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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Les dimensions stratégiques que ChatGPT va rendre (encore) plus importantes pour les marques

Je poursuis mes réflexions prospectives sur les conséquences des progrès de l’intelligence artificielle pour la communication et le marketing. Ce faisant, je fais de nouveau quelques paris1.

Nous sommes en train de vivre les prémices d’une révolution majeure qui a le potentiel d’être de la même ampleur que celle engendrée par le lancement de l’iPhone en 2007. Elle concerne l’apparition d’une nouvelle interface qui va rapidement bouleverser notre rapport aux technologies et à toutes les formes de contenus. La démonstration des nouvelles fonctionnalités de ChatGPT que Greg Brockman, l’un de ses cofondateurs, a effectué il y a quelques jours lors de la conférence annuelle TED (voir la vidéo reproduite ci-dessous) a mis en lumière la capacité du robot conversationnel à réaliser, de manière autonome, une série de tâches à partir d’une seule demande de son interlocuteur humain.

Ainsi Greg Brockman demanda-t-il à ChatGPT de lui suggérer un repas à déguster après sa prestation sur scène et de lui présenter une image dudit repas. ChatGPT s’exécuta grâce à ses propres moyens (proposition du repas) et à ceux de l’intelligence artificielle générative d’images DALL-E (création de l’image représentant le repas). C’est ensuite que la démonstration devient subversive. En effet, Greg Brockman demande à ChatGPT de créer la liste des courses lui permettant de cuisiner le repas qu’il lui avait proposé. Le robot conversationnel procéda en choisissant lui-même les produits que Greg Brockman allait devoir acheter.

Cette pratique est rendue possible par l’intégration à ChatGPT d’une première série de “plugins”, ces petits composants qui ajoutent des fonctionnalités à un logiciel applicatif. ChatGPT va naturellement en intégrer un nombre croissant au fur et à mesure de son développement. Cela signifie que, bientôt, les internautes pourront lui demander de leur acheter un vêtement, un titre de transport ou du dentifrice et que ChatGPT réalisera ces achats sans considération des marques concernées. Ce sont les meilleures offres, telles qu’analysées et sélectionnées par le robot, qui seront proposées aux internautes demandeurs.

Dans ce contexte, seules les marques les plus puissantes vont survivre : les autres seront anéanties dans le cadre du processus de sélection neutralisé de ChatGPT (et de ses futurs concurrents)2. La puissance des marques pourra se traduire de deux manières chez les consommateurs :

  • les inciter à visiter leurs magasins physiques ou leur site Internet pour y sélectionner le produit qu’ils recherchent ;
  • les motiver à introduire dans la demande effectuée au robot conversationnel la ou les marques qu’ils préfèrent pour le produit qu’ils lui demandent d’acheter.

En d’autres termes, la barrière à l’entrée de la considération des marques par les consommateurs va s’élever radicalement : un très grand nombre de marques vont devenir complètement invisibles pour eux, la médiation des robots conversationnels les effaçant de leur champ de vision. Le tunnel de conversion va ainsi être bouleversé comme il ne l’a jamais été, y compris depuis le début de la révolution numérique.

Ce bouleversement sera naturellement d’autant plus grand que l’achat sera moins émotionnel : si je reprends les trois produits que j’ai évoqués ci-dessus, l’achat d’un vêtement est plus engageant émotionnellement que celui d’un titre de transport qui est lui-même plus sensible (surtout pour l’organisation de vacances) que le réapprovisionnement en dentifrice. Les marques qui opèrent dans des produits fortement liés aux émotions des consommateurs seront donc moins menacées que celles qui concernent des achats prosaïques : si vous voulez acheter un cadeau à votre conjoint pour votre anniversaire de mariage, il n’est pas certain que vous donniez toute latitude à un robot conversationnel. Vous pourriez lui demander de privilégier la marque favorite de l’être aimé. Itou si vous voulez contracter une assurance-vie.

