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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Mark Zuckerberg et le chat de Schrödinger

L’avenir de Meta est à la fois contenu et hors de contrôle.

C’est peu de dire que les derniers résultats trimestriels de Meta en date ont déçu les marchés. Le recul de 4% des revenus du Groupe conjugué à l’augmentation de 31% de ses pertes dans les métavers ont choqué, et ce d’autant plus que l’investissement de Meta dans les métavers devrait s’élever cette année à 15 milliards de dollars (contre une prévision de 10 milliards) et que Mark Zuckerberg a prévenu que la situation devrait être pire encore dans ce domaine l’an prochain. Last but not least, alors que tous les signaux sont au rouge, Meta a recruté 3 761 collaborateurs supplémentaires (en net) durant le trimestre écoulé.

La valeur de l’action Meta a chuté de plus de 25% après la publication de ces chiffres et s’est désormais effondrée de plus de 70% depuis le début de l’année, ce qui renvoie le Groupe à sa valorisation de janvier 2016, quand il réalisait un chiffre d’affaires annuel de 18 milliards de dollars contre 118 milliards aujourd’hui. Autre mise en perspective, depuis que Facebook est devenu Meta, le Groupe a perdu 622 milliards de dollars de capitalisation en raison du scepticisme croissant sur les métavers et sur les progrès du Groupe dans cet univers par rapport au montant de ses investissements.

Les fidèles de Superception savent que je ne suis pas, loin s’en faut, un aficionado de Mark Zuckerberg que je considère comme le dirigeant corporate le plus nocif de ces cinquante dernières années en raison de la priorité qu’il a donnée à la croissance des profits de Facebook en assumant délibérément que sa plate-forme soit utilisée pour déstabiliser des démocraties, promouvoir des génocides, organiser des trafics humains et harceler d’innombrables personnes fragiles.

Mais, aujourd’hui, je lui reconnais l’audace et la détermination de prendre des risques, à un horizon incompatible avec les lunettes à courte vue de Wall Street, pour imaginer l’avenir de son entreprise. Certes, au contraire de Steve Jobs qui auto-cannibalisait les produits d’Apple pour inventer de nouveaux marchés, “Zuck” se comporte ainsi parce qu’il est affaibli, sur son coeur d’activité, par des concurrents, au premier rang desquels, pour des raisons différentes, Apple et TikTok.

Apple a pris des mesures discrétionnaires afin de réduire le potentiel de monétisation publicitaire de ses rivaux et développe parallèlement sa propre activité publicitaire, comme le confirment encore ses plus récentes initiatives | à cet égard. Le temps est loin où Steve Jobs proclamait sur scène “Pas de publicité ! Nous n’aimons pas la publicité !“. Quant à TikTok, la proportion d’adultes américains qui s’y informent a triplé en deux ans et l’application commence même à affaiblir YouTube. Personne ne devrait pourtant se réjouir de voir Facebook remplacé par TikTok chez les jeunes et, de manière croissante, les moins jeunes étant donné la mainmise de la censure et la propagande de l’Etat totalitaire chinois sur la filiale de ByteDance.

Mark Zuckerberg doit donc mener une double révolution à court et long termes :

  • à court terme, changer le fonctionnement de Facebook et Instagram pour copier celui de TikTok, c’est-à-dire transformer un réseau social dont l’algorithme vise la maximisation des relations familiales et amicales de ses membres en une plate-forme de divertissement dont l’algorithme vise la maximisation des contenus qu’il peut proposer à ses utilisateurs en fonction de leurs goûts. En effet, l’attrait de TikTok est d’autant plus grand que ses utilisateurs ne sont pas limités aux contenus de leurs proches : dans le cas de Facebook, l’effet de réseau concerne la demande de contenus (le graphe social), alors que, chez TikTok, il concerne l’offre de contenus (le graphe d’intérêt) ;
  • à long terme, inventer son métavers, une initiative que certains analysent comme un effort comparable à la création d’Android par Google pour s’affranchir de l’écosystème iOS d’Apple : Meta viserait à reprendre le contrôle des données des internautes que les réformes d’Apple dans ce domaine lui ont fait (en partie) perdre. Mais, alors que, avec Android, Google prenait pied sur un marché en pleine explosion, le développement de Meta dans les métavers est éminemment plus aléatoire. Depuis 2019, le Groupe a dépensé 36 milliards de dollars pour s’y positionner en pionnier et a, jusqu’à présent, largement échoué à ce faire.
Illustration par DALL-E 2 (mon entrée de texte : “a 3D render of a cat playing with the Facebook logo”)

La fameuse expérience réflexive d’Erwin Schrödinger1, imaginée dans le cadre d’un débat sur la mécanique quantique, mettait en lumière le paradoxe selon lequel l’issue d’un problème peut être à la fois contenu et hors de contrôle jusqu’à ce que l’on réalise des tests pour le résoudre. Il en va de même, aujourd’hui, de l’avenir de Meta.

