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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

De l’attention à l’ère de l’intelligence artificielle générative

A l’ère de l’économie de l’attention dopée par l’intelligence artificielle générative, l’attention est toujours finie et les contenus toujours plus infinis. Une seule stratégie permettra de résoudre cette contradiction.

“Content Is King” (le contenu est roi), la maxime de la communication et du marketing ces deux dernières décennies, a régulièrement été complétée de différentes manières pour déterminer qui était la reine de cet étrange couple : furent notamment proposés le contexte, la conversation, la diffusion, l’engagement, le marketing de contenus et la pertinence.

En réalité, ces éléments contribuent tous au même objectif : capter et conserver l’attention des parties prenantes sur les contenus que l’on souhaite leur présenter. Partant, l’attention est la vraie reine. De tout temps, rares ont été les publics cible captifs. Certes, à l’époque de l’ORTF dans notre pays, avant la révolution numérique dans les entreprises1 et aujourd’hui encore dans les dictatures, des audiences peuvent être contraintes de consommer des contenus par absence de choix. Partout ailleurs, l’infobésité est synonyme d’excès d’alternatives, laquelle fait d’ailleurs penser aux deux premiers vers de la chanson consacrée par U2 à New York : “In New York freedom looks like / Too many choices“.

En outre, la liberté des unes (les audiences) provoque l’aliénation des autres (les marques) : celles-ci se croient obligées de produire toujours plus de contenus pour surnager dans l’océan de messages auquel leurs parties prenantes sont confrontées. Ce problème ne va faire que s’aggraver avec la généralisation de l’intelligence artificielle générative. Comme j’ai pris l’habitude de le dire, si vous avez aimé l’UGC2, vous allez adorer l’intelligence artificielle générative. Il est ainsi estimé que, dès 2025, 90% des contenus accessibles en ligne pourraient être produits par des intelligences artificielles et non humaines. Emerger dans ce contexte sera un défi plus titanesque encore qu’il ne l’est aujourd’hui.

Il se trouve que la stratégie des marques à cet égard est déjà erronée : elles privilégient la quantité sur la qualité dans leur production de contenus.

Cette approche peut s’expliquer à mon sens par trois facteurs :

  • Les entreprises évaluent leur efficacité dans (presque) tous les domaines en volume : plus est toujours mieux. C’est aussi vrai pour la production de contenus.
  • Les directions de la communication et/ou du marketing sont enjointes par leurs business partners à produire toujours plus de contenus pour représenter leurs différentes activités sans considération pour l’intérêt et la capacité d’attention des publics cible. La communication interne est généralement la plus grande victime de ce clientélisme.
  • Cette démarche quantitative est assumée de bonne foi par certaines organisations de communication et/ou de marketing.

Une recherche d’envergure a montré que, d’ores et déjà, les marques réalisent 90% de leurs interactions avec leurs parties prenantes à partir de 5% de leurs contenus seulement. Autrement dit, 19 sur 20 des contenus que vous produisez suscitent peu ou pas d’engagement. Au mieux laissent-ils vos publics indifférents, au pire les éloignent-ils de votre marque.

Naturellement, ce phénomène va bigrement s’aggraver avec la généralisation de l’intelligence artificielle générative. Les organisations auront alors le choix entre deux stratégies : celle de la course vers le moins-disant, qui consistera à produire toujours plus de contenus pour censément conserver la même visibilité auprès de ses publics cible, et celle de la sortie par le haut, qui reposera sur une réduction drastique de la quantité de contenus produits pour se focaliser sur des contenus de grande qualité (i.e. ciblage des publics, pertinence et créativité des contenus, interactivité, gamification, personnalisation et immersivité des approches…). Il est clair à mes yeux que seule cette seconde option est viable. Mais elle imposera de telles révolutions culturelles et managériales que les marques qui la déploieront seront fort minoritaires.

