encore plus ambitieux que d’être Michael1.

Kobe apprit toutes les actions de jeu, tous les dribbles, tous les shoots, toutes les feintes de “His Airness”. Il les maîtrisa parfois à un point tel qu’il est impossible, sur des vidéos, de dire quel joueur, l’inventeur ou celui qui lui rend hommage, les réalise. Mais, au-delà de cette imitation inaccessible à nul autre que lui, Kobe voulait battre les records établis par le maître. Il n’y parvint pas et le palmarès parfait de Jordan – en particulier six titres de champions en six finales et autant de titres de meilleur joueur desdites finales2 – risque de rester longtemps sans égal, alors même qu’il aurait pu être plus prodigieux encore si le génie des Chicago Bulls n’avait pas été foudroyé par la mort de son père sous les balles de deux voleurs de voiture.

Un retentissement sans précédent

Le décès de Kobe Bryant et sa fille Gianna fut l’un des événements les plus discutés (outre-Atlantique au moins) depuis l’apparition des réseaux sociaux, d’après des données rendues publiques par NewsWhip.

Nombre d’interactions sur les médias sociaux entre le 26 janvier et le 2 février 2020

Plus d’Américains évoquèrent ce drame que toutes les autres actualités combinées, et ce alors même que ces décès ne générèrent pas la plus grande couverture médiatique de la semaine concernée.

Kobe Bryant, certainement le joueur le plus doué de l’histoire du basket après Jordan, remporta cinq titres de champion pour Los Angeles (et deux titres de meilleur joueur des finales) et est le quatrième marqueur de l’histoire de la NBA. Il fut un attaquant prolifique – il compte par exemple à son actif plus de matches à 60 points que Michael Jordan et Lebron James réunis. Last but not least, Bryant ne connut qu’une franchise, les Lakers, pour lesquels il joua vingt ans. Or il est à mon sens plus difficile de rester toute sa carrière dans la même équipe, avec ses hauts et ses bas, que de surfer sur des dynamiques positives de club en club dans le même championnat.

Outre son rapport avec Michael Jordan, la carrière de Kobe Bryant fut marquée par sa relation avec Shaquille O’Neal. Ils remportèrent ensemble trois titres consécutifs (2000-2002). Mais, comme Kobe l’expliqua, il voulait montrer qu’il pouvait gagner sans son partenaire, ce que Magic Johnson n’avait pas pu accomplir sans Kareem Abdul-Jabbar et, dans une moindre mesure, Michael Jordan sans Scottie Pippen. Lorsque O’Neal rejoignit les Miami Heat, Bryant nourrit sa motivation du titre de champion remporté par “Shaq” avec sa nouvelle équipe. Kobe conquit ensuite deux championnats, dépassant à jamais son ancien partenaire et rival.

Kobe Bryant attribuait son inextinguible esprit de compétition à son enfance qu’il passa en Italie avec ses parents : le rejet dont il fut l’objet, en tant qu’étranger et noir, lui donna une envie de vengeance qu’il trouva sur les terrains de basket où il prit un malin plaisir à dominer les enfants qui l’ostracisaient.

Il admettait que cette obsession de la performance pouvait être destructrice :

C’est difficile de vivre de cette manière, parce que la seule chose qui vous importe est le résultat final et la victoire. C’est compliqué pour les autres personnes de comprendre cet état d’esprit car les êtres humains veulent toujours avoir un filet de sécurité. Quand vous mettez tous vos œufs dans ce panier, cela peut être absolument dévastateur“.

Il affirma d’ailleurs en 1999 ne pas croire au bonheur.

En 2003, il fut accusé d’une agression sexuelle : il n’y eut pas de procès, la victime présumée ayant refusé de témoigner, et l’affaire se conclut par un accord financier entre les deux parties. Ainsi qu’il le signale dans le documentaire “Muse”, Kobe Bryant dissocia alors sa personnalité intime, qu’il devait reconstruire après les répercussions de ce scandale, de son personnage de joueur de basket : il créa l’alter ego du Black Mamba, inspiré d’un serpent particulièrement létal, et la “Mamba Mentality”.

