23 août 2011 | Blog, Blog 2011, Communication | Par Christophe Lachnitt
Il est plus facile d’étonner que de convaincre, n’est-ce pas Rick Perry ?
La première semaine de campagne de Rick Perry dans la primaire présidentielle républicaine a été riche d’enseignements en termes de perception sur le candidat lui-même et, par contraste avec Barack Obama, sur la psyché du peuple américain.
L’éléphant n’est pas un animal particulièrement répandu au Texas. C’est pourtant avec la légèreté d’un pachyderme dans un magasin de porcelaine que Rick Perry, gouverneur du Texas, a fait son entrée dans la campagne pour désigner le candidat républicain à la Maison-Blanche. En une semaine, Rick Perry a occupé beaucoup d’espace médiatique et c’était certainement l’un de ses objectifs. Entrant tardif dans la course, il devait frapper fort d’emblée pour trouver sa place dans un univers médiatique déjà surpeuplé : lorsqu’un responsable politique veut faire parler de lui, il doit davantage intéresser les médias que ses concurrents.
Il est plusieurs manières d’atteindre ce but. Par exemple, si Rick Perry avait présenté un plan de résorption du chômage révolutionnaire et crédible, il se serait assuré la Une des médias américains. Il aurait également communiqué un message cohérent avec (i) l’argument principal qu’il veut faire valoir dans son bilan de gouverneur du Texas et (ii) le niveau de contribution intellectuelle attendu d’un candidat sérieux à la Maison-Blanche.
Ce n’est pas l’option qu’il a retenue, préférant être cohérent avec une autre perception associée au Texas : le mythe du cow-boy. En bon cow-boy, Rick Perry a donc tiré dans tous les sens :
- il a accusé Ben Bernanke, le Président de la Réserve Fédérale, de trahison au cas où la Réserve Fédérale ferait fonctionner la machine à billets pour conforter l’économie américaine et l’a menacé des pires traitements s’il mettait les pieds au Texas, oubliant que ledit Bernanke avait été nommé par le républicain George W. Bush (puis confirmé par Barack Obama) et que, lorsqu’on aspire à devenir Président, on n’emploie pas le terme de trahison à tort et à travers ;
- il a reproché à Barack Obama de ne pas aimer son pays, oubliant que lui-même avait évoqué en 2009 la sécession du Texas de l’Union ;
- il a affirmé que les militaires américains préféreraient être sous les ordres d’un commandant en chef ayant servi dans l’armée (Rick Perry a été pilote dans l’Armée de l’Air), oubliant que John McCain, qui a pourtant des références militaires autrement plus sérieuses que les siennes à faire valoir, n’avait jamais utilisé cet argument contre Obama en 2008 ;
- il a défini Barack Obama comme “la plus grande menace contre notre pays” oubliant de préciser où il plaçait les terroristes sur son échelle des risques.
Et ce ne sont là que quelques exemples qui ne rendent pas compte de l’ensemble des saillies de Rick Perry durant sa première semaine de campagne. Le télégénique Texan a en effet aussi prononcé des propos pour le moins polémiques sur le changement climatique, la théorie de l’évolution, etc. Même Karl Rove, l’ancien conseiller le plus influent de George W. Bush, a considéré que certains des propos de Rick Perry n’étaient pas “présidentiels”. Cela fait désordre, étant entendu que les clans Bush et Perry ne s’apprécient pas particulièrement bien qu’ils aient – ou parce qu’ils ont – travaillé ensemble à la tête de l’exécutif du Texas.
Ainsi Rick Perry a-t-il conquis sa place au soleil des spots médiatiques en fournissant nombre de citations percutantes aux chaînes de télévision. Il a donc désormais l’oreille des Américains. Mais être audible ne suffit pas ; il faut être écouté. Et il n’est pas sûr du tout que l’entrée en matière de Rick Perry lui assure de l’être au-delà de la base radicale du Parti républicain. Il sera probablement un excellent candidat pour la primaire car son discours idéologique répond aux attentes et à la colère des Républicains les plus mobilisés, ceux qui voteront le plus lors des primaires.
