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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Les réseaux sociaux constituent la plus grande menace géopolitique depuis la crise de Berlin

Ils détruisent les deux piliers de la démocratie.

Toute démocratie moderne1 repose sur deux piliers fondamentaux :

  • un pilier culturel : le débat des idées dans le cadre de valeurs communes désamorçant le désir révolutionnaire2 ;
  • un pilier organique : le choix des dirigeants dans le cadre d’une concurrence équitable désamorçant la tentation autoritaire.

Une démocratie, en somme, est la codification pacifiée de la contradiction et de la compétition politiques.

Les réseaux sociaux sapent le premier pilier de la démocratie : le débat des idées dans un cadre consensuel

La condition sine qua non du débat politique pacifié est la conscience d’un bien commun – sentiment national, langue collective et/ou idéal partagé – qui empêche la querelle idéologique de verser dans la violence. Seulement, de plus en plus, les réseaux sociaux sapent toute notion de vivre ensemble.

Ainsi une étude menée par une équipe de l’Université Columbia (New York) et du centre conjoint de l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et automatique) et Microsoft montre-t-elle que, en moyenne, les internautes ont lu seulement 59% des contenus qu’ils partagent sur les réseaux sociaux. Dans les autres cas, ils ont décidé de les diffuser en se fondant sur leurs seuls titres. Les perceptions se forment donc sur le web social à partir d’informations lapidaires et des commentaires sommaires qui les accompagnent, ce qui avilit le débat civique.

En outre, les algorithmes des réseaux sociaux nous dorlotent dans une “bulle de filtres” où ils nous proposent des contenus conformes à nos opinions et nos goûts. Nous sommes ainsi emprisonnés entre les murs de notre cohérence cognitive. Or, comme l’a écrit George Orwell, “parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre“. De fait, la curiosité et l’ouverture à la différence qui étaient de mise lorsque quelques grands médias s’évertuaient à intéresser tous leurs publics sont désormais portées disparues. Inévitablement, le repli sur soi encourage la radicalisation.

Le temps que les citoyens consacrent aux réseaux sociaux et l’influence qu’ils leur accordent confèrent à ces dérives une extraordinaire dangerosité : 44% de tous les Américains (internautes ou pas) s’informent sur Facebook et 20% des utilisateurs de réseaux sociaux affirment avoir changé d’avis à propos d’un sujet politique ou social après avoir vu un contenu afférent sur le web social.

Ces détraquements endogènes, que j’analyse depuis la création de Superception il y a sept ans (lire notamment ici, ici, ici, ici et ici), représenteraient en eux-mêmes une menace extrêmement grave pour la démocratie : ils remplacent en effet la confiance mutuelle qui est au fondement de toute démocratie par un tribalisme irréfréné. La dynamique des réseaux sociaux substitue ainsi une addition de monismes au pluralisme.

La dynamique des réseaux sociaux substitue une addition de monismes au pluralisme.

Pourtant, ces détraquements endogènes sont infiniment moins nuisibles que les attaques exogènes favorisées par les plates-formes numériques.

(CC) SUXSIEQ

Les réseaux sociaux minent le second pilier de la démocratie : le choix des dirigeants dans le cadre d’une compétition équitable

L’invasion des réseaux sociaux (et moteurs de recherche) par une quantité sans cesse croissante de “fake news3 donne à l’endogamie idéologique qui caractérise notre époque un tour conspirationniste plus funeste encore.

Malheureusement, ces désinformations sont généralement porteuses d’une puissance émotionnelle plus forte que la banale vérité. Cette puissance leur garantit une propagation et une répétition ad nauseam sur le web social. Or, comme l’a fameusement montré la chercheuse américaine en psychologie Lynn Hasher, la répétition induit l’illusion de vérité.

Ce processus est le vecteur de la conspiration conduite par la Russie afin, selon les inculpations prononcées par le procureur spécial Robert Mueller, de “fournir au peuple américain des informations soutenant la campagne présidentielle du candidat Donald J. Trump et dénigrant Hillary Clinton”.

L’Union soviétique avait tenté à plusieurs reprises de s’immiscer dans la vie démocratique américaine : pour ne considérer que les deux exemples les plus célèbres, elle avait financé des auteurs américains qui assuraient que Lee Harvey Oswald avait assassiné le Président Kennedy conformément aux ordres de la CIA et du FBI et promu des articles affirmant que Martin Luther King Jr. n’était pas assez radical.

