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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

La résistance suicidaire de la vieille garde de la presse

Dean Baquet, le nouveau directeur de la rédaction du New York Times depuis mai 2014, a tenu des propos hallucinants sur le web social dans une interview accordée au magazine allemand Der Spiegel.

Il explique ainsi doctement qu’il n’a pas le temps d’être actif sur Twitter :

Je sais que cela va me créer des problèmes mais je vais vous le dire tout de même : l’idée selon laquelle je devrais constamment tweeter est ridicule. Il y a beaucoup de journalistes au sein du New York Times qui tweetent. Je n’y suis pas opposé. Mais je n’ai pas assez de temps.

En outre, les patrons de rédaction n’ont pas grand-chose à dire. Mon univers consiste de ce bureau, de cet étage, de mon appartement et de conversations merveilleuses avec nos journalistes et correspondants – qui en savent beaucoup plus sur le monde que moi“.

En clair, Baquet estime que tweeter n’est pas de son niveau. Affirmer qu’il n’a pas le temps pour ce faire est une manière malhabile d’éviter de dire qu’il ne place pas cette activité à un rang significatif dans sa liste de priorités. Il considère Twitter comme un gadget qui n’est pas digne de lui mais que ses journalistes peuvent pratiquer s’ils le souhaitent. Il n’y est “pas opposé“.

Incidemment, la suite de son argumentation à ce sujet est aussi saisissante : en effet, s’il n’a aucune valeur à ajouter à ce que ses journalistes pourraient écrire sur Twitter à propos de la marche du monde, on peut se demander ce qu’il apporte dans son travail à la tête de sa rédaction lorsqu’il s’agit de hiérarchiser et mettre en perspective l’actualité du jour.

Mais, rassurez-vous, Dean Baquet utilise de temps en temps les réseaux sociaux. Il s’est ainsi “illustré” il y a quelques jours sur Facebook, avec la hauteur de vue qui sied à l’institution qu’il représente, en traitant publiquement de “connard” un professeur de la célèbre Ecole de journalisme Annenberg de l’Université de Californie du Sud qui avait osé lui reprocher de ne pas avoir publié les caricatures de Charlie Hebdo mettant en scène Mahomet.

Le Siège du New York Times à Manhattan - (CC) Christophe Lachnitt

Le Siège du New York Times à Manhattan – (CC) Christophe Lachnitt

La deuxième élucubration de Dean Baquet dans son entretien avec Der Spiegel a trait aux nouveaux médias d’information en ligne :

Nous avons considéré à tort que ces nouveaux concurrents, qu’il s’agisse de BuzzFeed ou d’autres sites, avaient autant de succès uniquement parce qu’ils menaient une activité journalistique que nous avions choisi de ne pas exercer. Pour être honnête, nous étions arrogants.

Nous regardions ces nouveaux concurrents de haut et nous avons réalisé que nous nous trompions. Ils avaient compris avant nous comment rendre leurs contenus accessibles aux gens intéressés. Nous avons été trop lents à cet égard”.

Il précise également :

Pour des organes de presse comme The New York Times et Der Spiegel, il existe toujours une tension entre journalisme sérieux et journalisme divertissant. Je ne nierais pas que nous soyons parfois trop sérieux. Mais nous écrivons beaucoup plus sur la culture populaire que nous ne l’avons jamais fait. (…) Je pense que nous bénéficions de beaucoup de buzz, parfois peut-être trop“.

Dean Baquet se trompe ici d’arrogance. Ce n’était pas arrogant de la part de ses prédécesseurs de considérer que BuzzFeed réussissait parfois mieux en termes journalistiques qu’une institution comme The New York Times. C’était au contraire une preuve de lucidité et de modestie.

Ce qui est arrogant, au contraire, est de réduire le succès de BuzzFeed, comme il le fait, à sa seule capacité à diffuser ses contenus vers un large public. C’est occulter toutes les innovations réalisées par le site en matière de contenus, de technologies et d’usages. C’est aussi exonérer The New York Times – et lui-même car c’est sa responsabilité – de toute remise en cause journalistique.

A ce sujet, le vieil argument dont use Baquet sur la distinction entre contenus sérieux et divertissants est aberrant pour deux raisons.

En premier lieu, il fait fi du classement, que je partageais avec vous il y a quelques jours, des pages les plus visitées du site du New York Times dans lequel les contenus dits divertissants se taillent la part du lion. Il faudrait que Dean Baquet étudie davantage l’activité de son site Internet avant de prononcer des jugements à l’emporte-pièce. Peut-être que les choix des internautes ne correspondent pas à la haute idée qu’il se fait de son journal et de ce qui distinguerait si fortement celui-ci de BuzzFeed. Mais l’arrogance ne peut pas tenir lieu longtemps de stratégie éditoriale.

En second lieu, la dichotomie artificielle entre contenus sérieux et divertissants est d’autant plus absurde qu’un média grand public comme The New York Times a tout intérêt à tenter d’attirer des lecteurs et internautes par ses contenus divertissants pour leur faire découvrir ses contenus plus sérieux. Si le quotidien new yorkais était The Harvard Law Review, les pincettes prises par Dean Baquet à l’égard du buzz seraient compréhensibles (et encore). Pour un journal qui cherche à élargir son public sur le web afin d’assurer son développement, elles ne font aucun sens.

Last but not least, il est insensé pour Dean Baquet de relever la réussite de BuzzFeed en matière de diffusion de contenus sur le web social et d’affirmer parallèlement qu’il n’a pas le temps de tweeter et qu’il n’est “pas opposé” à ce que ses journalistes le fassent. Inutile de dire qu’il devrait être beaucoup plus mobilisé et mobilisateur dans ce domaine.

Les dinosaures ont certes le cuir épais mais ils n’ont pas l’ouïe fine lorsqu’il s’agit d’écouter leur marché.

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