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Toute vérité n'est que perception

Une émotion n’est pas une idée

L’approche subjective que nous prenons à l’égard de toute information en raison de notre parcours personnel (cf. Toute vérité n’est que perception) est renforcée dans la formation de nos perceptions par l’influence de nos émotions sur notre pensée.

Ainsi que l’a écrit Antonio Damasio, neurologue à l’Université de Californie du Sud (USC, Los Angeles), “nous ne sommes pas des machines pensantes qui ressentent des émotions, nous sommes des machines émotionnelles qui pensent”*.

Il se trouve que je me suis intéressé, pour un autre projet personnel, au fonctionnement du cerveau. C’est d’ailleurs un domaine extrêmement instructif pour un dircom, à tel point que je suis convaincu que l’on devrait ajouter des modules de neurologie à toute formation en communication… En effet, plus on comprend comment le cerveau crée du sens, mieux on peut communiquer.

La prédominance des émotions dans notre système de pensée s’explique notamment par l’activité du cerveau limbique. Il remonte aux premiers hommes, il y a 450 millions d’années. L’une de ses fonctions principales était à l’époque – et est toujours – d’anticiper les éventuelles menaces. Dans le cerveau limbique, l’amygdale attribue une valeur émotionnelle à chaque stimulus entrant avant même que nous soyons conscients de son existence. L’amygdale reçoit et traite aussi de nombreuses informations de l’hippocampe, qui stocke et remémore les souvenirs. Pour illustrer comment l’amygdale, véritable cerveau émotionnel, agit sans que nous en ayons conscience, considérons l’exemple d’une femme qui a été agressée. Un an plus tard, elle est prise de tremblements sans raison particulière dans le métro. En fait, son subconscient, sensibilisé par le travail de son amygdale, a reconnu le parfum de l’homme assis à côté d’elle, le même que celui de son agresseur, alors qu’elle n’avait pas consciemment fait le rapprochement. Nous sommes en effet capables d’analyser inconsciemment 11 millions d’informations par seconde alors que nous ne pouvons traiter consciemment “que” 40 informations par seconde. Notre cerveau est doté de 10 millions de neurones inconscients pour chaque neurone conscient. Ce travail d’analyse, l’amygdale l’effectue pour tous les stimuli entrants dans notre cerveau, qu’ils soient menaçants ou pas. Elle communique ensuite son diagnostic émotionnel au cortex qui, lui, décide où concentrer notre attention.

Au-delà de cet exemple, j’ai tiré de mes lectures sur le cerveau trois leçons pour le communicant. Avant de les détailler, je voudrais m’excuser auprès des spécialistes de neurologie pour l’outrageuse simplification des lignes qui suivent.

1. Il ne suffit pas de s’exprimer pour être entendu

Le cerveau opère un tri sélectif constant dans les stimuli qu’il reçoit. En effet, il ne pourrait pas tous les traiter. Il ne peut gérer qu’un volume limité – bien qu’énorme – d’informations. Pour ne prendre qu’un seul exemple, notre sens du toucher ne fonctionne pas en continu : nous ne sentons ainsi pas le contact des vêtements que nous portons. Notre cerveau fait abstraction de la sensation répétitive d’un toucher sans intérêt afin de concentrer notre sensibilité sur d’autres contacts tels que ceux avec un être humain, un chien ou un écran tactile.

Il en va de même pour le déferlement d’informations et de messages (3 000 selon certaines études) auxquels nous sommes exposés chaque jour dans notre société du zapping. Le graal du communicant est de faire adhérer ses publics cible aux messages qu’il promeut. Mais il est impossible d’adhérer chaque jour à 3 000 messages. Or on n’adhère pas à un message sans raison. Se contenter de communiquer en ajoutant un 3 001ème message à ceux déjà reçus par son public cible sans comprendre les raisons qui pourraient l’y faire adhérer est au mieux stérile. Il faut connaître intimement ses audiences pour anticiper ce qui fera la différence entre le message qui sera traité comme un stimulus sans intérêt et celui qui touchera – dans tous les sens du terme – sa cible. La communication est avant tout empathie.

2. Il ne suffit pas d’étonner pour convaincre

Notre cerveau classe les stimuli qu’il reçoit dans les catégories qu’il a déjà apprises. Cela lui permet d’anticiper les éléments auxquels nous sommes confrontés et de nous y préparer. Cela lui permet aussi de gérer un environnement qui serait écrasant si chaque nouveau stimulus était une expérience inconnue. Pour ce faire, le cerveau fonctionne par analogies et métaphores. Il relie les stimuli les uns aux autres et analyse les similarités, les différences et les relations entre eux. Nous classons ainsi automatiquement et inconsciemment nos sensations dans des catégories que nous avons apprises et que nous faisons évoluer à travers le temps.

