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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Pourquoi le métavers et le web3 vont transformer la communication et le marketing

L’univers des nouvelles technologies s’enflamme pour deux concepts qui, selon leurs prophètes, vont représenter la prochaine progression de la révolution numérique.

Dans cet article, je vais d’abord peser les promesses respectives du métavers et du web3 (je m’appesantirai davantage sur le second qui est moins connu du grand public que le premier) : l’idée n’est pas de vous proposer une présentation complète de chaque concept mais un survol permettant de comprendre leurs répercussions sur les stratégies de communication et de marketing dont je traiterai ensuite.

Le métavers

Le terme de métavers fut inventé par l’auteur Neal Stephenson en 1992 dans son roman de science-fiction “Snow Crash”. Depuis quelques années, il est remis au goût du jour et pensé dans le cadre des possibilités technologiques et des usages actuels par Matthew Ball, le meilleur analyste du secteur des jeux vidéo. Il donnait récemment un cadre théorique précis au métavers : “le métavers est un immense réseau interopérable de mondes virtuels en 3D représentés en temps réel qui peuvent être expérimentés de manière synchrone et persistante1 par un nombre illimité d’utilisateurs avec un sentiment individuel de présence et avec la continuité de données telles que l’identité, l’histoire, les droits, les objets, les communications et les paiements“.

Ce concept fut ensuite repris par Mark Zuckerberg, qui était convaincu depuis longtemps que la réalité virtuelle serait la prochaine interface homme-machine dominante et avait acquis Oculus en 2014 pour concrétiser cette vision, sans d’ailleurs beaucoup de succès jusqu’à présent. Puis, empêtré dans les nombreux scandales résultant des documents internes à Facebook révélés par la lanceuse d’alerte Frances Haugen, “Zuck” lança une gigantesque campagne de diversion, l’équivalent corporate de l’opération Fortitude durant la Seconde guerre mondiale : il s’arrogea le concept de métavers jusqu’à renommer le groupe Facebook en Meta.

Meta est pourtant loin d’être la seule entreprise impliquée dans le développement du métavers, voire celle qui y est la plus en pointe. Des groupes tels que Microsoft, Nvidia ou Roblox pourraient par exemple plus légitimement prétendre à ce titre. La meilleure définition du métavers émane d’ailleurs à mon sens de Satya Nadella, le PDG de Microsoft, qui explique qu’il permettra d'”intégrer l’informatique au monde réel et le monde réel à l’informatique“. De fait, le métavers devrait relier d’innombrables expériences physiques et numériques et permettre aux internautes de passer à leur guise de l’une à l’autre en conservant leur identité, leurs réseaux de relations et leurs biens. Il s’agira in fine de créer un jumeau numérique de notre monde physique2. Cette aspiration signale un enjeu fondamental de la mise en place du métavers, au-delà de l’adoption par les internautes des équipements nécessaires : l’interopérabilité sans précédent qu’elle requerra entre les différents technologies, équipements et systèmes d’entreprises dont l’ouverture et la transparence à l’égard de leurs paires ne sont pas, loin s’en faut, les qualités premières.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous ne pouvons observer aujourd’hui que des mini-métavers, futures briques d’un grand métavers qui ne sont pas encore interconnectées. Dans ce contexte, la meilleure représentation actuelle du métavers est certainement Roblox, une plate-forme numérique qui propose un univers virtuel intégré au sein duquel les participants peuvent participer à plus de 40 millions d’expériences largement créées par les internautes, au premier rang desquelles des jeux vidéo. Les joueurs peuvent passer d’une expérience à l’autre en conservant la même identité et en utilisant une monnaie numérique (le Robux). Roblox peut être pratiqué avec des équipements de réalité virtuelle et, plus prosaïquement, sur des smartphones et des ordinateurs.

Pour que le métavers se réalise, il faudrait que Roblox soit relié, sans la moindre friction pour les utilisateurs, à d’autres mini-métavers tels que Decentraland, Fortnite, Horizon Worlds d’Oculus-Meta, The Sandbox ou Virbela. Cette liaison nécessitera notamment la mise en place de protocoles de transfert des informations critiques (identités, monnaies…). Il est ainsi à parier que “le” métavers dont il est si souvent fait mention se traduira en fait dans la réalité par le développement de plusieurs métavers.