Si je fais quelques paris, il me semble que l’apparition de cette nouvelle interface d’intermédiation va conférer une importance plus grande encore à certaines activités de communication et marketing :

  • le brand content va permettre aux entreprises de se distinguer, un objectif qui va devenir toujours plus décisif alors que le risque d’indifférenciation des marques dans le traitement par les robots conversationnels des contenus à leur disposition va prédominer. L’impératif de distinction créative sera d’autant plus grand que nous allons assister à un déluge de contenus numériques créés par des intelligences artificielles, ce qui ne va qu’accroître l’infobesité dont nous pâtissons tous déjà : il sera de plus en plus difficile pour les contenus des marques d’émerger si ces dernières continuent de faire montre d’une approche quantitative, et non qualitative, dans leur production. Cette approche devra concerner aussi bien le brand content que les contenus marketing qui devront être, comme les offres, hyper-personnalisés en fonction des comportements individuels de chaque client (qu’il relève d’un segment de marché B2B, B2C ou B2G3), de sa personnalité et de son historique d’achat. Dans la même logique, les influenceurs dont les contenus sont assez originaux pour attirer les internautes gagneront encore en intérêt aux yeux des marques ;
  • la différenciation devra non seulement concerner les offres des entreprises mais, de plus en plus, leurs valeurs de marque : c’est l’engagement des marques qui va laisser une trace émotionnelle chez leurs publics et potentiellement donner envie à ceux-ci d’indiquer à ChatGPT à quelle(s) marque(s) limiter son choix de produits à acheter. En outre, les points de vue et prises de position des marques ne peuvent pas être imités par des intelligences artificielles ;
  • les pratiques en matière de SEO (search engine optimization) vont évoluer radicalement car les robots conversationnels vont piocher directement dans les pages Internet les informations qui correspondent aux questions qui leur sont posées. A l’avenir, en lieu et place des liens promus par des actions de SEO, les chatbots pourraient favoriser des pages fournissant les références des contenus qu’ils proposent aux internautes. Il est aussi envisageable que, demain, les résultats de moteurs de recherche fondés sur des IA génératives ne montrent que les textes produits par ceux-ci et plus aucun lien vers des pages (aujourd’hui, les démonstrations de Google et Microsoft combinent chat et pages)4. Ce ne sont à ce stade que des suppositions mais, quoi qu’il advienne, le SEO est promis à une transformation certaine ;
  • les expériences utilisateur et client vont devoir être mémorables pour inciter les consommateurs à revenir dans les magasins et sur les sites Internet5 des marques. De ce fait, les coûts d’acquisition de client risquent d’augmenter encore et les mirages souvent déceptifs des approches D2C (direct-to-consumer) à cet égard pourraient nous indiquer ce qui nous attend dans les dix prochaines années ;
  • dans la même veine, les événements vont connaître une nouvelle jeunesse : lorsque des intelligences artificielles produiront toutes les expériences virtuelles que les internautes imagineront, les expériences de marques seront de plus en plus distinctives. En outre, le contact client va devenir de plus en plus indispensable, en raison de l’évolution en termes d’interface évoquée plus haut et d’un deuxième phénomène que l’on voit déjà poindre sur Amazon et Google : la prolifération de fausses revues de produits rédigées par des intelligences artificielles. Pour passer outre les manipulations et attaques qui vont pulluler dans ce domaine, rien ne remplacera la persuasion directe des clients ;
  • les relations presse pourraient perdre en importance si les chatbots deviennent l’interface d’accès aux contenus préférée par les consommateurs : les contenus des médias, comme ceux des marques, seraient alors absorbés dans le corpus traité et trié par les intelligences artificielles ;
  • dernier pari que je fais, certainement le plus baroque : les partenariats de marque avec des stars du sport vont prévaloir à l’avenir. En effet, la capacité croissante des intelligences artificielles génératives à parfaitement imiter les acteurs et musiciens va rendre les sportifs professionnels plus importants : l’IA ne pourra pas faire semblant de gagner des compétitions et battre des records. Le coût du sponsoring d’équipes de sport et d’ambassadorat de champions va donc encore augmenter. La distinction sera à ce prix.