Ses campagnes échouèrent les unes après les autres. Il faut dire qu’elles ne bénéficiaient pas de la caisse de résonance unique que constituent les réseaux sociaux. Alors que les objectifs et la stratégie des Russes n’ont pas beaucoup changé, les moyens à leur disposition sont sans commune mesure avec ceux dont ils disposaient il y a quelques décennies.

En effet, la Guerre froide a été remplacée par un conflit que j’appelle la “Guerre chaude”. Comme à l’époque de la Guerre froide, la Guerre chaude ne met pas aux prises directement les Etats-Unis et la Russie sur le plan militaire. Dans la Guerre chaude, le terrain d’affrontement se trouve sur les réseaux sociaux où les émotions des internautes sont instrumentalisées par l’un des deux camps.

La Guerre froide a été remplacée par un conflit que j’appelle la “Guerre chaude” car les émotions des internautes en sont les principales munitions.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Guerre chaude s’apparente à un nouveau type de conflit asymétrique : l’Etat américain est certes beaucoup plus fort militairement que l’Etat russe mais celui-ci se sert des points faibles de celui-là, en l’occurrence les émotions de ses citoyens, pour parvenir à ses fins.

Le modèle économique et ergonomique des réseaux sociaux fournit l’outil idéal pour cette stratégie. Dans un passionnant article publié dans la revue Nature Human Behavior, M.J. Crockett, chercheur en psychologie au sein de l’Université de Yale, explique à ce sujet :

Les plates-formes en ligne ont profondément changé les incitations au partage de l’information. Du fait qu’elles sont en compétition pour notre attention afin de générer des revenus publicitaires, leurs algorithmes promeuvent des contenus qui ont le plus de chances d’être partagés, sans considération pour leur intérêt ou même leur véracité“.

L’anonymat4 et le vol d’identité numérique ajoutent une couche de perversion supplémentaire à cette dynamique.

Celle-ci, pourtant, n’en est qu’à ses débuts. J’entretiens régulièrement les abonnés de la Newsletter Superception sur les progrès, si on peut les qualifier ainsi, des systèmes d’intelligence artificielle qui permettent désormais de créer des fichiers audio et vidéo de personnalités disant ou faisant ce que les créateurs desdits fichiers veulent. Ce phénomène dit des “deepfakes“, qui concerne aujourd’hui le détournement d’images de stars de cinéma dans des vidéos pornographiques, aura des conséquences autrement plus dramatiques lorsqu’il sera appliqué à la sphère politique et que des vidéos truquées seront complaisamment propagées sur les réseaux sociaux avant une élection majeure.

A cet égard, Mark Zuckerberg commença par nier l’existence d’un problème lié aux “fake news” sur son réseau. Devant l’évidence des faits, des représentants de son entreprise interrogés au sein du Congrès américain admirent que la propagande russe avait touché pas moins de 126 millions de personnes sur Facebook durant l’élection présidentielle qui vit Donald Trump l’emporter.

Il convient de s’arrêter un instant sur la réaction des réseaux sociaux – et à tout seigneur tout honneur – face au phénomène des “fake news“.

Facebook s’évertue, parfois de manière exagérée, à empêcher que la moindre nudité ne soit diffusée sur nos “murs”. En Allemagne, le réseau de Mark Zuckerberg interdit aussi les contenus pro-nazis illégaux. Ses algorithmes suppriment alors les contenus fautifs en quasi temps réel. Pourtant, Facebook et ses confrères sont abouliques face aux “fake news” les plus scandaleuses, comme le démontrèrent une nouvelle fois les suites de la tuerie qui décima il y a quelques jours une école de Parkland (Floride).

Des théories conspirationnistes furent diffusées sur le web social (en particulier Facebook et YouTube) rapidement après le drame, de nouveau par des agences russes, pour affirmer que l’un des porte-parole des étudiants survivants, David Hogg, serait un acteur payé par les opposants au Deuxième amendement de la Constitution américaine (qui protège la liberté de porter des armes). Ces mensonges se retrouvèrent un temps dans la rubrique “Trending Topics“ qui met en exergue, auprès des abonnés américains de Facebook, les articles d’information les plus populaires du moment.