Toujours est-il que le concept de métavers a mis le feu à l’univers des nouvelles technologies et est devenu en quelques mois un buzzword incontournable : au deuxième trimestre 2021, il fut mentionné dans cent conférences téléphoniques de présentation des résultats d’entreprises cotées contre seulement neuf séances six mois plus tôt.

Comme le montre la liste des entreprises qui communiquent à son sujet, la notion de métavers ne concerne pas que les applications grand public. Ainsi Jensen Huang, le cofondateur et patron de Nvidia, compte-t-il utiliser les capacités de simulation de ce qu’il appelle l’omniverse afin d’accélérer la conception de ses offres et de réduire les gaspillages de sa chaîne de production. Microsoft, pour sa part, ambitionne que le métavers fusionne progressivement avec ses plates-formes de collaboration telles que Teams.

(CC) CoinDesk

Le web3

Le web1 correspondit à la consommation de contenus par les internautes, tandis que le web2 est caractérisé par l’interactivité entre producteurs et consommateurs de contenus. Le terme “web3”, lui, fut créé en 2014 par Gavin Wood, l’un des fondateurs d’Ethereum, la blockchain plus populaire au monde. En effet, le web3 repose sur la technologie blockchain, qui permet notamment de vérifier de manière décentralisée des transactions en utilisant la méthode de la preuve de travail : la résolution d’énigmes cryptographiques très difficiles qui garantissent que les transactions soient validées avec le bon niveau de permission et ne puissent plus être modifiées après qu’elles ont été ajoutées à la blockchain concernée.

Le web3 opère dans le cadre de la tokenomique (ou tokenomics), l’économie des tokens (ou jetons). Les tokens sont des unités numériques de cryptomonnaie et constituent la monnaie d’échange acceptée consensuellement sur le marché financier parallèle que représente une blockchain.

Le principe cardinal du web3 est donc la décentralisation : les plates-formes et applications y sont construites et détenues par les internautes. Ce faisant, l’un des objectifs des concepteurs du web3 est de contourner, et donc mettre à mal, le pouvoir absolu des champions de la Silicon Valley (Apple, Google, Meta…) pour donner une réelle liberté d’action aux internautes en général et aux créateurs en particulier. Cet effort de démocratisation d’Internet va de pair avec une protection accrue de la liberté d’expression et du respect de la vie privée, les services numériques n’étant plus fournis aux internautes en échange de leurs données privées.

Cette vision alimente un débat animé entre ceux qui l’envisagent comme un artifice marketing pour promouvoir les cryptomonnaies à partir de capacités existant déjà dans les architectures numériques actuelles, même s’ils reconnaissent l’utilité du web3 dans le domaine des paiements, et ceux qui la considèrent comme une évolution d’Internet aussi importante que le métavers.

La traduction concrète de la décentralisation du web3 (DAO, dApps, DeFi…)

Sur Ethereum, l’Ethereum Name Service (ENS) fonctionne de manière analogue au Domain Name System (DNS) qui convertit les adresses IP en noms de site Internet : l’ENS convertit les chaînes hexadécimales représentant une adresse sur la blockchain Ethereum en noms se terminant par le suffixe “.eth”. Il est possible de voir tout ce qu’un internaute a stocké sur la chaîne en ajoutant le suffixe “.xyz” à son nom Ehtereum, comme vous pouvez le constater sur la page de Vitalik Buterin, l’un des cofondateurs d’Ethereum : vitalik.eth.xyz. Ce mode opératoire représente les prémices du développement d’une identité et d’une propriété numériques contrôlées par les internautes et non plus par des mastodontes corporate.

