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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Prêt-à-penser et post-vérité

Sujet du livre

La révolution numérique présente un danger inédit pour la démocratie. Dans Prêt-à-penser et post-vérité, Christophe Lachnitt analyse ses effets sur le dévoiement du débat politique, la crise des médias d’information et les engagements émotionnels des citoyens. Il propose des pistes de réflexion pour l’avenir, y compris dix mesures de régulation des plates-formes numériques. Au fil de son propos, il établit également une radiographie de l’Amérique de Donald Trump.

Disponible aux formats papier et ebook sur :

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Interview de l’auteur

Crédit photo : Véronique Fel

© Véronique Fel

Comment la révolution numérique change-t-elle la politique ?

La révolution numérique a accouché de deux phénomènes qui bouleversent le débat public et la vie civique :

  • le prêt-à-penser recouvre l’instantanéité, la relativisation, le pathétisme et le tribalisme du traitement de l’actualité par les protagonistes, les médias et les citoyens ;
  • la post-vérité embrasse les opérations de désinformation, propagande, imposture et complotisme déployées par des dirigeants politiques dans leurs pays ou chez des nations rivales.

Ces deux dynamiques constituent de sérieuses menaces pour la démocratie : elles ne connaissent presque aucune restriction morale, la communautarisation des relations ayant affaibli la pression de conformité sociale, et aucune limite matérielle, la virtualisation des échanges ayant aboli les espaces physiques et temporels.

De ce fait, la démocratisation numérique de l’information (unilatérale) et la communication (bilatérale ou multilatérale) produit quatre démocratisations délétères :

  • celle du fanatisme : les idées les plus débridées trouvent une audience d’une ampleur inédite et leurs partisans sont incités à s’enfermer plus facilement que jamais dans des communautés de pensée homogènes ;
  • celle de la propagande : il n’est plus nécessaire, pour un leader, de contrôler des journaux et télévisions d’Etat pour faire passer ses mensonges, et ce dans son propre pays ou chez une nation ennemie ;
  • celle de l’action violente : les extrémistes ne sont plus limités par des obstacles logistiques pour se réunir, s’organiser et convertir de nouveaux adeptes ;
  • celle de l’autoritarisme : l’accès et le maintien au pouvoir d’un dirigeant autocrate peuvent être réalisés pacifiquement grâce à des manipulations numériques et ne requièrent plus de recours à la violence.

Quelle est la responsabilité des plates-formes numériques ?

Elle est écrasante. Pour monétiser leurs activités, ces entreprises cherchent à maximiser le temps passé par les internautes sur leurs services respectifs. Cet impératif a régi leur développement au-delà de toute raison. Les enjeux éthiques ont été mis de côté pour ne surtout pas risquer d’enrayer une mécanique de rentabilité si bien huilée. Leur responsabilité est d’autant plus grande que toutes les dérives observées en leur sein (harcèlement, appels à la violence, exposition d’actes criminels, manipulations politiques…) ne détournent pas ces services de leur fonctionnement normal. Au contraire, les fauteurs de troubles profitent de ce pour quoi ces plates-formes ont été conçues : créer de l’engagement, quels que soient les moyens employés, afin de toujours faire croître leurs revenus publicitaires.

A cet égard, un triple constat s’impose concernant l’activité des plates-formes numériques. Tout d’abord, la totale maîtrise des contenus est impossible, notamment en raison des volumes en jeu : ceux-ci induisent qu’un taux d’erreur de seulement 1% représente des masses considérables de contenus dangereux et, partant, des risques humains insupportables. En outre, il est impossible, pour les grandes plates-formes, de passer de la théorie à la pratique et des belles paroles aux actes, y compris dans les cas apparemment les plus nets : aucune n’a réussi à ce stade à définir, communiquer et appliquer une politique de modération de contenus claire, cohérente et opérationnelle. Enfin, la difficulté d’encadrer les contenus publiés sur les médias sociaux est exacerbée par la faible diversité culturelle et ethnique des équipes qui réalisent ce travail. Or environ 90% des nouveaux utilisateurs d’Internet ne parlent pas anglais.

Dans ce contexte, l’attitude des champions du numérique est aussi impudente qu’imprudente. Et l’indulgence dont ils bénéficient est aberrante : ils sont comptables de leurs profits mais pas de leurs responsabilités. De fait, le débat sur l’imputabilité aux réseaux sociaux des répercussions de leurs actes est faussé car il part (presque) toujours du présupposé que leur modèle d’activité et de monétisation est immuable, ce qui représente leur plus grande victoire en matière de gestion de crise. Si la modération des contenus mis en ligne sur les plates-formes numériques est humainement et techniquement impossible dans le cadre de leur fonctionnement actuel et que cette absence de modération menace notre vie en commun, faut-il privilégier la survie de nos Sociétés ou la prospérité des entreprises qui la mettent en péril ?

