11 avril 2023 | Blog, Blog 2023, Communication, Marketing | Par Christophe Lachnitt
Les dangers de ChatGPT pour les marques
Il va donner naissance à une nouvelle interface utilisateur et, avec elle, à une relation inédite aux contenus.
Le robot conversationnel (“chatbot” en anglais) ChatGPT1 valorise un ensemble de données comprenant 300 milliards de mots et 175 milliards de paramètres. Pour expliquer de manière simplifiée son mode opératoire, disons qu’il essaie en permanence de produire la suite du texte qu’il a rédigé afin qu’elle ressemble à ce qu’une personne pourrait écrire. Il s’appuie pour ce faire sur le grand modèle de langage (“large language model” ou LLM en anglais) dans le cadre duquel il a été formé, c’est-à-dire les centaines de milliards de mots rédigés par des humains qu’il a ingurgités – les mots, pas les humains. Il cherche ainsi les termes qui ont la plus grande probabilité de suivre les mots qu’il vient de composer.
L’activité de ChatGPT consiste donc à se demander pour chaque vocable qu’il ajoute : étant donné le texte dont je dispose, quel devrait être le mot suivant ? Ce qui rend son fonctionnement fascinant est qu’il ne choisit pas toujours le terme qui recueille la plus grande probabilité et qu’il n’existe pas de règle mathématique propre aux choix qu’il effectue en la matière. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la même demande soumise plusieurs fois à ChatGPT peut générer différentes réponses de sa part.
Au final, la “magie” de ChatGPT procède du fait qu’il rédige des textes qui font sens parce qu’ils sonnent comme ceux qu’il trouve dans son matériel de formation. Incidemment, comme l’a souligné le scientifique et entrepreneur Stephen Wolfram, ce mode opératoire signale que “le langage humain (et les modèles de pensée qui le sous-tendent) sont d’une certaine manière plus simples et plus semblables à des ‘lois’ dans leur structure que nous ne le pensions“.
ChatGPT séduisit un million d’utilisateurs dans la première semaine qui suivit son lancement et dépassa les 100 millions d’utilisateurs actifs mensuels en deux mois seulement, ce qui en fit l’application grand public ayant enregistré la croissance la plus rapide de l’Histoire. Au-delà de son succès fulgurant auprès des internautes, ChatGPT est passionnant en ce qu’il incarne l’avènement d’une nouvelle interface utilisateur qui va conférer au rapport des humains avec les technologies numériques une facilité et une intimité sans précédent. Un temps, on crut que la prochaine interface homme-machine serait vocale – à partir des usages popularisés par Alexa, Siri et consorts – ou qu’elle passerait par des équipements de réalité augmentée ou virtuelle. Mais l’innovation est rarement là où on l’attend.
Le potentiel révolutionnaire de ChatGPT en matière d’interface utilisateur a été mis en lumière il y a quelques jours par la publication de ses premiers “plugins”, ces petits composants qui ajoutent des fonctionnalités à un logiciel applicatif. ChatGPT a collaboré avec onze partenaires, au premier rang desquels Expedia, Kayak, Instacart, OpenTable et Zapier. Grâce à ces plugins, ChatGPT devient un véritable assistant personnel qui peut par exemple vous aider à réserver vos vacances. Il vous suffit de lui demander : “Je pars à Chamonix pour un week-end prolongé. Réserve-moi un train Paris-Saint-Gervais pour le vendredi 12 mai au matin et un train retour pour le 15 mai après-midi. J’aimerais séjourner dans un hôtel près du téléphérique de l’Aiguille du Midi pour X euros par nuit maximum. Je voudrais aussi que tu me réserves un dîner pour deux personnes chaque soir dans un restaurant de cuisine locale différent“. Les voyageurs n’ont donc plus besoin d’aller sur les différents sites de réservation concernés pour organiser leurs vacances.