Cette approche permet par exemple la création d’organisations autonomes décentralisées (decentralized autonomous organization ou DAO), des “entreprises” fondées sur une communauté d’intérêt détenues et gérées collectivement par leurs membres sans leadership verticalisé. Les décisions y sont prises dans le cadre de votes internes et non par un dirigeant. La charte d’une DAO, enregistrée dans un registre immuable sur une blockchain, est complètement transparente et modifiée par consensus. Ce fonctionnement permet de créer des DAO en toute confiance avec des personnes que l’on ne connaît pas. Des travailleurs et créateurs autonomes répartis à travers le monde peuvent ainsi constituer des DAO pour monétiser, sans intermédiaire, leur labeur. C’est pourquoi les DAO pourraient créer un nouveau paradigme du travail facilitant l’échange mondial de leurs travaux par des talents indépendants mais interconnectés.

De même, les applications décentralisées (decentralized applications ou dApps) sont des applications dont le code source est conçu et hébergé sur un réseau peer-to-peer de serveurs indépendants (et non sur des serveurs centralisés) appartenant aux internautes (et non aux créateurs de l’application). Le contrat qui régit une application décentralisée est accessible à tous les internautes. Les créateurs d’une application décentralisée ne peuvent pas la contrôler. Par exemple, les concepteurs d’une dApp de réseau social ne pourraient pas retirer un message mis en ligne par un internaute ou “déplateformer” un membre du réseau. Ils ne pourraient pas davantage vendre les données de leurs membres à des tiers. Ce fonctionnement repose sur des contrats intelligents (ou smart contracts), des programmes informatiques déployés sur une blockchain et conçus pour exécuter les règles d’un contrat, sans intervention humaine, lorsque certaines conditions sont réunies.

Toujours dans la même logique, la finance décentralisée (decentralized finance ou DeFi) permet d’effectuer, sans passer par un intermédiaire, un grand nombre d’opérations financières : paiements, transferts de valeurs, échanges de devises, gestion d’actifs, produits dérivés, prêts, assurance… La DeFi fonctionne également avec des contrats intelligents sans la coûteuse intervention d’une institution financière centralisée (banque, bourse…). Comme pour les DAO et les dApps, le code des applications DeFi est open source, ce qui permet aux utilisateurs de le vérifier.

Alors que l’interopérabilité est le talon d’Achille du métavers, la centralisation est le défi majeur du web3.

En premier lieu, la richesse y est encore plus concentrée que sur le web2. Ainsi 9% des comptes enregistrés sur Ethereum détiennent-ils 80% de la valeur des NFT qui y sont hébergés, 2% des comptes Bitcoin possèdent-ils 95% de l’offre de bitcoins et 0,1% des mineurs de bitcoins représentent-ils la moitié de sa production minière totale. En outre, l’expérience de la grande majorité des internautes avec le web3 dépend d’entreprises qui reproduisent le modèle de centralisation antérieur : Coinbase et FTX pour l’échange de cryptomonnaies, OpenSea pour la commercialisation de NFT, Alchemy et Infura pour le développement logiciel et Discord pour la communication. La plupart de ces acteurs prélèvent des honoraires tout comme leurs prédécesseurs, par exemple 2,5% des transactions effectuées sur OpenSea et entre 0,5% et 4,5% sur Coinbase.

En second lieu, il semble difficile, voire impossible, d’assurer la sécurité des utilisateurs du web3 sans un minimum de centralisation. Un épisode récent témoigne d’ailleurs de ce problème. Il y a quelques semaines, un cambriolage eut lieu sur Ethereum : Todd Kramer, un galeriste de New York fut victime d’un hameçonnage (ou phishing) qui permit aux voleurs de dérober seize tokens non-fongibles (NFT), des oeuvres d’art dématérialisées, représentant une valeur de plus de deux millions de dollars. Or, comme nous l’avons vu, la technologie blockchain n’autorise pas que les transactions réalisées dans son écosystème soient inversées, ce qui empêchait en théorie l’amateur d’art de récupérer ses possessions. De fait, l’absence d’autorité centrale entrave la mise en place de protections efficaces, alors que, dans la vie réelle, un vol de deux millions de dollars aurait mobilisé toutes les polices du pays concerné. En l’espèce, c’est un retour à la bonne vieille centralisation du web2 qui sauva notre collectionneur : OpenSea, la principale place de marché de NFT, gela les tokens volés, empêchant les brigands numériques de les y revendre. Ainsi donc, l’Entreprise, déjà valorisée à plus de 13 milliards de dollars, arbitra rapidement entre le respect de sa philosophie et la pérennité de son modèle économique.