On peut se demander ce qui explique la différence de traitement entre des contenus dénudés et des messages politiques. Il me semble que la seule réponse sensée tient dans leurs effets respectifs sur les résultats financiers du premier réseau social mondial : les contenus dénudés sont rejetés par les annonceurs alors que les “fake news” ne le sont pas. Les premiers menacent donc la rentabilité du groupe de Mark Zuckerberg alors que les secondes la favorisent plutôt en stimulant l’activité d’une partie de ses membres. C’est ainsi que Facebook se fait le chevau-léger des ennemis de la démocratie.

J’ai déjà souligné sur Superception le rôle des entreprises pour réguler des dérives que les médias et gouvernements ne prennent pas à bras le corps. On a aussi observé que les avertissements émis par des marques qui ne voulaient pas voir leurs publicités diffusées à proximité de contenus extrémistes ont conduit YouTube à prendre des mesures efficaces à cet égard.

Malheureusement, même une action – fort improbable – des grands annonceurs pour contraindre les principaux réseaux sociaux à revoir leurs politiques en matière de promotion des “fake news” ne suffirait pas à solutionner la crise démocratique dans laquelle nous sommes entrés.

(CC) Esther Vargas

Cette crise, en effet, est systémique.

La perversion du fonctionnement de Facebook est mise en exergue par son traitement des campagnes respectives de Donald Trump et Hillary Clinton avant l’élection présidentielle qui les opposa. Il faut savoir que le groupe de Mark Zuckerberg n’alloue pas forcément au plus offrant les espaces publicitaires qu’il met aux enchères. Il prend aussi en compte la capacité des contenus proposés à susciter l’engagement de ses membres. En clair, plus une publicité est racoleuse, moins sa diffusion sur Facebook est coûteuse.

Ce magnifique gage de qualité éditoriale et responsabilité civique justifie d’appliquer au premier réseau social mondial la sentence de Georges Clemenceau sur les Etats-Unis : Facebook est passé de la préhistoire à la décadence sans passer par la case civilisation.

C’est ainsi que Donald Trump, parce que ses publicités étaient jugées plus provocantes que celle d’Hillary Clinton, paya systématiquement moins cher ses campagnes sur Facebook (voir ci-dessous le tweet de l’ancien directeur de la campagne numérique de Trump) et y bénéficia de meilleurs espaces de diffusion que cette dernière. Cet aspect est loin d’être négligeable dans un scrutin qui se joua à un faible nombre de votes dans quelques circonscriptions. Il l’est d’autant moins que les Russes mirent également ce système à profit dans leur manipulation pro-Trump.

Dans un remarquable rapport publié au mois de janvier dernier, Dipayan Ghosh, un ancien informaticien de Facebook, et Ben Scott, un ancien conseiller en innovation du Département d’Etat (ministère des Affaires étrangères américain), expliquent que l’opération russe dévoilée par Robert Mueller n’est en fait que la partie émergée de l’iceberg.

A cet égard, ils mettent en lumière le fait que les organisations de propagande politique profitent de la mécanique inhérente aux plates-formes numériques :

Une campagne de désinformation est fonctionnellement très peu différente d’une campagne publicitaire. Or les principales plates-formes numériques intègrent des technologies de tout premier plan mondial pour aider les annonceurs à atteindre et influencer leurs audiences“.

De fait, ce qui est le plus alarmant dans les documents d’inculpation publiés par Robert Mueller est qu’ils montrent que l’opération russe de manipulation de l’élection américaine a utilisé les principaux réseaux sociaux comme ils étaient supposés l’être. Ils n’ont pas piraté leurs algorithmes ou opéré un chantage sur des collaborateurs de Facebook ou Twitter pour qu’ils le fassent.

Ils ont simplement exploité les possibilités publicitaires offertes à tout un chacun par ces services habitudinaires. Au premier rang de celles-ci figure un ciblage des membres des réseaux sociaux poussé aux limites juridiques autorisées que Zeynep Tufekci, une sociologue turque et enseignante au sein de l’Université de Caroline du Nord, qualifie de “capitalisme de surveillance”.

C’est donc le coeur même du fonctionnement des réseaux sociaux et, dans une moindre mesure, des moteurs de recherche qui est en cause. Dès lors, comme le soulignent Dipayan Ghosh et Ben Scott, tant qu’on ne mettra pas en cause l’alignement entre campagne de désinformation et campagne publicitaire, on ne résoudra pas le problème de la manipulation politique sur les réseaux sociaux. C’est une matière d’autant plus complexe qu’il est évidemment très difficile de faire la différence entre un discours politique légitime et un acte de propagande.

