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Toute vérité n'est que perception

L’effet Streisand ou la gestion de l’ambiguïté à l’ère numérique

Double démonstration dans le cadre de l’élection présidentielle américaine.

En 2003, Barbra Streisand attaqua un photographe qui avait pris un cliché aérien de sa somptueuse propriété de Malibu. Le photographe gagna le procès, lequel eut pour conséquence de donner une énorme publicité à l’image que Barbra Streisand voulait retirer de la circulation afin de cacher son opulence.

Ainsi était né, dans l’univers de la communication et des médias, “l’effet Streisand” qui pose qu’il est plus préjudiciable de chercher à cacher une réalité considérée comme gênante, et ainsi risquer de lui donner un retentissement démultiplié, que de lui laisser suivre son cours médiatique naturel.

La campagne présidentielle en cours outre-Atlantique fournit deux exemples saillants de cet axiome.

Le premier concerne un article du New York Post, un tabloïd conservateur, accusant le fils de Joe Biden de corruption à partir de documents qui sont fortement soupçonnés d’être des faux créés par la Russie. Ces supposées pièces à conviction ont été remises au journal par Rudy Giuliani, l’avocat personnel de Donald Trump qui était, il y a un an, au centre de ses exactions diplomatiques en Ukraine. Alors, l’équipe Trump tentait déjà d’incriminer Hunter Biden dans une affaire de malversation contre tous les faits établis par les gouvernements concernés.

Les documents publiés par The New York Post proviennent censément de l’ordinateur de Biden Jr. qui aurait été laissé il y a un an et demi, en pleine affaire ukrainienne, dans un établissement de réparation informatique avec des contenus sensibles et un autocollant de la fondation Biden permettant de l’associer à la famille de l’ancien Vice-Président. Le propriétaire dudit établissement, John Paul MacIsaac, un supporter assumé de Donald Trump sur les réseaux sociaux, se serait accordé le droit de prélever les données de l’ordinateur et de les transmettre à Rudy Giuliani. Ce dernier aurait fourni ces dossiers au Post après les avoir conservés par-devers lui pendant dix mois. Last but not least, lorsqu’il fut interviewé, John Paul MacIsaac se contredit à plusieurs reprises sur les faits les plus élémentaires liés à sa miraculeuse trouvaille.

Devant le caractère pour le moins douteux de ces “révélations” effectuées à quelques jours du scrutin présidentiel, Facebook et Twitter décidèrent respectivement de limiter et empêcher la diffusion de l’article du tabloïd new yorkais. Cependant, les accusations de censure portées bruyamment contre le réseau de micro-blogging par les conservateurs américains l’incitèrent à annoncer une révision inepte de sa politique (il ne bloquera plus que les contenus partagés par les pirates eux-mêmes et non ceux relayés par la presse à partir de piratages) et à finalement autoriser le partage de l’article du New York Post.

Outre qu’il rappelle que les réseaux sociaux ne sont toujours pas prêts à mettre en oeuvre des politiques de modération de contenus claires, cohérentes et opérationnelles, cet épisode apporte une démonstration spectaculaire de l’effet Streisand.

En effet, une étude de Zignal Labs montre que la décision de Facebook et Twitter résulta dans un quasi doublement de la visibilité du contenu qu’elle était censée occulter. L’attention accordée sur le web social à la pseudo-enquête du New York Post fut beaucoup plus grande que celle allouée aux articles qui démontraient son caractère éminemment douteux : elle fut partagée près d’un million de fois en quelques jours. Les hashtags #CrookedJoeBiden (“Joe Biden l’escroc”) et #BidenCrimeFamily (“famille Biden criminelle”) furent mentionnés respectivement sur plus de 700 000 et 578 000 tweets dans le même temps. L’article du Post fut même l’information relative à la campagne présidentielle la plus discutée sur les réseaux sociaux durant la semaine où elle fut publiée. On a connu censure plus efficace.