Au final, l’un des problèmes communs aux concepts de métavers et de web3 procède du fait qu’il est beaucoup plus aisé de faire évoluer une plate-forme propriétaire qu’un protocole informatique décentralisé : c’est la raison pour laquelle, par exemple, le cryptage de bout en bout de WhatsApp fut réalisé en une année une fois que ses dirigeants le décidèrent alors que les emails ne sont toujours pas cryptés. L’interopérabilité du métavers et la décentralisation du web3, qui se complètent, risquent donc d’être des efforts de très longue haleine.

(CC) Tyrone Siu/Reuters

Stratégies de communication et marketing

Il y a six ans, à l’occasion de la publication de mon 2 000ème article sur Superception, je consacrais une réflexion aux conséquences du numérique sur ces stratégies. Il est temps de compléter cette analyse à la lumière des promesses respectives des métavers et du web3. Ceux-ci vont transformer les stratégies de contenus, de médias et de relations des marques avec leurs parties prenantes.

En matière de contenus, la première et principale évolution va être l’avènement de la co-création de contenus par les marques avec leurs audiences ou, de manière tout aussi importante, par les audiences avec leurs marques favorites. Cette mutation va être encore plus difficile à appréhender pour les entreprises que celle qui avait caractérisé le web2, la création de contenus par les internautes (user-generated content ou UGC). Aujourd’hui, l’UGC représente 39% de la consommation médiatique des Américains, une proposition considérable étant donné les gigantesques investissements consentis par les médias et certaines marques pour séduire les audiences. Une révolution corollaire résidera dans le fait que cette co-création concernera non seulement des contenus mais aussi des expériences, en particulier dans les métavers.

En outre, chaque produit ou application représente, sur le web3, une opportunité d’investissement : un internaute qui s’inscrit sur une salle de chat ou pour participer à un projet reçoit des tokens lui permettant d’utiliser l’application ou l’organisation concernée et d’avoir son mot à dire dans sa gouvernance décentralisée. Or la valeur desdits tokens s’appréciera si l’application ou l’organisation attire davantage d’internautes. Les activités de communication et de marketing des entreprises dans le web3 vont donc devenir des véhicules d’investissement communs entre les marques et leurs parties prenantes.

A l’époque du web1, les marques étaient dans une relation verticale où elles communiquaient vers leurs publics internes et externes : la communication était généralement descendante car les dirigeants détenaient alors l’essentiel des informations sur leurs organisations respectives. A l’ère du web2, les marques ont dû apprendre à développer une relation horizontale où elles communiquent avec leurs publics car beaucoup d’informations les concernant sont mêmement accessibles à toutes leurs parties prenantes. Dans le cadre des métavers et du web3, elles vont devoir franchir une étape de plus et développer une relation égalitaire avec leurs publics car une partie significative des contenus et expériences se rapportant à elles seront créés par leurs parties prenantes dans leurs propres univers et parfois avec un objectif financier commun.

Quand on sait qu’une majorité de entreprises n’ont pas encore digéré la transition du web1 au web2, on peut se figurer quel challenge ces nouvelles évolutions vont représenter. Elles toucheront évidemment la communication externe et le marketing des marques. Mais il ne faudra pas que celles-ci l’ignorent dans leur communication interne. C’est d’ailleurs certainement dans cet univers qu’il sera plus difficile, culturellement, pour les entreprises de s’approprier cette évolution qui modifiera en profondeur leurs relations avec leurs collaborateurs, y compris en termes de management, et ce d’autant plus qu’elle correspond aux attentes des jeunes générations.