Incidemment, cette observation induit que Facebook et les autres plates-formes numériques sont moins coupables de ne pas avoir identifié les manipulations russes en leur sein (où plusieurs milliards de contenus sont publiés chaque jour) que de ne pas avoir modifié leur fonctionnement intrinsèque pour les rendre impossibles. Ainsi devraient-elles être sanctionnées pour avoir non seulement permis mais surtout profité financièrement d’une opération de déstabilisation menée par un ennemi des Etats-Unis.

Sans rentrer ici dans des considérations excessivement techniques sur les réformes que les réseaux sociaux devraient entreprendre, on peut se demander s’il ne faudrait pas éteindre le principal moteur de viralité des contenus qu’ils relaient et, partant, des assauts anti-démocratiques qu’ils véhiculent : le classement et la promotion des contenus les plus populaires, c’est-à-dire ceux qui bénéficient du plus grand nombre de clics, “likes“, partages et commentaires.

Le premier défaut de cette hiérarchisation algorithmique est qu’elle ne tient aucun compte de la qualité desdits contenus ni même de leur véracité la plus élémentaire. Sa deuxième faiblesse, plus néfaste encore, est qu’elle peut être manipulée. Chacune de ses déficiences considérée individuellement est problématique. Conjuguées, elles sont explosives. En effet, l’illusion d’autorité que cette hiérarchie confère aux contenus est le principal agent des manipulations anti-démocratiques.

Cette position n’est en rien attentatoire à la liberté d’expression : je ne considère en effet pas que les réseaux sociaux doivent censurer quelque message indigne ou fausse information que ce soit, comme le montre d’ailleurs la position que j’avais prise à l’égard des dérapages du polémiste d’extrême-droite Milo Yiannopoulos. J’estime en revanche qu’ils ne devraient ni leur donner une aura de supériorité ni les promouvoir en les faisant figurer dans leurs rubriques mettant en exergue les thèmes les plus populaires auprès de leurs membres respectifs.

La crise de légitimité des réseaux sociaux remet également à l’ordre du jour la question de la crédibilité des journalistes. Il y a cinq ans, je m’interrogeais dans deux articles (lire ici et ici) sur le rôle des journalistes tandis qu’un nombre toujours plus grand d’acteurs s’appropriaient leur métier : blogueurs, activistes, citoyens-journalistes…

J’écrivais alors notamment :

Le fait d’écrire dans un journal ne fait pas de quiconque un journaliste comme celui de savoir compter ne fait pas un comptable. Un comptable maîtrise des compétences et respecte des règles éthiques propres à sa profession. Il en va de même pour un journaliste“.

Jay Rosen, professeur au sein de l’Université de New York et l’un des plus grands spécialistes américains du journalisme, avait considéré sur Twitter que mes articles (que j’avais également publiés en anglais) reflétaient la mentalité corporatiste des syndicats de journalistes :

Je dois pourtant revenir à cette conviction : nous avons plus besoin que jamais des journalistes professionnels. En effet, l’une des raisons du succès des “fake news” est la démonétisation des médias et des journalistes. On se trouve d’ailleurs à cet égard face au dilemme de l’oeuf et de la poule : la décrédibilisation des journalistes nourrit et se nourrit du phénomène des “fake news“. Cette situation est d’autant plus inquiétante que le duopole de Facebook et Google dans la publicité numérique n’augure rien de favorable pour la diversité des médias d’information dans les prochaines années.

A cet égard, l’interrogation fondamentale que pose cette perte de crédibilité me ramène à la première partie de cette réflexion : serons-nous capables encore longtemps d’entretenir des débats d’idées dans le cadre de valeurs communes ? Les Etats-Unis semblent l’être de moins en moins et nous pourrions connaître les mêmes dérives qu’eux dans le futur.

Le sujet déterminant, ici, concerne l’accord sur les faits, domaine dans lequel les journalistes jouent un rôle essentiel en rendant compte des informations. C’est dans les sociétés autoritaires que les journalistes sont discrédités, ce qui permet aux dictateurs d’abuser les citoyens. Dans les sociétés démocratiques, ces derniers peuvent s’informer en toute confiance. Dès lors, ils sont capables de s’accorder a minima sur les faits qui font l’actualité, ce qui ne les empêche pas de discorder sur leur analyse.

