16 juillet 2024 | Blog, Blog 2024, Management | Par Christophe Lachnitt
L’anti-leçon de management de Didier Deschamps
La piètre qualité de jeu de l’équipe de France ne représente qu’une dérive managériale parmi d’autres du tout-puissant entraîneur des Bleus.
Son comportement durant le récent championnat d’Europe de football donne matière à réfléchir sur plusieurs principes de leadership.
On ne mobilise pas durablement un collectif humain sans idées (à moins de jouer sur la peur)
Depuis douze ans qu’il est sélectionneur, Didier Deschamps a un unique mantra, la victoire, bien moins magique qu’il n’a réussi à le faire croire : l’équipe de France n’a gagné qu’une grande compétition sur six disputées sous son magistère. Et elle n’a remporté que deux matches sur six au cours du dernier Euro en date. On est loin du palmarès de la vraie icône française du coaching de sélections nationales qu’est Claude Onesta.
Or, quand les Bleus ne gagnent pas, il ne reste rien à leur coach, dénué qu’il est de toute idée à partager avec les autres : sans vision, sans stratégie, sans valeurs, le roi Deschamps est nu. Au contraire d’immenses entraîneurs – ainsi de Carlo Ancelotti en matière de valeurs humaines, Pep Guardiola en termes de stratégie de jeu ou Jürgen Klopp quant à sa vision d’un collectif sportif et sociétal -, il n’incarne rien.
Si on se souvient, par exemple, de l’équipe de France de 1982 pour son brio malgré la défaite, il ne restera rien des défaites des équipes de Didier Deschamps en 2021 contre la Suisse, en 2022 contre l’Argentine (à part le réveil aussi brillant que tardif de Kylian Mbappé) et en 2024 contre l’Espagne. C’est pourquoi la victoire est si consubstantielle à son projet et même à son identité : sans elle, les deux sont vidés de tout sens. Il arrive même que les victoires laborieuses de Didier Deschamps soient moins célébrées par les supporters de l’équipe concernée que les défaites flamboyantes de ses successeurs, comme c’est le cas à Marseille avec Marcelo Bielsa.
Aujourd’hui, au niveau national, Didier Deschamps lasse non seulement le public, comme le signalent l’érosion des audiences télévisées des Bleus et le fait que la proportion de partisans favorables à son départ, parmi les fans de football, ait progressé de 26 points depuis juillet 2021. Mais il rebute également une partie de ses joueurs, comme l’indiquent les indiscrétions médiatiques et les commentaires publics d’au moins l’un d’entre deux (Antoine Griezmann).
Douze ans durant, Didier Deschamps s’est avéré un politicard talentueux au sein de la Fédération française de football (FFF) où il a oeuvré en coulisses pour succéder à son ancien coéquipier Laurent Blanc, puis pour rester à son poste contre vents et marées et a contrario des principes qui l’avaient vu succéder au Cévenol. Tous les journalistes se font l’écho depuis plusieurs années qu’il y est omnipotent et indéboulonnable. Pour ce faire, il a notamment fermé les yeux sur toutes les dérives éthiques de Noël Le Graët, l’ancien président de la FFF, dont l’affaiblissement progressif le renforçait. Et son pouvoir politique dépasse aujourd’hui à la fois ses résultats sportifs et l’aura du nouveau président de la Fédération, Philippe Diallo.
De même qu’il a régné par la domination – et non l’enthousiasme – sur ses joueurs (punissant par exemple sans vergogne ceux qui lui manquaient, de Karim Benzema il y a quelques années à Youssouf Fofana il y a quelques jours), mate-t-il ceux qui sont censés le diriger par son influence politique et ses relais médiatiques.
Il a ainsi privatisé un poste qui émane d’une délégation de service public et étouffé toute discussion (cf. infra), alors que les débats dans les autres grandes nations du football (Allemagne, Brésil, Espagne…) sont bien plus vifs au sujet du destin des sélectionneurs qui échouent avec des générations de joueurs aussi talentueuses que celle dont il est doté (voir la démission de Gareth Southgate ce matin malgré un bilan de finaliste de l’Euro 2024, quart de finaliste du mondial 2022, finaliste de l’Euro 2021 et demi-finaliste du mondial 2018 depuis ses débuts dans le poste de sélectionneur de l’équipe d’Angleterre, un palmarès presque sans égal dans l’histoire de cette fonction).