Dans tous les cas, le fait que ces contenus et expériences soient co-créés par une marque et des membres de son audience leur donneront d’autant plus de chances d’être relayés par ces derniers. Cet élément devrait motiver les entreprises réticentes à accepter les changements culturels et les risques d’image associés à cette transformation de leur stratégie de contenus. Last but not least, cette co-création pourrait permettre d’assurer une meilleure représentation de la diversité des publics d’une marque dans sa communication et son marketing.

Le deuxième changement lié aux contenus a trait à l’apparition d’un nouveau type de production, les tokens non-fongibles ou NFT (cf. supra). Les marques vont pouvoir produire des éditions limitées de NFT et les offrir à leurs salariés les plus méritants, leurs clients les plus fidèles et leurs influenceurs numériques les plus performants : il s’agira pour elles d’une création quasi gratuite de biens très appréciables pour leurs parties prenantes car la technologie blockchain garantit la rareté des NFT (qui ne peuvent pas être contrefaits). Les marques pourront également commercialiser des NFT, comme le signalent les initiatives de certaines entreprises grand public dans ce domaine : Nike a acquis RTFKT (prononcez “artefact”), une entreprise qui réalise des chaussures de sport virtuelles pour les métavers sous forme de tokens non-fongibles, et Adidas a lancé une collection de NFT. Dans ces exemples, le contenu et l’expérience sont indissociables de l’offre commerciale. Cette approche est évidemment plus facile à adopter pour des marques dominantes que pour des challengers.

Les NFT peuvent également être utilisés par les marques pour donner accès à des expériences privilégiées. Il s’agit du même principe que celui que Republic Realm applique à plus grande échelle : le fonds d’investissement dans l’immobilier des métavers développe une académie de formation aux métavers dans laquelle les participants recevront, en échange de leur paiement, des NFT leur permettant d’assister aux cours.

Enfin, l’évolution des stratégies de contenus dans le cadre des métavers et du web3 passera aussi par des actions aussi basiques que la protection juridique des éléments de marque (logo, motto…) dans la sphère virtuelle, ainsi que Nike le fit récemment.

En matière de médias, les marques vont être, encore plus que sur les médias sociaux, confrontées à une concurrence sans limites de contenus et expériences créés par les internautes pour capter l’attention du public. Aujourd’hui, la marque la plus populaire sur Instagram (Nike) s’y classe en onzième position derrière dix stars du sport et du divertissement. Sur YouTube, Apple arrive treizième derrière douze “youtubeurs”. Imaginez ce que sera l’état de ce marché de l’influence sur les métavers et le web3 qui sont conçus pour rémunérer de manière inédite les créateurs de toute nature.

Par ailleurs, la notion même de média va changer : elle ne sera plus bornée par l’écran que nous regardons mais deviendra tridimensionnelle, voire quadridimensionnelle. Certes, les métavers permettent, comme le monde réel, de diffuser des campagnes de publicité qui interrompent la consommation de contenus, ainsi qu’en témoignent les panneaux virtuels de Bidstack. Mais les stratégies publicitaires devront être transformées pour s’inscrire au coeur des expériences vécues par les internautes sur les métavers. De fait, le point commun aux métavers et au web3 réside dans le fait que les audiences n’y sont (presque) jamais passives. On peut prédire le triomphe de créations toujours plus immersives et interactives, souvent fondées à l’avenir, elles aussi, sur des approches de co-création entre les marques et leurs audiences. C’est ainsi, par exemple, que, sans encore aller jusqu’à une approche co-créative, Gucci proposa l’an dernier sur Roblox durant deux semaines “The Gucci Garden”, une expérience qui complétait virtuellement l’exposition “The Gucci Garden Archetypes” qu’elle avait installée à Florence. Sur Roblox, les internautes pouvaient acquérir des éditions limitées de NFT. Cette initiative rapporta 286 millions de Robux à Gucci, soit environ un million de dollars.