C’est donc le fonctionnement même des plates-formes numériques qu’il faut revoir. Je propose dix mesures de régulation à ce sujet dans le livre. Parallèlement, il faudrait également mettre en place d’importants programmes d’éducation de la population. Les résultats obtenus par la Finlande dans ce domaine sont aussi exemplaires qu’encourageants.

Quel peut être l’avenir des médias d’information alors qu’ils sont à la fois plus menacés et plus nécessaires que jamais ?

La baisse du nombre de journalistes, en raison de la crise économique des médias d’information, est d’autant plus alarmante pour la vitalité démocratique qu’elle va de pair avec une gigantesque augmentation du nombre de médias. Au final, la qualité moyenne de l’information qui circule enregistre donc une baisse aussi dramatique qu’inarrêtable. C’est une conséquence d’autant plus épineuse sur le plan civique que les plates-formes numériques qui s’adjugent la part du lion des revenus publicitaires numériques ne produisent aucun contenu. Un nombre toujours plus grand de canaux est donc alimenté par un nombre toujours plus petit de journalistes, ce qui ne peut que donner lieu à la propagation du prêt-à-penser et de la post-vérité.

Il est probable que l’avenir favorise deux types de médias d’information : les gratuits et un nombre limité de payants. Chacun de ces extrêmes présentera deux formes. Les médias gratuits seront soit des solutions de curation (pleinement ou partiellement automatisées) telles qu’Apple News et Google News, soit des sites d’agrégation qui émergeront de la rationalisation en cours du marché. Les médias payants, protégés par des “paywalls”, émaneront soit de grandes organisations telles que le New York Times et l’Economist, soit de “reportrepreneurs” individuels. Les médias de milieu de gamme qui veulent créer des contenus originaux tout en restant gratuits seront coincés, sans réel espace de développement, entre ces deux types d’offres. C’est par exemple la raison pour laquelle le positionnement de BuzzFeed devient de plus en plus délicat avec le temps : il produit des contenus originaux en appliquant un modèle de monétisation publicitaire qui ne correspond pas à cette ambition.

Comment réagissent les citoyens face à ces bouleversements ?

Les caractéristiques de la nature humaine donnent tout son effet à la révolution numérique. En effet, la prépondérance des émotions dans le fonctionnement de notre cerveau est à l’origine de plusieurs biais cognitifs qui influencent notre rapport aux faits et à la vérité et, partant, notre perception de l’actualité politique : plusieurs études et expérimentations ont montré que notre subjectivité politique ne connaît presque pas de limite. C’est pourquoi reprocher au numérique les dérives résultant de la nature émotionnelle des êtres humains serait aussi justifié que de blâmer son garagiste lorsqu’on commet un excès de vitesse.

Quelle comparaison peut-on effectuer entre les conséquences respectives de l’invention de l’imprimerie et de celle du numérique ?

Ma conviction est que, de même que le 18ème siècle fut le Siècle des Lumières (ou de la Raison), le 21ème siècle s’annonce comme le Siècle des Œillères (ou de la Déraison).

Le mouvement des Lumières voulait faire prévaloir la raison dans toutes les dimensions de la vie en Société (religion, politique, sciences, travail, éducation…). Il érigeait en principe cardinal le libre arbitre des individus dans leur vie quotidienne et des peuples dans leur forme de gouvernement. Dans cette optique, il promouvait notamment le “penser par soi”, la recherche de la vérité et le souci de la dignité humaine. Enfin, il était porteur d’un optimisme fondé sur la confiance dans l’aptitude de l’être humain à faire son bonheur. C’est pourquoi ce mouvement produisit des citoyens volontairement plus éclairés que jamais dans l’Histoire.

Ce que j’appelle le mouvement des Œillères, au contraire, favorise la déraison en déchaînant les émotions des citoyens-internautes. Il entrave leur libre arbitre individuel et collectif en les submergeant de stimuli cognitifs et en les enfermant dans des logiques tribales. Pour ce faire, il les incite à se fier à des assertions simplistes, des informations fausses et des contenus déshumanisants. Enfin, il est profondément pessimiste, apeuré devant l’avenir et sensible à la moindre thèse complotiste. C’est ainsi que ce mouvement, fondé sur le prêt-à-penser et la post-vérité, produit des citoyens volontairement plus obtus que jamais dans l’Histoire.

Quelle a été votre méthode de travail pour rédiger ce livre ?

Quand on conçoit un livre sur le prêt-à-penser et la post-vérité, il est impératif d’accorder la plus grande attention aux éléments objectifs, ce qui avait d’ailleurs aussi été mon approche pour mes trois livres précédents. Pour cet ouvrage, j’ai donc étayé mes réflexions et analyses sur 60 livres et 155 études universitaires et recherches scientifiques. De même, chaque événement que je relate est fondé sur des sources journalistiques rigoureuses.

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