Il s’agit d’une énième illustration de l’un des fondamentaux de la communication de crise : le camouflage, comme le mensonge, est généralement pire encore que le risque qu’il cherche à mitiger.

Hunter et Joe Biden – (CC) Getty

Une autre illustration de ce principe fut fournie par Joe Biden lui-même, dont le refus de répondre aux questions relatives à son éventuelle intention d’ajouter des membres au sein de la Cour suprême s’il est élu à la Maison-Blanche ne fit que donner de l’importance à ce sujet et en faire un souci pour sa campagne. De fait, alors qu’il ne voulait pas provoquer les cris d’orfraie de la droite s’il se déclarait favorable à cette option et ceux de la gauche s’il s’y montrait hostile, il suscita sans surprise de sonores récriminations des deux côtés de l’échiquier politique américain.

Lors de son premier débat télévisé avec Donald Trump il y a un mois, le candidat démocrate apporta une réponse étonnante à la question qui lui fut posée sur cet enjeu majeur : “quelle que soit la position que je prenne à ce sujet, elle deviendra le centre du débat“. Joe Biden a émis des idées fortes sur nombre d’autres thèmes épineux, ce qui rend sa dérobade sur la Cour suprême d’autant plus notable. Sa volonté de ne pas s’aliéner la gauche de son électorat ne va pas l’empêcher de remporter le scrutin mais elle le conduit à quelque peu entacher son image d’authenticité qui est au coeur du contraste qu’il établit avec Donald Trump depuis le début de sa campagne.

Deux semaines après le débat, Joe Biden donna un nouvel élan à la conversation sur sa position à l’égard de la Cour suprême en se déclarant hostile par principe à l’idée d’augmenter le nombre de ses membres mais en précisant que sa résolution finale à ce sujet dépendrait de la manière dont la nomination à la Cour de l’ultra-conservatrice Amy Coney Barrett serait gérée par les Républicains. Or, à cette date, la procédure et l’issue de ladite nomination ne faisaient aucun doute (la Louisianaise a d’ailleurs prêté serment la nuit dernière). Pressé sur le sujet par le journaliste qui l’interrogeait, Joe Biden répondit qu’il communiquerait sa position aux Américains avant le jour de l’élection. Finalement, juste avant le dernier débat télévisé de la campagne, il botta de nouveau en touche en faisant savoir que, élu, il nommerait une commission d’experts auxquels il donnerait six mois pour étudier la question.

Outre le fait que la condition de la démocratie est que les candidats expliquent leur vision aux électeurs afin que ceux-ci puissent se prononcer en toute connaissance de cause (or plus de cinquante millions d’électeurs américains ont déjà voté), l’approche de l’ancien Vice-Président est un contresens dans l’écosystème médiatique actuel : le nombre de relais est désormais si important – étant donné, notamment, que chaque internaute est un média sur le web social – que ce genre d’esquive trouve un écho sans commune mesure avec les répercussions qu’elle aurait eues lorsque l’effet Streisand fut constitué.

C’est pourquoi il convient d’inverser la célèbre recommandation du Cardinal de Retz : aujourd’hui, on ne reste dans l’ambiguïté qu’à son détriment.

2 commentaires sur “L’effet Streisand ou la gestion de l’ambiguïté à l’ère numérique”

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Dans un univers hyper connecté et où l’information circule sans qu’on puisse la contrôler, les réflexes du clan Biden sont étonnamment désuets. À comparer avec l’approche de Trump qui, lui, noie l’internet de contenus, vrais ou faux, donc difficilement vérifiables, et se crée un vrai rempart sémantique.

Bonjour Hervé,

De fait, c’est la stratégie que Steve Bannon, idéologue de la campagne de Donald Trump, avait résumé comme suit : “Les démocrates ne comptent pas. Les médias sont la vraie opposition. Et le meilleur moyen de les contrecarrer est de submerger l’espace médiatique de merde”43 (sic). En réalité, il n’y a pas que les démocrates qui ne comptent pas à leurs yeux. La démocratie n’importe pas davantage.

Amicalement.

Xophe

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