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Toute vérité n'est que perception

L’extraordinaire métamorphose de Ted Kennedy

L’ancien sénateur du Massachusetts, décédé il y a déjà deux ans, a réussi ce que très peu de personnages publics parviennent à accomplir : il a changé la perception que ses concitoyens avaient de lui après une première partie de vie pourtant disqualifiante. Mon envie de lire le livre d’Ed Klein était en partie motivée par cette transfiguration réussie de Ted Kennedy d’enfant terrible de la classe politique américaine en sage du Sénat. Même si le livre en question est à mes yeux décevant, ma curiosité et ma réflexion initiales demeurent.

Suspendu de Harvard pour avoir payé un étudiant afin qu’il passe un examen d’espagnol à sa place et, surtout, responsable à 37 ans de la mort de Mary Jo Kopechne dans l’accident de Chappaquiddick (certainement saoul, il avait conduit sa voiture dans un étang et n’avait déclaré l’accident à la police que le lendemain matin, le temps pour sa jeune passagère de mourir étouffée dans le véhicule englouti), Ted Kennedy n’avait rien, à ses débuts dans la vie publique, de l’icône qu’il était devenue à son décès.

L’abject drame de Chappaquiddick, qui aurait mis un terme à sa vie publique s’il s’était déroulé dans l’environnement médiatique actuel, empêcha Ted Kennedy d’accéder à la Maison-Blanche alors qu’il aurait pu être le seul, dans les années 1970, à pouvoir rassembler les différentes factions du Parti Démocrate face à Richard Nixon puis à éviter à l’Amérique la débâcle de la Présidence Carter.

Ted Kennedy était d’ailleurs écartelé, à l’égard du rôle de Président, entre son sentiment d’infériorité vis-à-vis de ses frères John – Président assassiné – et Robert – candidat à la primaire démocrate assassiné – et son sens du service public. Il fut également rongé toute sa vie par la double culpabilité d’avoir causé le décès de Mary Jo Kopechne et d’avoir survécu à ses deux frères.

Le convoi funéraire de Ted Kennedy le 29 août 2009 à Washington DC – (CC) Jason Walton

Pour se rendre compte de l’affaiblissement de l’influence et de l’image de Ted Kennedy après Chappaquiddick, rappelons que des discussions eurent alors lieu au Congrès pour débaptiser le Cap Kennedy – site en Floride de la plus grande base de la NASA – et lui redonner son nom originel de Cap Canaveral. Un tel affront au Président assassiné aurait été inenvisageable dans tout autre contexte.

A cette époque, Ted Kennedy faillit démissionner du Sénat et passa du statut de célébrité à celui de curiosité (selon l’expression de l’un de ses conseillers) : tout le monde voulait voir un Kennedy à terre. Engageant sa campagne de réélection de 1970 (qu’il gagnera haut la main), il expliqua lors d’une interview au New York Times : “Les électeurs ont besoin d’être rassurés. Ils ont besoin de me voir, d’être convaincus que je suis fiable et mature. Vous ne pouvez pas contrecarrer directement l’effet créé par Chappaquiddick. Ma réponse doit être implicite dans ce que je suis, ce pour quoi je me bats et comment les électeurs me voient”.

Cette remarquablement honnête interview est une leçon de communication : en effet, comme Ted Kennedy l’explique, il est des situations où les mots ne suffisent pas pour redorer une image ruinée. Seuls les actes – et le temps – permettent cette curation. C’est un enseignement que devraient retenir tous les responsables – politiques, économiques, sportifs… – qui, suite à des dérapages divers, croient avoir retrouvé une image vierge de tout reproche après avoir consenti à des excuses publiques. Ce que nous rappelle Ted Kennedy, in fine, et qui est une règle fondamentale de la perception, est que la confiance se mérite.

C’est le défi qu’il dut de nouveau relever en 1991 après que l’un de ses neveux eut été accusé de viol suite à une virée dans un bar de Palm Beach dans laquelle Ted l’avait entraîné. Comme il le déclara alors, “je crois que chacun d’entre nous ne doit pas seulement se battre pour faire émerger un monde meilleur mais aussi pour devenir meilleur en tant qu’individu”.

Au soir de sa vie, les Américains surent gré à Ted Kennedy d’avoir largement contribué à faire naître un monde meilleur et d’avoir pacifié ses démons personnels. Sur le plan politique, Ted Kennedy est aujourd’hui unanimement reconnu comme l’un des quatre plus grands législateurs de toute l’histoire américaine. Son nom est en effet lié à un nombre incomparable de lois d’envergure, au premier rang desquelles le Civil Rights Act de 1964 sur l’égalité des droits civiques pour les noirs et les femmes, le Voting Rights Act de 1965 sur l’accès au vote sans restriction des noirs, la loi Kennedy-Hatch de 1967 sur la couverture des enfants par l’assurance-maladie, l’extension du Voting Rights Act en 1982, l’Americans with Disabilities Act de 1990 contre toute forme de discrimination à l’égard des handicapés, la loi de 1998 sur le financement à grande échelle de recherches et traitements sur le SIDA et le No Child Left Behind Act de 2001 sur l’amélioration de l’éducation dans les écoles publiques par la mise en place de standards de performance.

Au fond, celui qui nous permet peut-être le mieux de comprendre la métamorphose de Ted Kennedy et de la perception que les Américains ont eu de lui à travers le temps est le journaliste et auteur américain Murray Kempton. Celui-ci, en se trompant dans son jugement, nous donne cependant la clé de l’énigme : “L’arrogance de notre conviction selon laquelle nous aurions fait mieux que Ted Kennedy dans une seule circonstance (i.e. Chappaquiddick) nous évite de voir les nombreuses situations dans lesquelles il a été meilleur que nous”.

Contrairement à ce que pensait Kempton, les concitoyens de Ted Kennedy ont fait la part de l’ombre et de la lumière dans son parcours et lui ont permis de trouver sa rédemption dans le travail accompli sur quarante ans au Sénat. En perception, rien n’est jamais gagné mais rien n’est donc jamais perdu non plus.

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