En France, c’est Didier Deschamps qui décide quand il arrête son mandat à la tête des Bleus. Quand il gagne, il gagne. Quand il perd, il interdit tout débat. Comme il n’a jamais su faire bien jouer ses équipes, il s’en est remis, plutôt que de se réformer, à accomplir ce qu’il faut bien appeler cette performance de laver le cerveau des Français pour y associer piètre qualité de jeu et victoire, contre l’évidence fournie par d’autres sélections nationales et contre les résultats de sa propre équipe. A ce sujet, il est d’ailleurs évident que l’excuse incessamment brandie par Didier Deschamps du peu de temps passé en sélection par les joueurs est irrecevable, alors (i) qu’il occupe son poste depuis douze ans et (ii) que d’autres sélectionneurs arrivent à développer des principes de jeu dans les mêmes contraintes d’agenda que les siennes et sur des mandats beaucoup plus courts.
Le progrès est impossible sans remise en question
Déjà, après l’élimination contre la Suisse à l’Euro 2021 et la défaite contre l’Argentine en finale du mondial 2022, Didier Deschamps avait refusé de se livrer à la moindre critique de ses choix. Il s’était également assuré que ses mandataires ne le critiquassent pas non plus et le confirmassent sans le moindre audit ou débat.
Cette réaction découle du point précédent : des entraîneurs qui ont des idées peuvent se remettre en question car ils ont une colonne vertébrale (vision, stratégie et/ou valeurs) qui leur permet de tenir debout lorsqu’ils échouent. Ils peuvent conserver leurs principes, qui sont plus grands qu’eux, et questionner leur application. Sans idée, Didier Deschamps, s’écroule s’il se remet en cause dès lors qu’il est vaincu car sa seule identité est la victoire.
Nous avons assisté à la même séquence qu’en 2021 et 2022 après la défaite contre l’Espagne : Philippe Diallo a immédiatement confirmé Didier Deschamps dans ses fonctions jusqu’en 2026, pour un bail qui s’étendra donc sur quatorze années, et le sélectionneur a commencé à sortir les parapluies avec la réthorique politicienne qui le caractérise :
“Je ne veux pas incomber la responsabilité à l’un ou à l’autre. C’est la mienne. […] Mes joueurs n’étaient pas tous à 100 % pour cette compétition pour différentes raisons“.
On ne saura probablement jamais pourquoi il a sélectionné et fait jouer des acteurs qui n’étaient pas à 100%, laissant de côté, sans même les tester pour la plupart, des talents que d’autres nations nous envient (e.g. Bradley Barcola, Youssouf Fofana, Alexandre Lacazette, Christopher Nkunku, Michaël Olise, Warren Zaïre-Emery) et tandis que d’autres sélections, au premier rang desquelles la victorieuse Espagne, n’ont pas hésité à composer une équipe constituée de plusieurs joueurs bien moins expérimentés que les standards exigés par Didier Deschamps à cet égard. Mais, pour ce faire, faut-il encore mettre le collectif au premier rang de son projet (cf. infra) et ne pas avoir un seul plan de bataille.
Durant le tournoi, il n’avait pas non plus hésité à pointer du doigt ses grognards Olivier Giroud et Antoine Griezmann. Il se cache donc derrière la victoire quand il gagne pour éviter d’être challengé sur le fond et derrière les autres quand il perd.
On peut être sûr que, comme lors de ses revers précédents, Didier Deschamps accordera une interview à un journaliste-ami dans les prochaines semaines, interview dans laquelle il fera semblant d’assumer globalement sa responsabilité pour calmer les esprits sans rien remettre en cause sur le détail de ses décisions.
C’est ainsi que l’équipe de France n’a pas progressé sur le fond depuis une dizaine d’années.

L’arrogance n’est pas tenable quand les résultats ne sont pas au rendez-vous (et elle est regrettable en toutes circonstances)
Au-delà de sa faiblesse ontique (cf. supra), l’absence de remise en cause de Didier Deschamps relève aussi de son arrogance. J’ai ainsi par exemple toujours été choqué par son comportement avec les journalistes qui, sans atteindre les sommets de mépris de Luis Enrique, verse souvent dans la condescendance. Celle-ci s’est aggravée durant cet Euro, embrassant les supporters de l’équipe de France en plus de ses suiveurs médiatiques.
Deux déclarations sont à cet égard aussi représentatives de l’état d’esprit du sélectionneur que scandaleuses :
- [avant le troisième match de poule contre la Pologne, en réponse à une question sur la qualité du jeu des Bleus] “Si les gens n’aiment pas ce qu’ils voient, ils changent de chaîne, c’est plus facile à la télévision. Au stade, ils ont payé le billet, ils restent du début jusqu’à la fin“.
- [après la défaite contre l’Espagne, en réponse à une question sur son avenir à la tête de l’équipe de France] “Moi, je vous respecte, essayez de respecter les personnes qui ont des responsabilités. Je ne vais pas répondre à celle-là aujourd’hui mais vous savez très bien ce que pense mon président. Vous auriez pu très bien ne pas me la poser“.
