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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

S’il avait voulu être moins critiqué, Elon Musk aurait mieux fait d’acheter TikTok

L’indignation actuelle à l’égard d’Elon Musk, toute justifiée qu’elle est, favorise un aveuglement bien plus grave.

Depuis que son rachat de Twitter est devenu inévitable, Elon Musk1 a accumulé les fautes non provoquées :

  • proposition d’un plan de paix pour l’Ukraine reprenant la propagande de Vladimir Poutine ;
  • publication de plusieurs tweets | odieux, dont le retweet (rapidement supprimé) d’un tweet conspirationniste sur l’agression de Paul Pelosi et tweet de provocation contre The New York Times en réponse à un article du quotidien à ce sujet. De fait, Elon Musk abuse parfois de ce privilège paradoxal qu’ont les personnes les plus riches de pouvoir se permettre des actes gratuits, souvent lorsque leur ego est flétri ;
  • management chaotique | et opaque, avec une coterie, de sa première semaine à la tête de l’Entreprise alimentant toutes les inquiétudes de ses collaborateurs et suppositions des observateurs et exploité par des fielleux pour publier encore plus de contenus haineux sur la plate-forme que d’habitude ;
  • mise en oeuvre sans la moindre empathie des licenciements massifs réalisés au terme de cette semaine ;
  • rappel de plusieurs salariés après les avoir licenciés car leur contribution à des projets essentiels pour l’Entreprise s’était finalement avérée indispensable ;
  • appel à voter républicain lors des élections de mi-mandat qui interroge sur l’opportunisme de cette démarche alors que les conservateurs sont donnés favoris dans les “midterms” et met désormais en doute la neutralité politique de Twitter. L’explication complémentaire selon laquelle il avait voté démocrate toute sa vie n’a fait qu’aggraver les choses car il est (d)étonnant de choisir de changer son vote lorsque le Parti républicain est largement en voie de fascisation.

Les critiques dont il fait l’objet sur ces différents points sont justifiées et j’y ai contribué en me demandant si Elon Musk représente un danger pour la démocratie. A ce sujet, il me semble d’ailleurs que, au-delà de ses potentielles positions politiques personnelles, le plus grand enjeu réside dans les conflits d’intérêt de nature géopolitique entre Twitter et ses autres entreprises, au premier rang desquelles Tesla vis-à-vis de la Chine (centre de production et marché accessible) et du Brésil (accès à des matériaux rares) et Starlink vis-à-vis de la Russie (menaces de destruction de la constellation), ainsi qu’au sein même de Twitter, dont l’Arabie saoudite est désormais un investisseur de tout premier plan.

Cependant, il convient aussi de noter que :

  • les messages politiques d’Elon Musk ne font du bruit que lorsqu’ils choquent, ce qui semble d’ailleurs souvent être son objectif. Ainsi personne ne s’intéressa-t-il à ses tweets sur ses | opinions politiques modérées, convictions caduques si l’on en croit ses derniers messages. A cet égard, Elon Musk fournit une nouvelle démonstration de la double dynamique à l’oeuvre dans les médias (le sensationnel fait vendre des contenus) et les réseaux sociaux (pour engager les internautes, il suffit de les enrager) ;
  • le licenciement d’environ la moitié de l’effectif de Twitter relève davantage de la responsabilité des dirigeants qui ont fait vivre l’Entreprise au-dessus de ses moyens (j’ai depuis très longtemps documenté sur Superception l’inefficacité managériale des dirigeants successifs du réseau de micro-blogging) que de celui qui essaie de la rendre performante. Le PDG de Twitter, Parag Agrawal, a été licencié par Elon Musk et devrait toucher des indemnités de 42 millions de dollars, un montant insensé pour la petite année stérile durant laquelle il a dirigé l’Entreprise mais qui ne provoque aucun scandale. Certes, Elon Musk a surpayé Twitter et doit aussi la passer à la paille de fer pour rembourser l’énorme dette qu’il a ainsi constituée2 mais il n’en demeure pas moins que le ratio chiffre d’affaires par collaborateur de Twitter est sans rapport avec ceux de ses concurrents ;
  • Elon Musk n’a ni changé la politique de modération | de contenus de Twitter ni réintégré Donald Trump sur la plate-forme, contrairement à ce que les médias et observateurs annonçaient les semaines précédant sa prise de contrôle sur l’Entreprise. Il n’est pas acquis que ces changements n’interviennent pas un jour mais cela signale que les innombrables scénarios catastrophe imaginés par les scrutateurs n’ont pas tous été concrétisés ;
  • presque tous les observateurs font désormais montre de réactions pavloviennes à l’égard des déclarations et tweets d’Elon Musk, quels qu’ils soient. Ainsi, lorsqu’il tweeta les conditions d’utilisation de Twitter, fut-il accusé, y compris par des analystes parmi les plus respectables et sérieux, dont certains eurent l’honnêteté de reconnaître leur erreur, de les avoir dépravées, alors qu’il s’agissait du texte en vigueur sous les directions précédentes de l’Entreprise ;
  • last but not least, il apparaît que, comme l’a signalé Elon Musk, des activistes aient bien motivé les annonceurs de Twitter à arrêter leurs investissements publicitaires sur la plate-forme, et ce bien avant la prise de contrôle effective du milliardaire, n’attendant donc pas de le voir à l’oeuvre pour réévaluer leur stratégie.