Au-delà des réseaux sociaux et des journalistes, les coupables ultimes, dans nos démocraties, sont donc les citoyens. A cet égard, une étude menée par deux chercheurs des universités de New York et Stanford fournit un éclairage alarmant.

Les universitaires réalisèrent une enquête d’opinion auprès de plus de 1 200 internautes américains auxquels ils présentèrent des informations et leur demandèrent s’ils les avaient vues et, dans l’affirmative, quel effet elles avaient eu sur eux. Les informations qu’ils leur montrèrent furent de trois types :

  • de vraies informations relatées par les médias,
  • de vraies “fake news” relayées sur Internet,
  • et de fausses “fake news” inventées spécialement pour cette recherche.

Les proportions d’internautes qui se souvinrent avoir vu et cru des “fake news” réelles (respectivement 15,3% et 7,9%) et des “fake news” inventées (14,1% et 8,3%) furent sensiblement les mêmes.

(CC) Fabian

Ce n’est donc pas tant la nature des informations que voient les électeurs qui comptent que les préjugés dont ils sont animés lorsqu’ils s’informent : 8% d’entre eux sont prêts à croire toutes les informations qui leur sont présentées à condition qu’elles correspondent à leur parti pris. Cette correspondance crédibilise l’information infiniment plus que sa source ou même sa véracité.

Une frange inférieure à 10% de la population peut paraître faible dans l’absolu. Mais elle suffit à faire la différence lors d’une élection, et ce d’autant plus que ces personnes radicalisées sont souvent aussi les plus mobilisées le jour du vote.

Certes, Internet offre les vecteurs nécessaires à la propagation des “fake news“. Mais la technologie n’est qu’un moyen. C’est notre irrépressible subjectivité qui leur donne leur élan et leur portée. D’ailleurs, le rapport d’inculpation rendu public par Robert Mueller montre que même les Russes à l’origine de la manipulation de l’élection présidentielle américaine étaient surpris de ce que les internautes étaient prêts à croire. Comme l’a noté le moraliste Joseph Joubert, “la crédulité se forge plus de miracles que l’imposture ne peut en inventer“. C’est pourquoi le remède le plus sûr – mais pas le plus immédiat – à la crise démocratique dont les réseaux sociaux sont le principal vecteur sera l’éducation des citoyens.

Quels que soient la nature et le calendrier des solutions mises en oeuvre, la première condition à toute lutte contre cette crise réside dans une prise de conscience du danger que nous courons : des agents étrangers peuvent, avec un minimum de ressources humaines et financières, influencer plusieurs dizaines de millions de citoyens de la première puissance de la planète, sans que celle-ci ne puisse rien y faire, jusqu’à potentiellement faire élire le Président de leur choix.

En réalité, la prépotence des réseaux sociaux substitue une doxocratie5 corruptible à la démocratie. Face à cette menace qui repose sur la manipulation des informations, il faut relire le philosophe libéral John Stuart Mill : dans “De la liberté”, il expliquait qu’une vérité qui n’est pas régulièrement débattue devient un “dogme mort”.

Si elles n’échappent pas à la logique viciée des réseaux sociaux, les démocraties risquent, elles, de devenir des astres morts.

1 J’exclus ici par exemple celles qui reposaient dans les temps anciens sur le tirage au sort des dirigeants.

2 J’adopte ici volontairement une conception tocquevillienne de la démocratie.

3 La diffusion de désinformations et de théories conspirationnistes n’est pas un phénomène nouveau dans l’histoire du monde. Mais les technologies numériques permettent de les créer plus facilement que jamais et les réseaux sociaux leur donnent une résonance sans précédent.

4 Qui gangrène notamment Twitter, dont les dirigeants sont incapables, depuis des années, de prendre des mesures efficaces pour vérifier l’identité des membres.

5 Règne de l’opinion publique.

5 commentaires sur “Les réseaux sociaux constituent la plus grande menace géopolitique depuis la crise de Berlin”

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Bonjour,

J’aime bien votre blog, mais avec cet article vous dépassez votre capacité d’analyse.