En outre, alors que le rayonnement médiatique repose, dans le web2, sur l’accès des marques à des données utilisateur stockées dans les serveurs de géants de la Silicon Valley, ces données seront contrôlées, dans le web3, par les internautes eux-mêmes, auxquels les entreprises seront connectées directement. Il est impossible de surestimer l’importance de ce changement. L’approche des marques en termes de captation de l’attention et d’appel à l’action ne pourra pas être la même qu’aujourd’hui : la personnalisation et la transparence vont devenir incontournables à toutes les étapes de la relation pour cultiver la confiance réciproque qui sera plus indispensable encore dans ce nouvel écosystème. La recherche intéressée du plus grand nombre de vues, likes et partages va devenir encore plus inconvenante. L’authenticité sera un déterminant toujours plus critique de la pertinence médiatique des entreprises. Pour autant, la technologie blockchain permettra aussi aux marques de payer les internautes en tokens pour qu’ils leur consacrent une part de leur attention, ce qui est déjà possible sur le navigateur Internet Brave Browser.

Parallèlement, les applications mobiles et réseaux sociaux d’entreprise centralisés vont être remplacés par des applications décentralisées (cf. supra) créées par les marques avec leurs parties prenantes. Ici également, la révolution culturelle engendrée par cette co-création sera au moins aussi importante en matière de communication interne et d’engagement des collaborateurs que de marketing et d’acquisition de clients.

Dans tous ces domaines, les marques vont donc devoir pratiquer un marketing de l’association après être passées du marketing de l’interruption (web1) au marketing de la permission (web2). Dans le marketing de l’interruption, dont l’exemple le plus représentatif est le spot de publicité télévisé, les messages des marques interrompent la consommation de contenus. Dans le marketing de la permission, dont l’exemple le plus représentatif est l’abonnement à la page d’une marque sur un réseau social, les internautes donnent la permission aux marques de leur communiquer des informations. Dans ce que j’appelle le marketing de l’association, les marques et leurs audiences s’associent pour produire ensemble de la perception : la marque ne se contente plus de cibler une audience, elle collabore avec une partie de son public pour influencer le reste de ses parties prenantes. La puissance communautaire des marques qui adopteront cette stratégie s’en trouvera décuplée.

Enfin, il serait judicieux, pour se positionner dans ce nouveau contexte médiatique, que les marques achètent des noms de domaine pertinents sur des blockchains, comme le fit récemment Budweiser en acquérant le domaine “beer.eth” sur Ethereum.

En matière de relations avec leurs parties prenantes, le principal impact des métavers et du web3 va concerner le parcours client. La révolution numérique a sonné le glas, il y a plusieurs années déjà, du tunnel de conversion. De fait, celui-ci est de moins en moins linéaire : les prospects ne commencent plus leur parcours d’achat seulement à son début et sautent souvent certaines de ses étapes dans leur appréhension, à travers de multiples canaux et lorsqu’il leur sied, d’un fournisseur ou prestataire potentiel. Les développements en cours vont renforcer cette tendance. Etant donné que les métavers vont progressivement représenter des jumeaux numériques persistants de la vie physique, ils donneront davantage encore l’opportunité aux marques d’être en contact avec leurs prospects durant l’ensemble de leur processus d’information et de décision, sans respecter l’ordre des étapes du tunnel de conversion.

La virtualisation de la relation clients est une autre opportunité offerte par les métavers et le web3. Ainsi H&M a-t-elle créé un magasin sur la plate-forme de réalité virtuelle CEEK City, où les consommateurs peuvent se promener et acheter des vêtements en payant avec des pièces CEEK. Dans la même optique, les marques pourront acquérir des espaces dans des mondes virtuels3 qui font aujourd’hui l’objet d’une forme de ruée vers l’Ouest avec des investissements imposants. Les entreprises peuvent y installer des boutiques ou des expériences. C’est ainsi, par exemple, que l’Australian Open de tennis se tient ces jours-ci dans un métavers (Decentraland) en même temps qu’il se déroule à Melbourne. Au mois de mars prochain, la Fashion Week se produira elle aussi sur Decentraland. Nike est allé plus loin en créant Nikeland sur Roblox où les participants peuvent notamment jouer en transférant dans le monde virtuel les mouvements qu’ils réalisent en portant des objets connectés. La chaîne de restaurants Chipotle, pour sa part, a ouvert un établissement virtuel sur Roblox où les internautes peuvent gagner des bons d’achat à utiliser dans ses restaurants physiques.