Incidemment, ces plugins permettent également à ChatGPT de se connecter à Internet et ainsi d’avoir accès en temps réel aux événements en cours, alors qu’il était jusqu’à présent limité aux épisodes inclus dans les données sur lesquelles il avait été formé, qui s’achevaient en 2021. Cela lui permet de proposer des réponses actualisées, ce qui augmente de manière considérable ses capacités et, partant, les usages qu’il peut servir. Progressivement, ChatGPT se transforme ainsi en véritable plate-forme, que certains observateurs apparentent déjà à un App Store. Comme toujours avec le numérique, la désintermédiation crée des acteurs incontournables.
L’émergence apparemment irrésistible de ChatGPT crée naturellement une menace significative pour les moteurs de recherche, au premier rang desquels Google Search, dont les propriétaires n’ont pas su, comme Microsoft avec Bing, anticiper et tirer parti de cette nouvelle vague technologique. Mais son potentiel de disruption est au moins aussi important pour les communicants et marketeurs.
Cette disruption est double.
En premier lieu, le site Internet risque de ne plus être une interface de contenus de référence pour les marques : il sera supplanté par les robots conversationnels qui offriront une expérience utilisateur bien supérieure2. De même que les entreprises ont dû adapter leurs contenus à l’avènement du search en mettant en oeuvre des méthodes de référencement organiques et payantes, puis aux réseaux sociaux avec le passage obligé à l’interactivité avec leurs parties prenantes, vont-elles devoir faire évoluer leurs pratiques pour ne pas perdre toute pertinence à l’ère des intelligences artificielles génératives.
Ce challenge en termes d’expérience utilisateur se doublera d’un défi plus grand encore en matière de contenus. En effet, comme nous l’avons vu dans l’exemple mentionné ci-dessus, les robots conversationnels puisent en ligne les informations correspondant aux demandes des internautes qui les sollicitent. Ils représentent donc une forme de sélection naturelle intraitable des contenus les plus pertinents. Ce processus sélectif sera largement indifférent aux approches payantes, même si, naturellement, des modèles qui n’existent pas encore seront certainement inventés et déployés à l’avenir dans ce domaine. Toujours est-il que, demain ou après-demain, l’unité élémentaire de contenu préférée des internautes ne sera probablement plus un article ou une vidéo d’une marque mais un fil conversationnel avec une intelligence artificielle qui piochera elle-même sur Internet les éléments susceptibles de nourrir ce dialogue : si vous avez aimé la curation algorithmique des contenus réalisée par les réseaux sociaux, vous allez adorer celle effectuée par les robots conversationnels.
Le danger pour les marques est d’autant plus important que, d’ores et déjà, seulement 5% de leurs contenus génèrent 90% de leurs interactions avec leurs publics : les 95% autres pourcents suscitent au mieux de l’indifférence chez leurs destinataires et au pire de l’agacement car ils ne sont pas conformes à leurs attentes. Pour paraphraser Montesquieu, les contenus inutiles affaiblissent les contenus nécessaires. Demain, ce déficit de congruence sera mortel pour les marques. Il est impossible de surestimer le travail d’adaptation qu’elles vont devoir mener à cet égard.
Fort heureusement, le nouvel écosystème que l’on voit poindre aujourd’hui n’est pas exclusivement porteur de risques3 pour elles. En effet, elles pourront par exemple mettre à profit les intelligences artificielles pour produire à grande échelle des contenus plus attractifs : il est estimé que 90% de l’ensemble des contenus mis en ligne en 2025 seront créés par des algorithmes. Ceux-ci favoriseront l’avènement de la communication et du marketing de masse personnalisés : chaque contenu pourra être individualisé en fonction de son public cible.
Mais cela ne suffira pas pour assurer le succès des marques dans ce nouvel environnement : il me semble que seule leur capacité à s’engager pour des points de vue leur permettra d’émerger en étant reconnaissables parmi tous les contenus régurgités de manière neutre par des robots conversationnels.
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1 Chat Generative Pretrained Transformer.
2 C’est donc un univers numérique encore plus centralisé qu’aujourd’hui autour de quelques acteurs, au premier rang desquels OpenAI s’il ne commet pas d’erreurs stratégiques dans les prochaines années, qui pourrait voir le jour… à moins que les dynamiques du web3 parviennent enfin à se concrétiser à grande échelle.
3 Et je n’évoque même pas dans cet article ses dangers en matière de désinformation et de cybercriminalité.