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Toute vérité n'est que perception

Les influenceurs, nouveaux médiateurs de l’actualité

Une recherche qui leur est consacrée s’avère très instructive.

On observe outre-Atlantique le rôle que les influenceurs jouent dans la relation et, plus encore, le commentaire de l’actualité, une fonction dans laquelle ils remplacent de manière croissante les journalistes et les experts. Au-delà du jugement éthique que l’on peut émettre sur une situation si préjudiciable à l’honnêteté intellectuelle dans un domaine qui devrait être irréprochable à cet égard, il convient de comprendre les vecteurs de crédibilité de ces nouveaux acteurs du débat civique, que certains d’eux transforment d’ailleurs en combat incivique.

Or The Shorenstein Center on Media, Politics and Public Policy de l’Université de Harvard s’est intéressé à ce que les journalistes peuvent apprendre des méthodes utilisées par les créateurs de contenus pour gagner la confiance de leur public, alors que les médias traditionnels sont jugés de plus en plus éloignés de leurs préoccupations par les citoyens.

Il constate que :

Les créateurs individuels travaillent dur pour gagner la confiance de leur public, alors que les journalistes la considèrent largement comme acquise. […] Ils s’efforcent souvent de faire preuve de compétence, de bienveillance et d’intégrité pour gagner la confiance de leur public. Ils font part de leur expertise, répondent aux questions ou aux suggestions des lecteurs, et interagissent avec leurs détracteurs, autant de tactiques qui contribuent à instaurer de la confiance.

Les médias d’information ont déployé moins d’efforts pour établir des relations de confiance avec leur public, et les journalistes des grandes institutions n’ont pas toujours la possibilité de s’engager avec leur public d’une manière qui pourrait renforcer la confiance de celui-ci à leur endroit. En outre, les intérêts des journalistes ne sont pas toujours alignés sur ceux de leur employeur et ils ont parfois du mal à surmonter les problèmes de confiance que le public éprouve à l’égard de celui-ci.

Cela ne signifie pas que les journalistes soient intrinsèquement moins dignes de confiance. En fait, on peut affirmer que les journalistes sont plus dignes de confiance en raison de leurs garde-fous institutionnels, mais ces garde-fous sont souvent des processus internes qui ne sont pas exposés au public. En revanche, les créateurs, qui ont souvent moins de garde-fous internes, ont mis en place des pratiques davantage tournées vers l’extérieur qui contribuent à établir la confiance à leur égard“.

Image créée avec Midjourney – (CC) Christophe Lachnitt

C’est ainsi que, par exemple, Marques Brownlee (représenté ci-dessus) a repris, avec sa chaîne YouTube qui compte une vingtaine de millions d’abonnés, le rôle d’autorité de référence dans la revue des produits de nouvelles technologies qu’occupa longtemps Walt Mossberg lorsqu’il oeuvrait au sein du Wall Street Journal puis de Recode.

Marques Brownlee illustre ce qui semble être une tendance de fond : les citoyens-consommateurs peuvent faire davantage confiance à des individus qu’à des médias. En témoigne également le succès sur des plates-formes telles que Beehiv et Substack de nombreux journalistes qui ont pris leur indépendance éditoriale et économique vis-à-vis des médias qui les employaient pour développer une relation directe avec leur public.

Pour autant, le commentaire de l’actualité, qui est au coeur de la pratique éditoriale des influenceurs, ne peut remplacer la collecte et la relation des faits : une démocratie ne pourrait donc pas survivre si ses citoyens ne s’informaient qu’auprès d’influenceurs. L’exemple des Etats-Unis est éclairant à cet égard : un cinquième des adultes – et 40% des personnes âgées de 18 à 29 ans – s’y informent régulièrement auprès d’influenceurs, avec les conséquences que l’on a pu observer ces derniers temps en termes de désinformation, conséquences que j’avais analysées au lendemain de la deuxième élection de Donald Trump.

Le remplacement des journalistes par des influenceurs, s’il peut paraître aller dans le sens d’une démocratie plus directe en désintermédiant la relation des citoyens à l’actualité, représente en réalité un danger, à long terme, pour nos libertés. Personne de sensé n’aurait l’idée de se soigner en faisant confiance à des personnes dont le fonctionnement du corps humain serait un hobby certes passionné mais ne bénéficiant ni de la formation ni des ressources ni de la déontologie requises pour exercer avec compétence dans ce domaine. Pourquoi, si nous confierions pas notre santé individuelle à des amateurs, devrions-nous leur confier notre santé collective ?

La grande patronne de presse américaine Tina Brown décrivait récemment les médias d’information comme “une profession misérable et angoissée, au sein de laquelle tout le monde est paralysé à discuter du modèle de monétisation“. La meilleure manière de réconcilier utilité civique et rentabilité serait de retrouver la confiance des citoyens en se rapprochant de leurs réalités quotidiennes et en manifestant une éthique de responsabilité sans faille.

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