Certes, l’annonce de la mort du groupe de Mark Zuckerberg est largement exagérée, comme l’aurait écrit Mark Twain :

  • Meta continue de séduire de nouveaux internautes : il a conquis 50 millions de nouveaux utilisateurs actifs quotidiens durant le trimestre écoulé, dont 16 millions sur Facebook ;
  • l’engagement des internautes avec Reels, la fonctionnalité copier-coller de TikTok, continue de croître sur Facebook et Instagram, ce qui peut laisser entrevoir un double rôle tactique de Reels identique à ceux que les Stories jouèrent sur Instagram vis-à-vis de Snapchat : empêcher l’hémorragie des utilisateurs des services de Meta vers des applications concurrentes et fournir un nouveau vecteur de monétisation publicitaire ;
  • Meta se prépare, notamment grâce à ses investissements en intelligence artificielle, à compenser au moins en partie les revenus publicitaires perdus du fait de la modification par Apple, à son propre bénéfice, des règles de respect de la vie privée des internautes dans son écosystème.

Mais le futur de Meta, qui a perdu sa place, temporairement ou définitivement, parmi les mastodontes insubmersibles de l’industrie des nouvelles technologies, va aussi dépendre des décisions de son emblématique patron. Or il lui semble très difficile de trouver le juste équilibre entre résolution louable d’un leader visionnaire et toute-puissance d’un dirigeant déconnecté du réel. De la détermination à l’aveuglement, il n’y a qu’un pas qu’il est facile de franchir pour les chefs d’entreprise qui n’ont pas mis en place de contre-pouvoir pertinent.

Mark Zuckerberg a-t-il investi trop tôt et trop fort dans les métavers ? Il est impossible de répondre à cette question aujourd’hui, même si le retour sur investissement visible des montants dépensés est jusqu’à présent trop faible. C’est d’ailleurs l’un des arbitrages les plus difficiles à faire pour un PDG que de jauger si l’anticipation d’une nouvelle technologie ou d’un nouvel usage va donner un temps d’avance à son entreprise ou placer celle-ci tellement en pointe par rapport à ses clients qu’elle s’éloignera périlleusement d’eux. Avoir raison trop tôt peut être aussi dangereux que d’avoir tort.

En revanche, il est clair que Meta a dû investir plus tôt, et donc davantage, que s’il se trouvait dans un contexte normal afin de construire sa marque et sa crédibilité dans les métavers, ce que Mark Zuckerberg a reconnu dans une récente interview. C’est un problème auquel Apple, par exemple, n’est pas confronté car son image n’est pas aussi dépréciée que celle de Meta. L’omnipotence de Mark Zuckerberg au sein de Meta, en raison à la fois de son statut de cofondateur et de son contrôle sur le capital et, plus encore, les droits de vote du Groupe, lui confère le pouvoir de prendre cette décision. Celle-ci relève des risques pertinents pris par un patron, pas au sens où ils vont forcément déboucher sur une issue positive mais au sens où le fait de prendre ce genre de risques est justifié dans un secteur qui évolue aussi vite que celui dans lequel Meta opère. Le revers de la médaille est que la prépotence de “Zuck” lui a aussi permis de décréter qu’il serait le meilleur ambassadeur et porte-parole de Meta, dans le monde réel et à travers son avatar2, pour promouvoir ses ambitions et développements dans les métavers. Or il est probablement, de nos jours, le plus mauvais héraut possible pour incarner une entreprise, quelle qu’elle soit.

D’autres questions se posent au sujet de la stratégie de Meta, par exemple celle qui concerne le choix de se focaliser sur la production de casques de réalité virtuelle lourds et chers car haut de gamme, alors que des équipements légers et à bas prix correspondraient mieux à la raison d’être de Meta d’aider le plus grand nombre d’internautes possible à communiquer et à son intérêt actuel de les motiver à se familiariser avec son métavers (Horizon Worlds).

En définitive, le pari effectué par Mark Zuckerberg est respectable même s’il résulte d’une dérive de la gouvernance de Meta et qu’il est assorti d’un égocentrisme contre-productif. Cela n’empêchera cependant pas le Groupe d’être à la fois mort et vivant beaucoup plus longtemps que le chat d’Erwin Schrödinger.

1 Pour faire simple, Schrödinger expliqua que, si quelqu’un place un chat et un élément susceptible de le tuer (dans l’hypothèse de Schrödinger, un atome radioactif) dans une boîte et qu’il scelle celle-ci, il ne saura pas si le chat est mort ou vivant avant d’ouvrir la boîte. Ainsi donc, le chat est en un sens à la fois mort et vivant jusqu’à ce que la boîte soit ouverte.

2 Même si Mark Zuckerberg est le seul chef d’entreprise qui, dans la vraie vie, ressemble à un avatar, ce qui accroît la cohérence entre les deux principaux messagers de Meta.

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