29 mai 2015 | Blog, Blog 2015, Marketing | Par Christophe Lachnitt
Le succès de Snapchat sera-t-il aussi éphémère que ses contenus ?
Evan Spiegel, le jeune (24 ans) cofondateur et patron de Snapchat, fait la Une de l’actualité ces jours-ci : il a été interviewé par Bloomberg Businessweek et a été l’un des principaux intervenants de la conférence Code organisée par Re/code.
Ces deux entretiens ont été riches en informations sur l’application mobile éphémère.
Commençons par les mettre en perspective afin de nourrir le débat sur la question que je pose dans le titre de cet article :
- sur le plan philosophique, Spiegel insiste sur le fait que Snapchat n’est pas destiné aux marques mais aux gens. Les annonceurs peuvent notamment diffuser des publicités dans les “Stories” – des collections de photos et vidéos créées pour rendre compte d’un événement ou illustrer un lieu – mais pas dans les “Snaps” – les conversations entre membres -, ce qui le distingue des autres réseaux sociaux. Comme l’explique Spiegel, “nous ne voulons pas que les marques se comportent comme des personnes car elles ne sont pas des personnes !” ;
- sur le plan opérationnel, Snapchat a près de 100 millions d’utilisateurs actifs quotidiens (contre 100 millions d’utilisateurs actifs mensuels au mois d’août dernier), soit environ un dixième de la communauté active chaque jour sur Facebook (936 millions de personnes). Mais les membres de Snapchat visionnent seulement moitié moins de vidéos que ceux de Facebook chaque jour. Et 65% de ses membres actifs créent leurs propres contenus chaque jour, ce qui représente un niveau d’engagement inouï. Last but not least, la couverture géographique planétaire de Snapchat est bien inférieure à celle de Facebook. Mais, là où l’application est présente, elle se taille la part du lion dans au moins un domaine. Ainsi, au Royaume-Uni, Snapchat représente-t-il 75% de tout le trafic de messagerie instantanée géré par l’opérateur mobile Vodafone, et ce alors qu’il compte beaucoup moins de membres que Facebook Messenger et WhatsApp. Mais Snapchat, qui est focalisé sur l’échange de photos et vidéos, génère une intense consommation de données. Celle-ci a augmenté de 260% sur les six derniers mois.

Evan Spiegel – (CC) TechCrunch
Même si l’on peut s’interroger sur l’existence actuelle d’une bulle dans le secteur des nouvelles technologies (une hypothèse que Spiegel a d’ailleurs accréditée lors de la conférence Code), ces indicateurs légitiment une valorisation élevée (15 milliards de dollars à ce stade) pour Snapchat. Rappelons que la start-up avait refusé une offre d’acquisition de Facebook pour 3 milliards de dollars en 2013 et a levé 848 millions de dollars au total.
Le potentiel de croissance rentable de Snapchat s’appuie également sur d’autres éléments, dont certains que j’ai déjà évoqués sur Superception :
- Snapchat se distingue de tous les autres réseaux sociaux par sa vocation : il ne s’y agit pas de projeter une image personnelle comme sur beaucoup d’autres plates-formes mais simplement de s’amuser. D’où le côté éphémère des contenus qui y sont mis en ligne et l’absence de concours de popularité (likes, commentaires, partages…) qui autorisent une pleine spontanéité sans crainte d’un jugement ultérieur. Evan Spiegel affirme d’ailleurs régulièrement que la capacité de Snapchat à changer le monde réside dans le fait qu’il est le seul réseau social à offrir à ses membres la faculté d’être vraiment eux-mêmes en ligne ;
- Snapchat se démarque également par la composition démographique de sa communauté. Outre qu’il est aujourd’hui le réseau social qui croît le plus rapidement, il attire la population la plus recherchée par les announcers sur le web social : les jeunes adultes. Les membres de Snapchat sont âgés en moyenne de 13 à 25 ans contre 40 ans pour ceux de Facebook. Enfin, les jeunes actifs sur Snapchat sont issus de milieux privilégiés ;
- l’ambition de Snapchat de devenir un média à part entière, notamment illustrée par le lancement de Discover, est crédible car elle correspond à l’évolution des usages des jeunes générations. Une étude récente de Deloitte a ainsi montré que les jeunes âgés de 14 à 25 ans passent presque autant de temps sur les réseaux sociaux que devant la télévision pour s’informer. Au mois d’avril dernier, 40 millions de personnes ont ainsi regardé sur Snapchat un flux basique de diffusion en direct du festival Coachella, une audience qu’il convient de comparer à celle de la retransmission télévisée des Grammy Awards au moins de janvier (25 millions de téléspectateurs).
Certes, Snapchat n’a probablement pas encore trouvé la martingale en matière de monétisation ; il a même récemment mis un terme à sa plate-forme publicitaire initiale, Brand Stories. Certes, la personnalité arrogante de Spiegel constitue parfois un obstacle au développement culturel et managerial interne de l’Entreprise et pourrait l’handicaper dans ses relations partenariales comme lors de l’introduction en Bourse qu’il prépare.
Mais, pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, je suis convaincu du potentiel de développement de Snapchat (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je l’ai choisi comme l’un des emblèmes du nouvel environnement médiatique dans le sous-titre de mon dernier livre).