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Toute vérité n'est que perception

Le crash de FTX représente bien une déconfiture du web3 mais pas celle que l’on croit

Le web3 est son pire ennemi.

La semaine dernière, la troisième plus grosse plate-forme d’échange de cryptomonnaies, FTX, qui opère principalement depuis les Bahamas où elle offre des services de trading qui ne sont pas autorisés aux Etats-Unis, eut soudainement du mal à faire face à une augmentation des retraits de leurs investissements par nombre de ses clients (pour un montant net total d’environ 6 milliards de dollars en 72 heures). FTX dut même arrêter de traiter ces retraits, étant confrontée à une crise de liquidités.

L’origine de ces événements se trouve dans une crise de confiance résultant des révélations du site CoinDesk sur les fondations fragiles de la société sœur de FTX, Alameda Research, un fonds spéculatif que Sam Bankman-Fried, le fondateur et patron de FTX, avait créé avant de lancer FTX : les actifs d’Alameda sont largement constitués de jetons (tokens) créés par FTX (ces jetons sont dénommés FTT) et non d’actifs indépendants et solvables en eux-mêmes. Et FTX avait prêté plus de la moitié des fonds de ses clients à Alameda. Devant ces révélations, Binance, concurrent de FTX et leader de ce marché, annonça vendre ses actifs de FTT, alors que Sam Bankman-Fried avait rassuré les marchés sur Twitter dans un tweet supprimé depuis lors où il affirmait que FTX et ses actifs se portaient bien. On saura peut-être un jour si Changpeng Zhao, le cofondateur et patron de Binance, a généré cette crise ou s’est contenté de l’intensifier au risque d’affaiblir encore la confiance des investisseurs et individus dans les cryptomonnaies et donc de scier une partie de la branche sur laquelle il est assis.

Toujours est-il que l’annonce de Binance généra une précipitation des clients de FTX à en retirer leurs avoirs. Mais l’Entreprise fut incapable de les leur rendre du fait de son montage financier avec Alameda. La confiance dans FTX, Alameda et les jetons FTT fut alors minée, suscitant, en plus de la crise de liquidités (FTX ne pouvait pas tout de suite rendre leur argent à ses clients), une crise de solvabilité (les avoirs de FTX en FTT perdirent leur valeur). Le plus étonnant, si l’on doit encore être surpris par le secteur des cryptomonnaies, est que FTX était apparu comme un consolidateur de ce marché lors du dernier krach en date. Quoi qu’il en soit, il fut d’abord annoncé que FTX serait racheté pour rien par Binance, avant que celui-ci ne se rétracte. FTX finit par se déclarer en faillite et Sam Bankman-Fried démissionna. Quant à ses investisseurs, ils ont tout perdu. Même dans le monde de la crypto, l’effondrement de FTX est sans précédent. Il suscita une contagion dans le secteur des cryptomonnaies mais n’a pas encore conduit à l’effondrement total de celui-ci.

La faillite de FTX, qui a levé 2 milliards de dollars depuis sa fondation en 2019 et fut valorisé il y a moins d’un an (janvier 2022) à 32 milliards de dollars lors de son dernier tour de financement, est un événement digne de l’éclatement de la bulle des dot.com. Il est aussi comparable à l’écroulement de Lehman Brothers en 2008 mais, heureusement, sans ses répercussions sur l’économie réelle. Ce qui est unique dans l’Histoire, en revanche, est le montant de la fortune perdue par le jeune trentenaire Sam Bankman-Fried en quelques jours : seize milliards de dollars. Il y a peu, le magazine Fortune lui consacrait sa couverture et le consacrait comme le futur Warren Buffett. Il faut dire que Sam Bankman-Fried était considéré unanimement comme le plus sage et respectueux des lois de tous les dirigeants de startups de trading de cryptomonnaies.

On en est très loin si l’on en croit les dires de John J. Ray III, le tout nouveau PDG de FTX, qui considère que l’effondrement de la plate-forme d’échange de cryptomonnaies est la pire faillite d’entreprise à laquelle il ait jamais assisté :

J’ai plus de 40 ans d’expérience juridique et dans le domaine des restructurations. J’ai été directeur de la restructuration ou directeur général dans le cadre de certaines des plus grandes faillites d’entreprise de l’Histoire. J’ai supervisé des situations impliquant des allégations d’activités criminelles et de malversations (e.g. Enron). Presque toutes les situations dans lesquelles j’ai été impliqué ont été caractérisées par des manquements dans les contrôles internes, la conformité réglementaire, les ressources humaines et l’intégrité des systèmes. Jamais, au cours de ma carrière, je n’ai vu un échec aussi complet des contrôles de l’entreprise et une absence aussi complète d’informations financières dignes de confiance que chez FTX“.

On comprend la portée de ce commentaire lorsqu’on sait que John J. Ray III supervisa la liquidation d’Enron. Au sein de FTX, il constata par exemple :

  • une absence de contrôle des dépenses : les collaborateurs soumettaient des demandes de paiement via une plate-forme de chat et les dépenses étaient approuvées avec des émojis personnalisées. Les fonds de l’Entreprise furent ainsi utilisés par des salariés pour acheter des maisons et d’autres biens personnels ;
  • l’inexistence de documents de gestion : il est même impossible pour John Ray de reconstituer la liste des salariés de FTX. Il n’y a pas davantage de registre des décisions majeures ayant gouverné la vie de l’Entreprise parce que Sam Bankman-Fried les communiquait en utilisant des messages à effacement automatique.