De même, les études neuroscientifiques ont-elles montré que, pour constituer des souvenirs durables, il est important d’accrocher les nouvelles informations à celles déjà existantes : le cerveau choisit de traiter les informations qui font le plus écho à son expérience. Or l’objectif de la communication est de laisser une trace. Un message incohérent avec ceux qui précèdent a davantage de chances d’être ignoré par le cerveau qu’un message cohérent qui donnera du sens. On ne peut pas demander aux publics cible de reconstituer a posteriori la cohérence des prises de parole que l’on n’aura pas su constituer a priori. Pour ne pas franchir la ligne jaune, en communication, il faut avoir un fil rouge.

3. Il suffit d’émouvoir pour captiver

L’amygdale diffuse de la dopamine dans le cerveau lorsqu’elle est sollicitée émotionnellement. Or la dopamine favorise grandement le traitement et la mémorisation des informations. Ainsi, par exemple, une parole est-elle mieux mémorisée lorsqu’elle est associée à une photo. C’est pourquoi on retient 10%, 72 heures après, d’une information présentée oralement alors qu’on en retient 65% si une photo est ajoutée à la présentation (expérience menée par le centre de recherche appliquée sur le cerveau de l’Université de Seattle).

D’autres exemples permettent de prendre la mesure de l’influence des émotions sur nos pensées et donc sur nos perceptions :

  • on se souvient tous de ce que l’on faisait lorsqu’on a appris la nouvelle des attentats du 11 septembre 2001 alors que l’on ne se souvient pas de ce que l’on a mangé il y a trois jours. La charge émotionnelle et l’afflux de dopamine qui ont gravé à jamais le 11 septembre 2001 dans notre mémoire sont sans comparaison avec ceux d’un repas, même récent ;
  • on se souvient presque entièrement du film qu’on a vu il y a deux semaines alors qu’on a mémorisé au maximum quelques bullet points de la présentation à laquelle on a assisté avant-hier. Une histoire est plus attrayante émotionnellement qu’une présentation PowerPoint ;
  • ajouter 15% de jaune au vert du logo de la limonade SevenUp renforce le goût de citron alors que la recette de la boisson n’a pas du tout été modifiée (expérience rapportée par Malcolm Gladwell dans Blink). L’émotion générée par le packaging du produit est plus forte que la sensation de goût créée par la boisson ;
  • 5% seulement de nos décisions d’achat sont fondées sur un processus de pensée rationnel et nous rationalisons nos achats a posteriori. C’est ce qu’a démontré Gerald Zaltman, professeur émérite à Harvard et “pape” du sujet, dans How Customers Think.

Une émotion n’est pas une idée mais elle a souvent davantage d’influence dans la formation de nos perceptions. Lincoln a d’ailleurs écrit que “le cœur est l’autoroute vers le cerveau”.

Dans cette logique, la marque de vêtements Diesel a lancé l’année dernière aux Etats-Unis une campagne remarquable : Be Stupid. En effet, à rebours des autres publicités pour les jeans montrant des mannequins à moitié nu(e)s, le message aspirationnel de Be Stupid ne concerne pas nos formes potentiellement callipyges mais notre âme forcément émotive.

Pour conclure, je vous donne les références de quelques-uns des livres que j’ai lus sur le cerveau pour ceux qui ont envie d’en savoir plus que la synthèse lapidaire qui précède :

  • Antonio Damasio – Descartes’ Error – 1994
  • Malcolm Gladwell – Blink: The Power of Thinking Without Thinking – 2005
  • Joseph LeDoux – The Emotional Brain, the Mysterious Underpinnings of Emotional Life – 1996
  • Jonah Lehrer – How We Decide – 2009
  • John Medina – Brain Rules – 2008
  • John J. Ratey, M.D. – A User’s Guide to the Brain, Perception, Attention and the Four Theaters of the Brain – 2001
  • Gary Small, M.D. and Gigi Vorgan – iBrain, Surviving the Technological Alteration of the Modern Mind – 2008
  • Shankar Vedantam – The Hidden Brain: How Our Unconscious Minds Elect Presidents, Control Markets, Wage Wars, and Save Our Lives – 2010
  • Gerald Zaltman – How Customers Think – 2003

* “Descartes’ Error: Emotion, Reason, and the Human Brain“, 1994.

4 commentaires sur “Une émotion n’est pas une idée”

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40 informations par seconde : le dircom n’est donc ni tout à fait idiot ni complètement inutile.

Merci pour cette intéressante ouverture sur la neurologie.

(pm) WE m’a parlé de votre blog, que je découvre avec plaisir.

Cher Christophe,
EXCELLENT article!!! Ce n’est pas commun de rencontrer quelqu’un à même de vulgariser aussi brillament des ouvrages aussi compliqués que ceux de Damasio et Ledoux! Impressionnant. Déjà republié le link sur FB et Linked-in. Merci!!!

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