Paradoxalement, cette virtualisation va aussi ramener la relation clients à ses origines : l’analyse du comportement des consommateurs pendant qu’ils essaient virtuellement un produit (par exemple un meuble pour leur domicile) et signalent, par l’attention qu’ils lui dédient, leur préférence ou leur désintérêt. Une nouvelle technologie (la réalité virtuelle) remettra ainsi l’être humain au coeur de la relation client et rendra partiellement obsolète la technologie précédente (les algorithmes).

La fidélisation des clients va représenter une autre évolution marketing majeure : sur le web3, les acheteurs les plus fidèles recevront des tokens en lieu et place des points de fidélité et des bons d’achats auxquels nous sommes habitués. Ces tokens pourront leur donner la possibilité de participer à la gouvernance des programmes de fidélité et ainsi modifier leur relation avec la marque concernée.

Naturellement, les métavers et le web3 auront aussi des répercussions majeures sur la relation des entreprises avec leurs collaborateurs. Les méthodes de travail vont évoluer avec les organisations et les applications décentralisées et le recours aux travailleurs indépendants va significativement augmenter. Plus globalement, la virtualisation du travail sur les métavers, sans commune mesure avec ce que nous connaissons depuis le début de la pandémie du Covid-19, devra donner naissance, pour être pertinente, à un monde numérique reflétant les aspects les plus essentiels du monde physique. Ce sera assez aisé pour ses éléments les plus formels (rendez-vous individuels, réunions de groupe…) mais plus délicat pour ses ingrédients informels (tous les sous-produits sociaux du travail tels que les discussions improvisées dans les couloirs ou à la machine à café…), surtout avec des travailleurs indépendants qui ne se connaissent pas dans la vie réelle. Ces évolutions auront des conséquences majeures sur la communication interne des entreprises concernées. Il s’agira notamment pour elles d’entretenir un sentiment d’appartenance, de projeter un sens commun et de faire vivre une collectivité au quotidien dans ces nouvelles conditions.

Dans tous ces domaines, les relations des marques avec leurs parties prenantes internes et externes sont passées du monocanal à l’omnicanal. Sur le web1, les entreprises pouvaient déployer leurs stratégies de communication et de marketing de manière monocanal car elles pouvaient adresser des messages distincts à leurs différents publics, ceux-ci ne s’entremêlant pas. Dans le cadre du web2, une distinction par silo n’est plus possible car tous les publics se retrouvent sur les médias sociaux : la singularité des messages diffusés à chaque audience doit donc être remplacée par l’unicité, non seulement du discours des marques mais aussi de leur comportement sur tous les canaux. Dans le contexte des métavers et du web3, je considère que les entreprises vont devoir déployer une approche que j’appelle isocanal : elles devront être aux côtés de leurs parties prenantes de manière totalement indifférenciée et fluide dans tous les univers physiques et virtuels. Ce sera aussi vrai pour le travail quotidien de leurs collaborateurs que pour l’expérience d’achat de leurs clients. Nous ne sommes qu’au début de cette évolution qui se matérialise aujourd’hui par la reproduction virtuelle d’expériences physiques. Demain, le défi sera de les combiner et de les rendre non pas comparables dans leurs univers respectifs mais intégrées dans un seul univers.

(CC) Christophe Lachnitt – Superception

N’attendez pas qu’il soit trop tard

Les pistes qui précèdent ne visent pas à être exhaustives car nous ne sommes qu’au début d’une potentielle révolution.

A cet égard, c’est par optimisme que j’ai rédigé cet article au futur alors que le conditionnel conviendrait certainement mieux. En effet, outre les défis propres aux métavers (interopérabilité) et au web3 (décentralisation), il faut aussi considérer les risques inhérents à chaque transition technologique. Il est ainsi tout à fait envisageable que nous connaissions une bulle du métavers et/ou du web3 comparable à la bulle Internet.