En outre, l’ancien patron de FXT est fortement soupçonné d’avoir commis plusieurs fraudes, notamment en opérant des relations incestueuses entre ses comptes personnels et ceux de ses deux entreprises (FTX et Alameda), ainsi qu’entre ces derniers. Il pouvait ce faire d’autant plus impunément que FTX n’avait ni Conseil d’Administration ni comité d’audit. Aujourd’hui, la majorité des dépôts des clients de FTX – plusieurs milliards de dollars – manquent à l’appel et Sam Bankman-Fried a avoué dans un échange hallucinant – ou halluciné – avec une journaliste que ses appels à la régulation du secteur des cryptomonnaies et son discours éthique n’étaient que théâtre pour lustrer son image.

Sam Bankman-Fried – (CC) Cryptoast

Le fiasco de FTX est considéré par nombre d’observateurs comme une nouvelle démonstration de l’échec du web3. C’est en partie vrai seulement : si le naufrage de FTX ne remet pas en cause le principe fondamental du web3 – la décentralisation -, il questionne de nouveau son applicabilité à grande échelle. En effet, le succès des plates-formes centralisées procède notamment de l’excessive complexité de l’expérience utilisateur pour les individus et organisations qui veulent s’investir dans les cryptomonnaies. Cette complexité va à l’encontre de l’idéal de gestion de leurs actifs de cryptomonnaies par les internautes et de gouvernance décentralisée des organismes qui font fonctionner le monde des cryptomonnaies. C’est ainsi que la centralisation y règne contre toute logique, comme si, tout en prônant le catéchisme léniniste, l’Union soviétique avait été dirigée par le Comité exécutif de Goldman Sachs et non par le Politburo du Comité central du Parti communiste. Bitcoin, la première cryptomonnaie fut créée en réaction à la crise financière de 2008 et à la défiance pour les institutions financières suscitée par celle-ci afin, notamment, de donner aux individus la propriété irréfragable de leurs actifs monétaires et de pouvoir échanger ceux-ci sans intermédiaire. On est loin, aujourd’hui, de cet objectif.

On retrouve en effet un fonctionnement centralisé à tous les étages du web3. En premier lieu, la richesse y est encore plus concentrée que sur le web2 : 9% des comptes enregistrés sur Ethereum détiennent 80% de la valeur des NFT qui y sont hébergés, 2% des comptes Bitcoin possèdent 95% de l’offre de bitcoins et 0,1% des mineurs de bitcoins représentent la moitié de sa production minière totale. En outre, l’expérience de la grande majorité des internautes avec le web3 dépend d’entreprises qui reproduisent le modèle de centralisation antérieur : Coinbase et FTX pour l’échange de cryptomonnaies, OpenSea pour la commercialisation de NFT, Alchemy et Infura pour le développement logiciel et Discord pour la communication. Dans les cryptomonnaies, un autre exemple de centralisation est le Digital Currency Group (DCG) qui détient le prêteur de cryptomonnaies Genesis, le gestionnaire d’actifs de cryptomonnaies Grayscale1 et le site CoinDesk qui a révélé les problèmes de FTX (cf. supra). DCG est aussi un investisseur dans FTX et dans Elliptic, une société d’analyse qui enquête sur ce scandale. DCG contrôle donc plusieurs composantes de l’écosystème crypto, à tel point que certains des acteurs de celui-ci se demandent s’il ne peut pas l’influencer de manière léonine. Le patron de DCG a d’ailleurs indiqué que son inspiration était Standard Oil, une révélation troublante si l’on se souvient que cette entreprise provoqua plus ou moins directement le premier krach boursier et fut démantelée parce qu’elle constituait un monopole.

Ce n’est pas un hasard si, depuis l’annonce de la débâcle de FTX, l’intérêt pour les protocoles de finance décentralisée (DeFi)2 a significativement augmenté, les détenteurs de cryptomonnaies voulant (re)prendre le contrôle de leurs actifs. Les protocoles (Aave, Balancer, Compound, MakerDAO…) et plates-formes d’échange (Curve, Uniswap…) DeFi sont fondés sur une gouvernance décentralisée dans la vraie logique du web3. Leur nouvelle popularité correspond au motto longtemps en vogue dans le monde de la crypto – “pas vos clés, pas vos pièces” – qui induit qu’une personne doit posséder elle-même les clés cryptographiques permettant d’accéder à ses actifs numériques, et donc ne pas confier la gestion de ceux-ci à des organisations centralisées, pour en revendiquer indubitablement la propriété.

En définitive, la crapulerie de FTX met le monde des cryptomonnaies et, plus globalement, le web3 face à son plus grand défi : concrétiser sa promesse initiale de décentralisation avant que les affaires successives liées à ses faux jumeaux centralisés (Celsius Network, FTX, Terra, Voyager Digital…) n’annihilent ses soutiens.

1 Genesis et Grayscale ont tous les deux pris des mesures fortes ces derniers jours révélant les risques qu’ils encourent depuis le crash de FTX.

2 La finance décentralisée (decentralized finance ou DeFi) est un écosystème de produits et services établis sur une blockchain (essentiellement Ethereum) qui remplacent – ou complètent – les intermédiaires financiers traditionnels par des logiciels ouverts, gratuits, autonomes et transparents pour mettre en oeuvre une finance démocratisée et sans frontières. La DeFi déploie également des innovations en matière d’efficacité des règlements, de gestion des risques et d’accessibilité. De fait, la DeFi permet d’effectuer, sans passer par un intermédiaire, un grand nombre d’opérations financières : paiements, transferts de valeurs, échanges de devises, gestion d’actifs, produits dérivés, prêts, assurance… La DeFi fonctionne avec des contrats intelligents sans la coûteuse intervention d’une institution financière centralisée (banque, bourse…). Le code des applications DeFi est open source, ce qui permet aux utilisateurs de le vérifier.

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