Celle-ci compte cinq piliers : la passion, l’obsession, la ténacité, la résilience et l’absence de peur. Ceux qui l’appliquent visent à devenir la meilleure version possible d’eux-mêmes, quel que soit l’objectif qu’ils se fixent. Chaque jour, ils essaient de s’améliorer dans ce qui constitue une quête infinie et, à chaque instant, ils s’investissent pleinement dans ce qu’ils font. Surtout, ils refusent de tricher avec eux-mêmes. Cela leur permet de ne nourrir aucun regret, une fois venu le moment de la retraite – ou de la mort.

Toute sa carrière, Kobe Bryant travailla infiniment plus que ceux qui étaient infiniment moins doués que lui. Les anecdotes abondent à ce sujet. Dès le lycée, il décida de commencer à s’entraîner à 4 heures du matin afin de réaliser chaque jour une séance ou deux de plus que les autres joueurs. Cette pratique surprit un préparateur physique de l’équipe américaine lors des entraînements précédant les Jeux Olympiques de 2012. En effet, il donna son numéro de téléphone à Kobe en lui disant de le contacter s’il voulait organiser une séance individuelle. Quelques jours plus tard, Kobe l’appela à 4h15 du matin et lui demanda de le rejoindre au gymnase. Ils réalisèrent ensemble une session d’une heure et quart puis l’entraîneur retourna se coucher. Lorsqu’il revint au gymnase à 11h00 avec le reste de l’équipe pour la séance collective et qu’il échangea quelques mots avec Kobe, il prit conscience que celui-ci n’avait pas quitté la salle, enquillant une séance individuelle de près de sept heures (et 800 shoots3) avant de participer à la session de l’équipe. Kobe disait aimer l’entraînement parce qu’il appréciait le processus d’amélioration continue qu’il représente. A cet égard, l’épisode de professionnalisme peut-être le plus étonnant de sa carrière, qu’il raconta dans ses mémoires, réside dans la décision qu’il prit d’apprendre les claquettes pour rendre ses chevilles à la fois plus fortes et plus souples après une blessure subie en 2000.

Kobe Bryant célèbre son cinquième titre de champion NBA – (CC) Garrett Ellwood/NBAE via Getty Images

Le perfectionnisme de Kobe Bryant en fit une référence légendaire non seulement pour les basketteurs mais aussi pour nombre de champions d’autres disciplines (cf. infra), comme le montrent les hommages qui lui ont été rendus depuis son décès. Mais, parfois, le travail maniaque de Kobe et sa volonté de domination sans partage l’isolèrent de ses partenaires et du public, alors qu’il voulait compenser ce qu’il percevait comme les faiblesses de ses coéquipiers, par rapport à sa propre virtuosité, en prenant une part démesurée dans le jeu de son équipe. Cette approche alimenta les accusations d’égoïsme à son endroit. Il considérait d’ailleurs que, en tant que leader, il n’avait pas assez intégré les nouveaux joueurs du club lors de la saison 2004 et s’attribuait pour cette raison la responsabilité de la défaite des Lakers en finale contre les Detroit Pistons.

Il faut dire que, au-delà de sa discipline personnelle, son esprit de compétition se traduisait également dans son approche du leadership qu’il exposa en 2012 dans un message publié sur Facebook :

Le leadership, c’est la responsabilité.

Il arrive un moment lorsque quelqu’un doit prendre une décision. Etes-vous prêts à faire ce qui est nécessaire pour élever les gens autour de vous ? Si la réponse est ‘oui’, êtes-vous prêts à ce faire même si cela signifie que vous serez perçus comme le méchant ? C’est ce que représente la vraie responsabilité d’un leader. Parfois, vous devez privilégier le succès de l’équipe sur votre image.

La faculté d’élever ceux qui vous entourent dépasse le seul fait de leur passer la balle durant les matches ou de faire en sorte que vos coéquipiers ressentent un certain niveau de confort. Elle induit de les pousser afin qu’ils trouvent en eux les ressorts pour donner leur meilleur, même s’ils vous en veulent sur le moment.

Je préfère être perçu comme un vainqueur que comme un bon camarade. J’aimerais que ces deux qualités aillent tout le temps de pair mais ce n’est pas le cas.