Considérez par exemple que, aujourd’hui, plus de 900 startups actives dans les nouvelles technologies valent plus d’un milliard de dollars à travers le monde, alors que, il y a seulement quelques années, on s’inquiétait que cette catégorie en compte 80. De surcroît, davantage de startups américaines sont devenues des licornes en 2021 qu’au cours des cinq années précédentes cumulées. Outre-Atlantique, les créateurs de start-up n’ont d’ailleurs presque plus besoin de démarcher les investisseurs. Ce sont ces derniers qui les approchent (phénomène dit du “reverse pitch”) : l’année dernière, les startups américaines ont levé 330 milliards de dollars, contre “seulement” 167 milliards en 2020, montant qui constituait pourtant un record.

La bulle Internet, après tout, ne fut qu’une correction de l'”irrationnelle exubérance” des marchés financiers. Elle ne remit pas en cause le potentiel des technologies numériques, même si elle en décala quelque peu la concrétisation en faisant le tri des startups porteuses d’avenir et des vendeuses de business plans chimériques. L’exubérance actuelle des marchés n’est donc peut-être qu’un signe de plus des possibilités offertes par cette nouvelle génération de technologies. Ainsi vaut-il mieux que les marques se préparent plutôt que d’être prises de court dans le futur : on sait, avec les technologies et usages numériques, que tout retard pris au départ est difficile à rattraper car cet univers évolue à grande vitesse.

Dans cette optique, il me semble important d’appliquer trois principes :

  • Conduire des expérimentations dans le cadre d’une approche “test and learn”. J’ai l’habitude de dire que l’expérimentation est l’airbag de l’innovation et rarement cet airbag aura-t-il été aussi nécessaire, pour les marketeurs et les communicants, qu’aujourd’hui. Ces tests doivent aussi permettre de commencer à définir des métriques de performance pertinents pour ces nouveaux domaines.
  • Jauger l’effet de ces expérimentations sur les activités courantes de communication et marketing. Tester les métavers et le web3 de manière totalement indépendante des programmes nominaux d’une marque ne produirait pas des résultats exploitables car ces expérimentations seraient réalisées in vitro et non in vivo.
  • C’est un autre credo que je répète souvent : il n’y a (quasiment) plus de différences entre la communication et le marketing des entreprises des secteurs B2C, B2B et B2G car elles s’adressent toutes à des parties prenantes qui ont les mêmes pratiques numériques. Il n’est donc pas seulement l’heure pour les entreprises B2C de commencer à expérimenter les métavers et le web3 mais aussi pour celles actives sur des marchés B2B et B2G. C’est d’autant plus vrai que toutes ont besoin de recruter des jeunes talents qui sont très en avance eu égard aux mutations évoquées dans cet article.

Naturellement, la transition vers les métavers et le web3 sera plus difficile à mener pour les ETI et les PME que pour les grands groupes et plus délicate encore pour les commerçants. Mais elle me semble indispensable pour la pertinence de leur développement à relativement court terme.

Les métavers et le web3 vont faire advenir un monde dans lequel les marques devront avoir une relation d’égal à égal avec leurs audiences dans leurs stratégies de contenus, développer un marketing de l’association avec leurs audiences aussi bien internes qu’externes et créer un univers isocanal pour satisfaire leurs salariés et clients. Ces trois évolutions vont représenter une profonde mue culturelle et mentale pour les entreprises qui vont s’y atteler.

Il n’est jamais trop tôt pour changer de monde et, partant, contribuer à changer le monde.

1 La plate-forme numérique (aujourd’hui, le plus souvent, des jeux vidéo) ne s’interrompt pas lorsqu’un internaute cesse de l’utiliser. Il la retrouve dans un état différent lorsqu’il s’y reconnecte.

2 Ainsi, par exemple, au lieu d’apprendre l’histoire de France dans un livre, les élèves pourraient-ils revivre ses grands événements en étant immergés au milieu d’eux.

3 Il existe même une Terre 2.0 où nous pouvons tous acquérir, détenir et vendre du terrain.

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