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Twitter : pourquoi la suspension d’un compte raciste est une fausse bonne idée

Le réseau de micro-blogging a suspendu hier indéfiniment le compte de Milo Yiannopoulos (@nero), l’une de ses figures les plus connues pour ses dérapages haineux.

Le journaliste du site conservateur Breitbart avait d’ailleurs déjà été suspendu plusieurs fois de manière temporaire. Ces deniers jours, il avait incité ses 388 000 abonnés à s’en prendre à Leslie Jones, la comique sociétaire de l’émission “Saturday Night Live” qui est l’une des vedettes du nouveau film “Ghostbusters“.

Leslie Jones n’est malheureusement que la énième victime des attaques sur Twitter de la horde numérique animée par Yiannopoulos. Traumatisée par ces agressions, elle a décidé de quitter le réseau.

Milo Yiannopoulos a réagi en affirmant que cette décision montre que les amoureux de la liberté d’expression ne sont pas bienvenus sur Twitter. Il a été suivi dans cette opinion par plusieurs observateurs, certains pourtant peu susceptibles d’être des partisans du harcèlement en ligne.

Les fidèles de Superception savent que j’ai une vision entière de la liberté d’expression. Je l’avais notamment exprimée dans l’article que j’avais publié suite à l’attentat contre Charlie Hebdo :

La liberté d’expression ne se divise pas, elle ne se négocie pas. Tout compromis la concernant est une compromission. A cet égard, j’ai déjà exprimé sur Superception que j’étais beaucoup plus proche de la vision américaine d’une totale liberté d’expression, même si elle ne peut pas être parfaite dans sa mise en oeuvre quotidienne.

Dès qu’on encadre la liberté d’expression, on donne à une institution la responsabilité exorbitante de borner notre pensée. La liberté d’expression n’est pas la liberté de dire ce avec quoi la majorité du moment – représentée par ladite institution – est d’accord. La liberté d’expression ne peut être la manifestation d’un consensus. Sinon elle est une norme sociale. Liberté d’expression et consensus sont par nature antithétiques. La liberté d’expression est, dans l’esprit de Voltaire, la licence de tout dire, de tout écrire, de tout dessiner.

Comme l’a relevé Talleyrand à un autre sujet, ‘on ne peut s’appuyer que sur ce qui résiste’. De fait, une Société démocratique forte résiste, au sens où elle ne s’altère pas sous l’effet d’une expression complètement libre, et fournit ainsi à ses citoyens un plus grand appui.

Dans ce sens, je considère que l’outrance, la provocation et, dans la sphère religieuse, le blasphème sont consubstantiels à la démocratie”.

La nouvelle équipe de Ghostbusters avec Leslie Jones à l'extrême gauche - (CC) Ghostbusters

La nouvelle équipe de Ghostbusters avec Leslie Jones à l’extrême gauche – (CC) Ghostbusters

 

A mes yeux, il est légitime que Milo Yiannopoulos puisse publier des tweets racistes et/ou sexistes sur Twitter s’il le souhaite pour les raisons exprimées plus haut : toute entrave à la liberté d’expression est antidémocratique. Mais il n’est pas légitime qu’il harcèle les autres membres de Twitter qui est une communauté ouverte d’internautes.

A cet égard, la suspension d’un de ses membres parce qu’il agresse d’autres utilisateurs relève de la même logique que la décision d’un groupe de personnes discutant autour d’une machine à café de demander à l’un d’entre eux de s’écarter parce qu’il tourmente ses interlocuteurs au lieu d’échanger avec eux.

Alors que la suspension du compte d’un individu aussi abject que Milo Yiannopoulos est évidemment une excellente nouvelle pour la protection de ses victimes numériques, pourquoi ai-je affirmé dans le titre de cet article qu’elle est une fausse bonne idée ?

Elle est contre-productive à mon sens parce qu’elle vise à donner l’impression que Twitter agit mais qu’elle n’apporte aucune solution au-delà du cas de Milo Yiannopoulos. Elle ne préserve en rien les victimes de harcèlement qui ne sont pas aussi célèbres que Leslie Jones et ne peuvent donc pas susciter l’intérêt de Jack Dorsey, le PDG et cofondateur de Twitter.

Facebook, par exemple, utilise des solutions d’intelligence artificielle pour scanner les contenus diffusés sur sa plate-forme. Twitter, qui compte pourtant beaucoup moins de membres actifs que le réseau de Mark Zuckerberg et a donc un périmètre bien moins grand à surveiller, pâtit d’un retard gigantesque sur lui dans ce domaine.

La suspension du compte de Milo Yiannopoulos veut donner une bonne conscience et une bonne image à Twitter. Plus ce sera le cas, plus elle encouragera les dirigeants de l’Entreprise à ne pas s’atteler à la résolution sur le fond du problème de harcèlement qui gangrène leur réseau depuis beaucoup trop longtemps.

C’est pourquoi je la dénonce.

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