Vous écrivez : “des agents étrangers peuvent, avec un minimum de ressources humaines et financières, influencer plusieurs dizaines de millions de citoyens de la première puissance de la planète, sans que celle-ci ne puisse rien y faire, jusqu’à potentiellement faire élire le Président de leur choix”.

Vous faites – avec ces affirmations qui ne sont que des spéculations – exactement ce que vous reprochez.
Vous colportez des informations qui ne sont pas prouvées (fake).
Etes-vous sûr que plusieurs dizaines de millions d’américains ont été influencés ?
Que les USA ne pouvaient rien faire (pôvre NSA) ? Et cerise sur le gâteau, que le président a été choisi par les “agents étrangers” ?

En plus, vous vous contredisez en l’espace de quelques phrases en affirmant que les internautes “sont prêts à croire toutes les informations qui leur sont présentées à condition qu’elles correspondent à leur parti pris”. Donc il n’y a pas influence si les gens ont déjà une opinion (que vous appelez aimablement parti pris…).

Votre article a un côté hystérique, bien dans l’air du temps.

Cordialement

Franck

Bonjour,

Je suis sensible à votre goût pour Superception et vous prie de m’excuser que mes limitations intellectuelles et mon hystérie aient récemment gâté votre expérience sur mon site.

Votre commentaire me laisse perplexe car vous n’y apportez aucun argument ni aucune information pour contredire mon analyse : vous vous contentez de la rejeter et la nier en la travestissant d’ailleurs sur un point (je vais y revenir).

Par-dessus le marché, vous m’accusez de colporter des fake news, utilisant d’ailleurs ce terme dans le même objectif que certains leaders politiques qui l’instrumentalisent pour tenter de discréditer des informations qui ne leur plaisent pas.

Malgré tout, comme je ne souhaite pas avoir à votre égard l’attitude que vous avez au mien, je vais répondre point par point à vos accusations. 🙂

Chaque partie de la phrase que vous mettez en exergue dans votre commentaire est étayée dans mon article par des faits (que je cite de nouveau ci-dessous), pas des spéculations :

– “des agents étrangers peuvent, avec un minimum de ressources humaines et financières” : les documents rendus publics par le procureur spécial Mueller ont montré que les Russes avaient utilisé une équipe assez petite et réalisé des dépenses modestes (se comptant en millions de dollars) par rapport à l’objectif visé (manipuler l’élection du Président américain) ;
– “influencer plusieurs dizaines de millions de citoyens de la première puissance de la planète” : Facebook a reconnu devant le Congrès américain que les messages diffusés par les Russes avaient touché 126 millions d’internautes ;
– “sans que celle-ci ne puisse rien y faire” : les Russes ont utilisé les réseaux sociaux en ayant recours à des techniques de marketing classiques, ce qui a empêché de contrer leurs manipulations et constitue, comme l’expliquent les dirigeants de Facebook (cf. les déclarations de Sheryl Sandberg à l’occasion de son intervention il y a quelques jours lors du “sommet des lesbiennes de la tech”), une extraordinaire difficulté pour les réseaux sociaux qui cherchent à éviter que des manipulations comparables n’affectent les prochaines élections de mi-mandat ;
– “jusqu’à potentiellement faire élire le Président de leur choix” : c’était l’objectif des Russes comme l’affirme le procureur spécial Mueller dans ses documents d’inculpation et le double fait que la victoire de Trump se soit jouée avec des écarts très faibles dans quelques circonscriptions (cf. infra) et que les Russes aient remarquablement ciblé leurs actions donne sa pertinence à cette hypothèse.

Je n’ai donc pas l’impression de “colporter des informations qui ne sont pas prouvées” mais, au contraire, de fonder chaque élément de mon analyse sur des informations tangibles.

En complément du rappel des éléments cités dans mon article, je vous en apporte d’autres qui les confirment :