Deion Sanders avec Peggy Coppom (98 ans), la première supportrice de l’équipe de football de l’Université de Colorado Boulder, qui assiste à ses matches depuis 1940 – (CC) David Zalubowski-Associated Press

A cet égard, je voudrais vous raconter une histoire qui, je l’espère, vous aidera à benchmarker au quotidien cette exigence de qualité de vos contenus. Cette histoire, c’est celle de Deion Sanders, l’un des plus grands joueurs de football américain de sa génération (et de plusieurs autres), qui est aussi le seul homme à avoir pris part à la finale des championnats professionnels américains de football (Super Bowl) et baseball (World Series), un exploit impensable pour tout être normalement constitué. Outre un talent sportif hors du commun, Deion Sanders s’est toujours distingué par son charisme et sa capacité à capter et conserver l’attention de ses contemporains. Aujourd’hui coach de l’équipe de football américain de l’Université de Colorado Boulder, il vient d’être élu personnalité sportive de l’année, outre-Atlantique, pour ces mêmes qualités par le magazine Sports Illustrated, qui écrit à son propos : “En moins d’un an, coach Prime3 n’a pas seulement métamorphosé la moribonde équipe de football du Colorado. Il a également donné un nouveau souffle au campus de l’Université et transformé une communauté“.

Pourquoi vous entretenir de Deion Sanders ? Parce qu’il se trouve que dans un portrait que lui avait consacré Bloomberg il y a deux mois et demi, une citation m’avait sauté aux yeux : “He’s a scroll stopper” (traduisible littéralement par “lorsque les gens voient son nom, ils arrêtent de faire défiler les contenus sur leurs écrans”). Or nous savons que les internautes font en moyenne défiler l’équivalent de 91 mètres de contenus sur leurs écrans mobiles chaque jour. Dès lors, le risque pour chaque contenu produit par une marque est d’ajouter quelques centimètres à ce défilement sans autre conséquence que l’indifférence de ses cibles… sauf si la marque qui l’a conçu s’est donné comme objectif que chacun de ses contenus soit un “scroll stopper”. Dans le cas contraire, il est inutile de dédier les ressources nécessaires à sa production. C’est l’ampleur du défi qui attend tous les communicants et marketeurs dans les prochaines années.

La philosophe Simone Weil a écrit que “l’attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité“. C’est une observation que chaque communicant et marketeur devrait avoir à l’esprit lorsqu’il s’apprête à émettre un nouveau contenu vers ses parties prenantes. On dit d’ailleurs que l’on prête attention à quelque chose ou quelqu’un, pas qu’on lui donne son attention4. A l’ère de l’économie de l’attention dopée par l’intelligence artificielle générative, alors que l’attention est toujours finie et les contenus toujours plus infinis, cet emprunt de l’attention d’autrui devrait être réalisé avec toujours plus de soin, dans le respect de ce que je vous propose d’appeler dorénavant le “théorème Deion Sanders” : si vous n’êtes pas certain de produire un contenu susceptible de captiver vos publics cible, évitez-vous et, surtout, évitez-leur cette peine.

1 Le fait que les collaborateurs d’une entreprise constituaient un public captif de sa communication interne avant la révolution numérique et qu’ils ne le sont plus aujourd’hui est un truisme que beaucoup de dirigeants n’ont pas encore intégré dans leurs pratiques de management et de communication interne : dans beaucoup trop d’entreprises, les enjeux d’activation interne sont ignorés.

2 Le “user-generated content” (contenus générés par les utilisateurs) qui, notamment sur les médias sociaux, a contribué à l’augmentation considérable du nombre de contenus dès lors que chaque internaute, et non plus seulement les organisations, pouvait s’exprimer publiquement.

3 Son surnom qui date de sa carrière de joueur.

4 C’est seulement pour souligner le caractère exceptionnel d’un échange que l’on affirme donner toute son attention à un sujet ou une personne.

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