Je n’ai rien en commun avec les gens paresseux qui blâment les autres pour leur manque de succès. Les grands accomplissements résultent du travail et de la persévérance. Aucun excuse“.

Au service de cette philosophie, Kobe Bryant était capable de faire pleurer l’un de ses coéquipiers lors d’un entraînement en le poussant dans ses derniers retranchements. Il expliqua d’ailleurs récemment dans une intervention au sein de l’Université de Californie du Sud qu’il aurait dû faire montre de plus d’empathie, dans la première partie de sa carrière, afin de mieux aider ses partenaires à donner leur meilleur.

Cependant, tout comme Michael Jordan, il était encore plus exigeant avec lui-même qu’avec ses partenaires et les guidait en leur donnant l’exemple à travers son propre comportement.

Sa détermination le conduisit par exemple en 2013, lorsque le médecin des Lakers lui annonça qu’il venait de subir une rupture d’un tendon d’Achille et que son match, très disputé et déterminant pour la suite de la saison de l’équipe, était terminé, à lui demander de lui poser un bandage pour qu’il continue. Le médecin refusa naturellement mais cela n’empêcha pas Kobe de tirer – et marquer – les deux lancers francs qu’il venait d’obtenir (voir la vidéo ci-dessous). Dans le même esprit, il écouta, longtemps après la défaite des Lakers dans la finale de 2008 contre les Celtics, les chansons qui avaient été diffusées dans l’arène de Boston lors de la victoire des basketteurs locaux afin de revivre le sentiment d’échec qu’il avait alors éprouvé. Il prit sa revanche sur l’équipe du Massachusetts dans la finale de 2010 qu’il disputa pourtant avec un doigt cassé et une blessure à une cheville.

Cette quête de l’excellence individuelle et collective passait aussi par une curiosité insatiable et une soif inextinguible d’apprendre. Kobe Bryant expliquait qu’il faut utiliser le monde comme une bibliothèque pour acquérir les compétences permettant de devenir meilleur au service de l’objectif que l’on s’est fixé : il avait pris l’habitude, depuis plusieurs années, de solliciter des dirigeants d’entreprise et des figures des mondes culturel et artistique pour passer du temps avec eux et apprendre les secrets de leur métier et de leur réussite.

Il déclarait à cet égard :

Certaines questions que je leur pose peuvent leur paraître simples et stupides. Mais, si je ne connais pas un domaine, je dois demander des explications à son sujet”.

Sa soif de transmission allait dans les deux sens. En effet, après une carrière au cours de la première partie de laquelle il fut accusé d’égoïsme, il se donna pour mission d’aider les autres à réaliser leur plein potentiel. Quelques jours avant sa mort, il soulignait que la grandeur n’avait aucune valeur si elle ne pouvait pas être partagée, une idée qu’il n’aurait probablement pas émise quelques années plus tôt.

Tout d’abord, il se transforma en mentor de plusieurs sportifs professionnels auxquels il inculqua sa “Mamba Mentality”. Ce mentorat ne concernait pas que des basketteurs, comme le révèle par exemple sa relation avec Novak Djokovic. La force de sa personnalité et sa philosophie transcendait le basket et encourageait ceux qu’il inspirait à donner leur meilleur. En outre, il développa une activité de conteur pour partager sa vision de la vie et ce qu’il avait appris durant sa carrière avec les jeunes générations et les inciter à accomplir leurs rêves. Last but not least, il se donna pour mission d’aider les sportives, à commencer par ses quatre filles, à se réaliser. Ainsi, celui auquel il fut reproché durant presque toute sa carrière de ne pas assez passer la balle à ses partenaires consacrait-il l’essentiel de son temps à passer son expérience et son savoir aux autres. Il donnait aussi de lui-même loin des médias, touchant des anonymes dans la douleur.

C’est dans cet objectif de transmission qu’il écrivit un poème, “Dear Basketball”, afin de dire adieu à son sport et le transcrivit dans un film d’animation (voir ci-dessous) qui lui valut de remporter un Oscar. Il publia un roman pour enfants et adolescents qui fut numéro un sur la liste des meilleures ventes de livres du New York Times. Et il coécrivait un livre pour enfants avec Paulo Coelho au moment de sa mort. Il connut également le succès dans les affaires, en lançant, avec une mise de départ de 100 millions de dollars, un fonds d’investissement qui gère aujourd’hui deux milliards de dollars.