Face à ces réactions, Elon Musk ne doit s’en prendre qu’à lui-même. Au-delà de ses dérives managériales et comportementales (cf. supra), il n’est pas indifférent qu’il opère sans directeur de la communication ou conseiller en communication depuis quelque temps, ayant été jusqu’à supprimer le service de presse de Tesla il y a déjà deux ans. Chez Twitter, il aurait réduit l’équipe Communication de 100 à deux personnes dans le cadre des licenciements réalisés la semaine dernière. Or c’est une chose d’utiliser sa capacité visionnaire personnelle et l’attrait sans équivalent de ses produits (Tesla) et innovations (SpaceX, The Boring Company, Hyperlink, Neuralink, OpenAI…) pour embellir son image et sa réputation et c’en est une autre de manager la communication relative à la reprise d’une entreprise sur laquelle il n’a pas la même maîtrise et la capacité d’invention à court terme. Les situations et modalités d’expression sont très différentes.

En outre, si la communication disruptive d’Elon Musk va de pair avec des projets aussi novateurs que ceux incarnés par Tesla ou SpaceX, elle convient | beaucoup moins à un projet de redressement de l’une des entreprises les plus sensibles au monde sur le plan politique, lequel n’est pas réductible à des questions d’ingénierie. Ce n’est pas seulement la distinction entre start-up et start-over que Musk semble donc ignorer dans sa communication des derniers mois mais aussi celle entre initiative et riposte émotionnelles : dans ses projets précédents, Elon Musk créait des émotions, souvent positives, chez ses publics, alors que, avec Twitter, il doit davantage répliquer aux émotions, souvent négatives, de ses publics. Il ne s’agit pas de la même contrainte stratégique de communication et, s’il a toujours été surdoué pour gérer l’initiative, il semble s’égarer dans la riposte.

Une des explications de cette difficulté tient certainement au fait que l’homme le plus riche du monde et qui, de surcroît, est arrivé à cette condition non par héritage mais en réalisant des prouesses entrepreneuriales que tout le monde sauf lui croyait impossibles n’est pas habitué à accepter la remise en cause que lui imposent les émotions des autres. Le fait qu’il soit entouré d’une bande de béni-oui-oui, comme l’avait montré la révélation de ses échanges de SMS dans le cadre de son procès avec Twitter, ne fait évidemment qu’amplifier cette dérive.

Il est un dernier facteur qui contribue, dans une moindre mesure, au retentissant dénigrement d’Elon Musk : tous ceux qui veulent se mettre en scène médiatiquement détournent sa notoriété à leur profit3. Le cas le plus ridicule à cet égard est celui de Volker Türk, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, qui a diffusé une lettre ouverte au nouveau propriétaire de Twitter. Il est certes plus facile pour lui de s’attaquer à un dirigeant corporate qu’à des chefs d’Etats membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU qui violent atrocement les droits de l’Homme tous les jours.

Aujourd’hui, il est impossible de savoir si Elon Musk va sauver Twitter, éventuellement en en décentralisant la structure et le fonctionnement dans une approche relevant du web3, en faire un nouveau Parler ou aggraver son déclin. En tout cas, si j’avais touché un euro pour chaque contenu que j’ai lu depuis six mois prédisant son échec à la tête de l’Entreprise, je pourrais désormais prendre de grandes vacances. En ce qui me concerne, pourtant, je ne parierai pas contre lui, même si son plus grand ennemi est devenu lui-même : alors que certains de ses attributs (tolérance extrême au risque, faculté inégalée de remettre en cause les assomptions les plus ancrées contre l’avis dominant, capacité de travail illimitée…) étaient des qualités à ses débuts, ils sont devenus des défauts aujourd’hui car, comme c’est souvent le cas, ses succès démesurés l’ont rendu plus immature et non plus mature.