L’irrespect de Didier Deschamps pour les supporters de l’équipe de France n’a d’égal que le respect qu’il demande à son endroit, jusqu’à vouloir choisir les questions que les journalistes peuvent lui poser. Notons à cet égard que les joueurs de tennis ou les coureurs cyclistes, par exemple, répondent poliment à des questions bien plus acérées sur leurs défaites après plusieurs heures d’un effort qui n’a rien de commun avec celui d’un coach de football.
L’arrogance de Didier Deschamps s’est aussi manifestée publiquement dans la manière dont il répondit au Directeur technique national du football français (DTN), Hubert Fournier, lorsque celui-ci évoqua il y a quelques mois des solutions pour améliorer le bilan catastrophique de l’équipe de France dans les séances de penalties.
Rappelons à ce sujet que la mission de la DTN consiste dans “la détection et la formation du joueur d’élite, la formation et le suivi des entraîneurs et des cadres techniques et le développement des pratiques” et qu'”elle intervient directement dans le cadre des sélections nationales“. Elle est donc plus que légitime pour traiter de cet enjeu. Rappelons également que Didier Deschamps a toujours assimilé les séances de tirs au but à des loteries, à l’inverse de tous les coaches qui leur consacrent des préparations dédiées.
Face au plan proposé par son collègue de la Fédération, Didier Deschamps prit les choses personnellement, même s’il fit mine de s’abriter derrière autrui pour exiger du respect envers lui-même, et oublia, comme à son habitude, l’intérêt général et le débat sur le fond :
“Je trouve ça déplacé et je dirais même irrespectueux. Ce n’est pas par rapport à moi mais par rapport à tous les entraîneurs nationaux, les gardiens de but, les analystes vidéo… Ce sont des mecs compétents, qui préparent les séances. […] Il n’y a pas de problème, je fais en sorte de comprendre, je m’appuie sur la DTN… Après, qu’il y ait peut-être de mauvaises intentions, c’est de notoriété publique”.
Le pauvre Hubert Fournir dut s’excuser publiquement pour sauver son poste. On ne s’attaque pas impunément au grand timonier du football français, encore moins lorsqu’on a raison et qu’il a tort.
Tout autoriser à la star de l’équipe affaiblit celle-ci au lieu de la renforcer
La première erreur que commit Didier Deschamps dans ce domaine fut de déséquilibrer tout le système tactique de l’équipe de France pour éviter à Kylian Mbappé de défendre. La deuxième consista à donner le brassard de capitaine au même Kylian Mbappé, pourtant de loin le joueur le plus égocentrique de son effectif, qui n’avait même pas réussi à obtenir le vote de ses partenaires du Paris Saint-Germain pour recevoir cette distinction.
Mais Didier Deschamps est faible avec les forts et fort avec les faibles : Kylian Mbappé était l’élément le plus puissant, sportivement et médiatiquement, de son effectif et avait, selon les médias, effectué une sorte de chantage au capitanat. Celui-ci lui fut donc attribué contre tout rationnel humain, générationnel et social dans le groupe de l’Equipe de France. Antoine Griezmann en fut logiquement marri.
Au cours du récent Euro, Didier Deschamps alla encore plus loin dans le favoritisme accordé à une star dont l’étoile a pourtant beaucoup pâli cette année sur le double plan des performances et du comportement : il lui accorda des passe-droits qui firent jaser ses autres joueurs. C’est une approche d’autant plus délétère pour le collectif qu’il concerne le primus inter pares des membres de celui-ci.
Didier Deschamps, et tous les managers avec lui, devraient plutôt s’inspirer de la philosophie du grand producteur de musique Jimmy Iovine pour gérer les prime donne (que je traduis ici de manière moins imagée que la citation originale1) : “Si les problèmes deviennent plus gros que le chat, le chat s’en va“.
Des résultats logiquement inférieurs aux objectifs
Imagine-t-on un leader ou manager, dans une entreprise, ne proposer ainsi aucune idée ni aucun principe pour mobiliser ses équipes, refuser toute remise en question face aux échecs répétés eu égard aux objectifs qu’il a lui-même fixés, faire montre d’arrogance pour cacher ses lacunes et tout miser sur un membre de son équipe au détriment du collectif ? Il obtiendrait sans aucun doute des résultats bien décevants.
Il n’est donc pas étonnant que ceux de Didier Deschamps soient largement en-deçà des succès dont il argue pour conserver son poste.
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1 “If the shit gets bigger than the cat, out goes the cat.“
Bravo, tu as tout dit. Le poisson pourrit par la tête…