– une étude de l’Université d’Oxford consacrée à l’étude de comptes Twitter d’habitants du Michigan durant les 10 premiers jours du mois de novembre 2016 a montré que les fake news étaient les contenus politiques les plus partagés et que le nombre de liens vers des mauvaises informations était équivalent à celui vers des informations sourcées professionnellement par des journalistes. Or le Michigan est l’un des trois Etats dans lesquels Trump emporta la Maison-Blanche, dans ce cas grâce à une différence de seulement 10 704 votes (cf. supra) ;
une recherche a été publiée cette semaine dans la revue Science : trois chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont analysé la diffusion sur Twitter, à travers plusieurs millions de tweets, de 126 000 informations ayant fait l’objet d’une vérification de leur véracité (fact checking). Ils ont trouvé que les informations jugées fausses lors de cette vérification se répandent plus rapidement sur Twitter que celles considérées comme vraies : elles ont 70% plus de chances d’être retweetées et circulent six fois plus rapidement. Pis, les informations jugées fausses qui atteignent le plus d’internautes et sont le plus virales sont celles de nature politique (cette étude confirme les résultats d’autres recherches antérieures, au premier rang desquelles celle-ci et celle-ci) ;
– deux auteurs de fake news figurent parmi les journalistes les plus lus sur Facebook au mois de février : l’un d’eux, Baxter Dmitry du site Your Newswire, arrive en 12ème position : il a publié 81 articles durant le mois qui ont généré pas moins de 1,7 million d’interactions sur Facebook.

Quant à la seule partie de mon analyse qui n’est pas démontrée, celle qui concerne l’élection de Trump grâce aux manipulations russes, je l’assortis de l’adjectif “potentiellement” pour précisément signaler qu’elle n’est pas prouvée. Une précaution que vous occultez quand vous dites que je considère que “le Président a été choisi par des agents russes”, ce que je n’ai pas écrit.

Terminons avec ma supposée contradiction. Les conclusions de l’étude universitaire que je cite montrent en effet que 8% des internautes sont prêts à croire toutes les informations qui leur sont présentées à condition qu’elles correspondent à leur parti pris. Vous en concluez qu’il n’y a pas d’influence manipulatrice sur ces internautes car ils ont déjà une opinion correspondante.

Le problème avec votre raisonnement est que chaque individu n’a pas qu’une opinion et que la prégnance d’une opinion chez un individu fournit un véhicule pour influencer ses autres opinions.

Incidemment, une partie des supporters actuels de Donald Trump nous en apportent un exemple éclairant : l’un des groupes – voire le groupe – qui soutient le plus le Président américain actuellement est celui des évangéliques, alors que le comportement personnel de Trump est en contradiction absolue avec leurs valeurs sur ce plan. Mais son discours sur d’autres sujets les a convaincus de le soutenir malgré tout.

Il en est de même de l’influence qui a pu s’exercer sur le web social vis-à-vis d’électeurs dont un certain parti pris a constitué un vecteur pour les faire adhérer au vote en faveur de Trump ou, inversement, les éloigner du vote en faveur de Clinton.

J’espère que ces rappels, précisions et informations complémentaires vous auront au moins rassuré sur mon hystérie, à défaut, peut-être, de vous convaincre sur le fond. 🙂

Bien à vous.

Xophe

Bonjour Xophe,

Je ne conteste aucun des faits que vous présentez, et ne cherche pas à avoir une version alternative.
Je conteste juste votre conclusion (des agents étrangers influencent des millions et – potentiellement – choisissent le président US).

Arriver à cette conclusion à partir des faits que vous citez relève du parti-pris, et d’une construction – très – subjective. En effet, vous ne pouvez pas savoir comment ont été influencés les 126 millions d’internautes. Vous ne savez pas en quoi leur perception a été modifiée, et surtout par quelle action (ici, voter) c’est traduite cette éventuelle influence. A partir de là, tout votre enchainement n’est que pure spéculation.
Et comme vous le faites remarquer dans votre réponse “chaque individu n’a pas qu’une opinion” (cas des évangéliques). Ce qui veut dire qu’il est bien difficile de faire la part des valeurs, des intérêts… et d’une multitude de facteurs externes (comme les réseaux). D’où votre contradiction : vous ne pouvez pas soutenir d’un côté la complexité, et de l’autre présenter comme une évidence la manipulation de millions de citoyens.

Quant à l’hystérie… oui je déplore que votre article – et votre réponse d’ailleurs – soient tristement dans l’air du temps. Avez-vous lu le tweet de Mme Clinton qui écrit : “Russians are coming !” ? Avez-vous lu celui de Samantha Powers (ex-madame ONU) qui écrit le lendemain même des élections en Italie que “c’est les russes !”. Hystérie ou analyse sérieuse ?