Illustration par DALL-E 2 (mon entrée de texte : “The Twitter bird looking afraid on a coral blue background 3D render”)

Quoi qu’il en soit de l’avenir de Twitter, la réaction actuelle des internautes, médias et annonceurs à la prise de contrôle d’Elon Musk sur le réseau de micro-blogging est incohérente : le problème ne réside pas dans leurs critiques à son endroit mais dans leur absence de réprobation à l’égard d’autres dirigeants de réseaux sociaux qui sont incommensurablement plus condamnables que lui. Sans même considérer Mark Zuckerberg, qui n’a jamais subi un déferlement tel que celui essuyé par Elon Musk ces dernières semaines malgré toutes les révélations sur ses décisions répugnantes à la tête de Facebook-Meta, intéressons-nous quelques instants à TikTok, qui devient un enjeu de plus en plus important dans nos Sociétés (la proportion d’adultes américains qui s’y informent a triplé en deux ans).

Or on sait que l’application chinoise :

Croyez-vous que cette réalité déclenche des prises de position indignées dans les médias, un charivari sur les réseaux sociaux et le boycott des utilisateurs | et annonceurs4 de TikTok ? Que nenni. Tout va pour le mieux dans le merveilleux monde de ByteDance, la maison-mère de TikTok au sein de laquelle l’Etat chinois détient une action | de référence (golden share). Certes, TikTok ne fait pas l’objet de la même obsession médiatique que Twitter5 et n’est pas dirigée par un omniprésent milliardaire qui fournit une cible idéale aux internautes et médias. Mais ce qui fait le plus de bruit n’est pas toujours ce qui fait le plus de mal : les invisibles patrons de TikTok sont bien plus dangereux que le très visible Elon Musk.

C’est pourquoi, si je pouvais me permettre une supplique à tous les contempteurs de ce dernier, je leur demanderais de continuer de le critiquer mais d’être moins sélectifs et moutonniers dans leurs indignations. Sinon, je finirais par croire qu’Elon Musk aurait mieux fait d’acheter TikTok plutôt que Twitter.

1 Elon Musk est l’utilisateur le plus puissant de Twitter. Avec 114 millions d’abonnés, il a le deuxième compte le plus suivi derrière Barack Obama (133 millions). Mais l’engagement (likes, réponses et retweets) dont il bénéficie est inégalé sur la plate-forme (environ vingt fois plus élevé que celui de l’ancien Président) : chaque tweet qu’il met en ligne recueille en moyenne 371 123 likes, 24 277 réponses et 35 977 retweets.

2 Selon les dires d’Elon Musk, Twitter perd 4 millions de dollars par jour, soit 1,5 milliard de dollars par an. Or une dette de 13 milliards de dollars a été contractée pour permettre son acquisition par Elon Musk. En supposant que le taux d’intérêt annuel de ladite dette soit plafonné à 7,5%, il devrait payer près d’un milliard de dollars d’intérêt à ses banques chaque année. Il s’agit grosso modo du même montant que l’EBITDA engrangé par Twitter en 2021 mais probablement plus un niveau d’EBITDA atteignable en 2022 étant donné l’exode d’une partie de ses annonceurs. Il reste donc à voir si Elon Musk peut faire passer Twitter d’une perte annualisée de 1,5 milliard de dollars à la génération du flux de trésorerie nécessaire pour rembourser ses dettes.

3 J’ai connu ce phénomène lorsque je dirigeais le marketing et la communication de Microsoft en France dans les années 2000 : nombreux furent les concurrents, politiques, activistes et autres organisations ou individus en tout genre qui, pour intéresser les journalistes, référencèrent Microsoft dans leur communication. L’Entreprise était donc citée, par nombre de médias et influenceurs, à propos de sujets qui ne la concernaient pas de prime abord. C’est une dynamique que les leaders les plus visibles d’un secteur d’activité connaissent souvent.

4 Notons qu’une partie des annonceurs qui boycottent désormais Twitter le font parce qu’ils sont concurrents de Tesla.

5 Twitter est le principal vecteur d’influence des journalistes.

Un commentaire sur “S’il avait voulu être moins critiqué, Elon Musk aurait mieux fait d’acheter TikTok”

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Merci de cette analyse mesurée. Effectivement tik tok est un vrai danger pour les cerveaux de notre jeunesse.
Dommage qu’on en parle si peu dans les médias…

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