7 décembre 2021 | Blog, Blog 2021, Management | Par Christophe Lachnitt
Du talent à la performance, la ligne est rarement droite
L’univers du sport est prodigue de métaphores managériales et ce sujet n’échappe pas à la règle.
Il est aisé de trouver des exemples – du génial Henri Leconte au précoce Richard Gasquet – de formidables talents qui n’ont pas obtenu les grands titres qui leur furent un temps promis. De fait, dans les stades comme dans l’entreprise, un talent ne produit pas forcément des résultats. Il faut notamment, pour réussir cette transition, faire montre d’intelligence rationnelle, émotionnelle et sociale, de lucidité, de travail, de volonté permanente d’apprendre, de persévérance, de résilience, de sens du collectif et, ne l’occultons pas, d’une certaine dose de chance.
A cet égard, deux grands sports professionnels, le football (au sens international du terme) et le football américain nous offrent deux visions diamétralement opposées de la gestion des talents. Le premier est fondé sur une forme de noblesse du don, le second sur la méritocratie1.
Dans notre football, on ne compte plus les joueurs qui obtiennent des contrats dont le montant et la durée sont proportionnels à leurs capacités mais pas à leur efficacité. Le modèle économique de ce sport, où les membres d’une équipe sont autant ses actifs que ses salariés, explique partiellement cette approche. Mais, de Neymar à Gareth Bale en passant par Paul Pogba, les stars du ballon rond les plus douées bénéficient d’un droit au dilettantisme ou à l’inconstance. Cette spéculation ne crée pas des ballons d’or mais des bulles d’argent.
Dans cette aristocratie du talent, il ne peut rien arriver à ces seigneurs. On ne sait pas si cette stratégie repose sur l’éternel espoir de leurs équipes respectives de voir leur potentiel se concrétiser, la peur de voir leurs talents partir chez un concurrent ou les seuls calculs marketing. A cet égard, la première évolution notable concerne la volonté attribuée par les médias au FC Barcelone de rémunérer à l’avenir Ousmane Dembélé avec un salaire fixe et une part variable assise sur le nombre de matches qu’il jouerait chaque année.
La situation est tout autre dans le football américain. Considérons les exemples de deux des plus grandes stars de ce sport sur les dix dernières années.
La première est Cam Newton. Elu meilleur joueur universitaire (Heisman Trophy) en 2011, il fut ensuite recruté par les Carolina Panthers au premier rang de la “draft” qui voit chaque année les 32 équipes de la ligue professionnelle (NFL) sélectionner les centaines de jeunes joueurs qu’ils vont enrôler. Cam Newton fut ensuite élu MVP (meilleur joueur) de la NFL en 2015, un titre équivalent dans ce sport à ce qu’est le ballon d’or à notre football.
Il gagna le surnom de “Super Cam” en raison de sa capacité de marquer lui-même des touchdowns (l’équivalent des essais au rugby) et pas seulement de passer la balle à d’autres joueurs (la première mission du quarterback, sa position) pour qu’ils marquent. Il détient d’ailleurs toujours le record (73) de touchdowns inscrits par un quarterback. Pourtant, son niveau ayant décliné, il fut congédié par les Panthers en 2019. Les New England Patriots le recrutèrent en 2020 avant de le remercier eux aussi. Il passa la moitié de l’année 2021 sans club avant de revenir aux Panthers pour un contrat d’une seule année.
L’autre tête d’affiche destituée par la rigueur de la NFL est Odell Beckham Jr. Lui aussi un talent capable d’électriser les foules par des actions de jeu dont certaines sont restées iconiques, il battit beaucoup de records lors de ses premières saisons dans l’élite avec les New York Giants. Puis ses performances fléchirent et il est passé au sein de trois équipes ces trois dernières années avec des durées de contrat raccourcies à chaque fois.
Plus globalement, on ne compte plus, au sein de la NFL, les grands espoirs limogés lorsqu’ils ne délivrèrent pas les résultats attendus et les stars déchues quand leur compétitivité ne fut pas durable. Ce qui est peut-être le plus frappant est que le destin de ces étoiles filantes est indépendant de leur prestige passé, de leur niveau de rémunération et de leur puissance marketing.
On retrouve cette différence entre l’aristocratie et la méritocratie dans l’univers professionnel ou le diplôme remplace le talent comme titre de noblesse, surtout en France et plus encore dans l’administration que dans l’entreprise. A cet égard, notre pays censément épris d’égalité se révèle très discriminatoire. Lorsque le diplôme et le statut et le réseau qui en procèdent remplacent la performance, l’organisation concernée abandonne toute prétention à l’équité et toute ambition d’excellence. Naturellement, cette gestion aristocratique des ressources humaines est d’autant plus funeste que le talent et les diplômes sont encore moins des facteurs de réussite pour les managers que pour les contributeurs individuels.
C’est certainement la raison pour laquelle cette approche est beaucoup plus présente au sein des grandes entreprises que des start-ups qui ne peuvent pas se la permettre longtemps.
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1 On peut évidemment toujours trouver des exceptions à ces deux règles.