Pour finir, un mot sur le Procureur que vous citez benoitement. Faut-il vous rappeler qu’un Proc US instruit à charge ? C’est son boulot. Et qu’après il y a un procès contradictoire, et seulement après, un jugement. Après, pas avant ! A vos 13 russes, il est facile d’opposer le chiffre 17. Le nombre d’agences de renseignement US. Et ensuite leurs 75 milliards de $ de budget annuel. Bien sûr, les agences US dépensent cet argent en faisant bruler des cierges et en faisant des prières.

Bien à vous.
Franck

Bonsoir Franck,
En premier lieu, nous avons tous des partis-pris (cf. le credo fondateur de Superception).
Nous abordons chaque sujet avec nos parcours, nos histoires personnelles, nos convictions, nos connaissances et nos émotions. Ils contribuent à former nos perceptions.
Mais exposer nos seuls partis-pris n’a aucun intérêt à mes yeux. Je cherche à les nourrir et les challenger avec des informations, des études universitaires et des analyses d’observateurs plus éclairés que moi. C’est l’objectif de ce blog en cohérence avec ma vision de la vie.
Pour être très honnête, c’est ce qui me manque dans notre échange. Au-delà de me dire que vous ne croyez pas aux hypothèses que je tire des nombreux faits que j’analyse, vous ne me proposez aucune information susceptible de contredire celles que je soumets à votre sagacité :
– je ne sais évidemment pas comment les 126 millions d’internautes ont été influencés mais je sais qu’ils ont été ciblés très précisément par les officines russes, que 8% d’entre eux ont pu être diposés à changer d’avis sur des sujets politiques du fait des informations qu’ils ont vues sur les réseaux sociaux (étude universités NY et Stanford) et que seulement 79 646 votes ont permis à Donald Trump de l’emporter. 79 646 électeurs rapportés à 126 millions d’internautes ciblés, cela doit poser question ;
– on sait (cf. étude citée au point précédent) que la nature de l’influence sur les réseaux sociaux, pour les 8% considérés, est de nature politique, pas commerciale, pas sportive, pas culturelle ;
– le fait que les gens aient plusieurs partis-pris (incidemment, vous utilisez à ce sujet une logique inverse de celle que vous présentiez dans votre message précédent) n’est en rien contradictoire avec mon hypothèse, comme je l’expliquais avec l’exemple des évangéliques (et c’est bien connu aussi en matière d’influence publicitaire) : une opinion peut être un véhicule pour une autre opinion ;
– je ne vois pas ce que vient faire Mme Clinton dans notre échange : elle peut écrire ce qu’elle veut, cela ne change rien aux faits que j’analyse. Incidemment, beaucoup de Républicains déclarent peu ou prou la même chose qu’elle : la nuit dernière encore, K. Michael Conaway, représentant du Texas et leader de l’enquête de la commission du Renseignement de la Chambre des représentants sur cette affaire, a déclaré que les Républicains membres de ladite commission étaient d’accord avec la conclusion des agences de renseignement américaines selon laquelle la Russie avait interféré dans l’élection présidentielle ;
– grande révélation, le Procureur fait son métier de procureur. Mais cela n’empêche pas de lire les conclusions extrêmement détaillées de son rapport d’inculpation, bien au contraire ;
– quant aux 17 agences de renseignement, elles ont décidé par plaisir ou masochisme de déclarer au monde leur impuissance à protéger l’équité de l’élection la plus importante de leur pays.
Vous me semblez comme un individu qui verrait que le sol est sec, que le soleil brille et que le ciel est bleu, mais qui affirmerait qu’il pleut. Pour ma part, je me demande s’il fait beau et, je me dis que, s’il fait vraiment beau, les conséquences sont très alarmantes (en effet, vous caricaturez sans cesse ma position mais je n’affirme pas que les Russes ont choisi le Président, j’évoque une possibilité qui suffit à représenter un risque majeur).
En réalité, notre dialogue n’est en aucune manière productif car il ne fait pas progresser nos réflexions respectives.
Je conclurai en vous disant que je me suis trompé plusieurs fois dans les 2700+ articles que j’ai publiés sur Superception et que, jamais, je n’ai souhaité autant avoir tort qu’au sujet de cet article.
Je ne sais pas si c’est un sentiment cohérent avec l’hystérie que vous me prêtez si généreusement mais c’est celui qui m’anime : je souhaite de toutes mes forces que vous ayez raison.
Bien à vous.
Xophe

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