Rien ne l’irritait davantage que d’être réduit au rôle d’un ancien sportif professionnel qui n’a pas fait d’études et ne pourrait donc avoir d’autre futur que de faire fructifier sa fortune et sa marque avec Nike.

Après avoir pris sa retraite sportive, il affirma à ce sujet :

Je vais accomplir quelque chose dans les vingt prochaines années qui sera meilleur que ce que j’ai réalisé dans les vingt dernières.

Pour ce faire, je dois m’assurer que les personnes que je recrute pour mes projets se challengent afin de produire le meilleur travail dont elles s’estiment capables. Si nous avons un projet et que quelqu’un me dit qu’il peut le mener à bien, ce n’est pas le niveau d’ambition que je brigue. Je cherche des personnes qui ne savent pas si elles peuvent contribuer à un projet car, ainsi, elles atteignent un niveau qu’elles ne pensaient pas possible“.

A cet égard, il considérait l’Oscar qu’il reçut pour “Dear Basketball” comme la validation du fait qu’il pouvait réussir ailleurs que dans le basket.

Un autre de ses talents que le monde découvrit après sa retraite fut celui de père de famille. Dans un clin d’œil tragique du destin, en mourant alors qu’il emmenait sa fille Gigi jouer un match de basket qu’il devait coacher, Kobe Bryant acheva sa transformation de serpent tueur des parquets en #girldad, un papa de filles. Et c’est la révélation de la tendresse du Black Mamba qui, au-delà de l’admiration que les gens portent à son talent et son éthique de travail, émut tant de personnes à travers le monde à l’annonce de son décès.

Kobe Bryant – (CC) Kobe Bryant

Au final, la vie de Kobe Bryant est porteuse de trois leçons de management qui résonnent avec certains des thèmes que j’aborde régulièrement sur Superception :

  • la meilleure source de motivation se trouve en nous, pas dans ce que les autres attendent de nous ;
  • la vie n’est rien d‘autre qu’un apprentissage sans fin et, partant, une remise en question sans limite ;
  • s’ils adoptent ces deux principes, les êtres humains ont la capacité de se transformer et, même, se réinventer.

Kobe Bryant n’était ni un saint ni un héros. Comme tous les êtres humains, il était faillible et critiquable. Mais, toute sa vie, il nous montra comment, pour reprendre ses propres mots, devenir de meilleures versions de nous-mêmes.

Souvent, nous admirons des individus car ils font preuve des qualités que nous aimerions avoir. C’était mon cas avec Kobe4.

1 Reconnaissant en Bryant un champion de la même trempe que la sienne, Jordan le prit sous son aile dès son arrivée en NBA et lui apprit beaucoup. Ils restèrent comme deux frères jusqu’à sa mort.

2 Et cinq titres de meilleur joueur de la saison régulière.

3 Il réalisait en moyenne 1 000 shoots – reproduisant des situations de jeu très précises – à l’entraînement chaque jour.

4 Et je ne fais pas ici référence à son talent de basketteur, un sport que je n’ai jamais pratiqué.

6 commentaires sur “Les leçons de management de Kobe Bryant”

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Excellent article sur le parcours et la volonté sans faille d’une personne au destin exceptionnel. Bravo Christophe!

Merci de nous faire découvrir cette magnifique leçon de leadership et d’humanité.

Merci beaucoup pour cet excellent article que je m’empresse de partager.
Un très bel exemple de leadership évolutif et de progression d’un homme exigeant envers lui et qui se donne les moyens d’atteindre ses objectifs.
Inspirant !
Bien à vous

Merci pour ce fabuleux article .
Je suis une très fan de Kobe Bryant notamment en ce qui concerne son éthique personnelle.
Ayant écouté plusieurs de ses interviews , cet article résume vraiment l’éthique et l’état d’esprit de ce dernier.
Je vous souhaite une bonne continuation.

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