Au-delà de ces paris, il est un autre impératif stratégique qui va faire la différence entre les marques qui existeront encore et celles qui seront noyées dans les grands modèles de langage : la capacité des marques à être cohérentes dans leurs expressions publiques. En effet, la nouvelle interface qui émerge aujourd’hui va modifier le rapport aux contenus, ainsi que je l’évoquais dans le propos liminaire de cet article : de même qu’un robot conversationnel sélectionnera pour les êtres humains les produits qu’ils vont acheter, choisira-t-il aussi les contenus qu’ils consommeront en fonction des questions qu’ils lui poseront. Le nombre de prises de parole identifiables aux marques qui les portent va donc drastiquement diminuer : dès lors, chaque expression incohérente coûtera beaucoup plus cher, en termes de perception, qu’aujourd’hui.

Ce sont, à ce stade, quelques conjectures, voire gageures, sur l’avenir de la communication et du marketing qui complètent celles que j’ai déjà proposées sur Superception (voir notamment ici, ici, ici et ici) et seront certainement enrichies dans le futur par d’autres hypothèses. Mais ce sont indéniablement les paris stratégiques à moyen terme que je ferais aujourd’hui si j’étais directeur de la communication et/ou du marketing.

Ce qui est certain est que nous entrons dans une ère de bouleversements peut-être sans précédent par leur ampleur et certainement inédits par leur rapidité : d’ici deux ans, un grand nombre des fondamentaux de nos métiers seront en pleine mutation. L’intelligence artificielle est en effet une technologie exponentielle et il appartient aux communicants et marketeurs de se transformer à la même vitesse.

A cet égard, j’aime prendre en exemple le pivot de Facebook vers le mobile. En 2011, le Groupe présenta une série de fonctionnalités prévues pour le web lors de sa conférence annuelle F8 dédiée aux développeurs. Certes, Facebook disposait alors d’applications pour Android et iOS mais, conçues en HTML5, elles étaient rudimentaires, lentes et peu fiables. L’année suivante, Mark Zuckerberg prit conscience du danger, réorienta l’ensemble du Groupe vers le mobile et prit des décisions majeures dans ce sens : il commença à travailler exclusivement sur son iPhone, exigea de ses chefs de produit qu’ils désactivassent leur version pour ordinateurs de Facebook afin de se consacrer entièrement au mobile et décréta que toutes les réunions présenteraient d’abord la version mobile des produits et que, si ce n’était pas possible, elles seraient annulées.

Aujourd’hui, les communicants et marketeurs doivent se demander quelles résolutions majeures ils prennent pour s’adapter aux bouleversements majeurs auxquels ils vont être confrontés. L’enjeu ne pourrait pas être plus élevé. Dans quelques années, la révolution numérique sera peut-être seulement perçue comme le prélude de la révolution de l’intelligence artificielle comme la révolution agricole constitua le prélude de la révolution industrielle.

1 Qui ne concernent pas l’ensemble des répercussions de l’intelligence artificielle : je ne traite par exemple ni de désinformation ni de communication interne.

2 Que ces chatbots fonctionnement de manière autonome ou soient intégrés dans des logiciels, à la manière de ce que plusieurs entreprises, au premier rang desquelles Google et Microsoft, ont déjà commencé à faire.

3 Les entreprises B2B et B2G iront au-delà de l’account based marketing (ou marketing des comptes stratégiques).

4 C’est l’approche que Google prend aujourd’hui, avec son nouveau Search, pour les recherches non commerciales, alors que les recherches commerciales continuent d’inclure des publicités.

5 Ceux-ci vont devoir devenir de vrais sites de destination (des sites que les internautes visitent sans y être attirés par un contenu précis parce qu’ils savent qu’ils vont y trouver des contenus intéressants) et non plus des sites de passage (des sites que les internautes visitent pour consulter un contenu précis et dont ils repartent aussitôt ledit contenu consommé). Les premiers ont un taux de rebond largement inférieur à celui des seconds.

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