Mais je doute fort que Perry, s’il n’évolue pas, puisse être un candidat performant dans une élection présidentielle où la décision dépendra du vote des indépendants (électeurs qui ne sont inscrits ni comme démocrates ni comme républicains). La perception que suscite le gouverneur du Texas – du moins aujourd’hui – est en effet incompatible avec cet électorat. L’approche de Rick Perry a certes fonctionné au Texas mais cet Etat n’est pas assimilable politiquement aux Etats-Unis. Et, si l’on compare ces temps-ci beaucoup Rick Perry à George W. Bush, on oublie que, en 2000, Bush Jr. avait fait campagne au centre en se présentant comme un “conservateur compatissant”.
Si les Républicains veulent gagner la présidentielle, il leur faudra donc trouver un candidat qui puisse unir son camp et rassembler une majorité d’Américains. Cela paraît aujourd’hui une équation impossible et c’est pourquoi les grands sages du Parti semblent encore chercher l’oiseau rare, et ce même depuis l’entrée en campagne de Perry. Les rumeurs se font de plus en plus insistantes sur une entrée en lice de Sarah Palin cette semaine – je continue de ne pas croire à cette hypothèse qui ne serait de toute manière pas celle d’une candidature d’union – et d’autres poids lourds républicains – le gouverneur du New Jersey Chris Christie (malgré ses nombreuses dénégations), l’ancien maire de New York Rudolf Giuliani (malgré son échec cuisant en 2008) et l’ancien gouverneur de New York George Pataki.
En revanche, si Rick Perry arrive à s’amender sur le fond, il bénéficie sur la forme d’atouts considérables – énergie, présence, charisme, leadership et attrait médiatique.
Le prochain défi de Rick Perry, à cet égard, sera de manager la perception suscitée par le livre “Fed Up!” (un jeu de mots sur le ras-le-bol et le système fédéral) qu’il a publié il y a moins d’un an. Il y écrit notamment que la Sécurité Sociale s’apparente à une pyramide de Ponzi (le système d’escroquerie utilisé par Bernard Madoff) et que Medicare (le système d’assurance-maladie des plus de 65 ans) est anticonstitutionnel. Perry, qui a pris l’habitude de ne corriger aucune de ses déclarations, a senti le danger créé par cet ouvrage qu’il recommandait encore, il y a une semaine, à un électeur de l’Iowa. Son directeur de la communication vient en effet d’affirmer qu’il s’agit d’un regard sur le passé et non de prescriptions pour l’avenir.
L’entrée en campagne de Rick Perry nous rappelle donc un principe de communication fondamental : il est plus facile d’étonner que de convaincre. Pour l’instant, Perry réussit à étonner et à capter l’attention. Convaincre sera plus délicat pour lui s’il continue dans cette veine… primaire. Cela rendra alors service à Mitt Romney – favori de la primaire républicaine jusqu’à l’entrée en lice de Rick Perry – qui compte les erreurs de son concurrent en faisant son possible pour moins en commettre et ainsi solidifier sa position. Mais Mitt Romney ne soulève pas la foule républicaine, précisément parce qu’il est plus consensuel que Rick Perry et la reine du mouvement Tea Party, Michele Bachmann.
Cette dernière a fait une nouvelle démonstration de son sérieux, il y a quelques jours sur une radio catholique, en affirmant que les Américains étaient inquiets du déclin de leur pays face à la montée en puissance de la Chine, de l’Inde… et de l’Union soviétique. Elle est certainement la grande perdante de la dernière semaine – malgré sa victoire en Iowa – car les attaques de Tim Pawlenty sur son manque d’expérience ont fini par payer, trop tard cependant pour sauver l’ancien gouverneur du Minnesota après sa défaite dans le “straw poll” d’Iowa.
De son côté, le punching ball favori des Républicains de toute obédience, Barack Obama, a ses propres problèmes. Le chômage constitue aujourd’hui sans conteste le premier élément déterminant la perception des Américains à l’endroit de leur Président. Si mes calculs sont bons, le nombre d’Américains au chômage est supérieur à la population de la Grèce. Et leur durée moyenne de chômage ne cesse de s’accroître. Pourtant, la situation de l’emploi n’apparaît pas comme une urgence absolue dans le discours et les actes d’Obama. Celui-ci semble résigné et c’est, je crois, le problème de perception le plus profond dont il pâtit aujourd’hui vis-à-vis de ses électeurs potentiels dans un contraste saisissant avec Rick Perry : la passivité n’a jamais été une valeur américaine.
Le peuple américain représente la quintessence du volontarisme. La nation américaine a été construite sur la conviction absolue qu’elle pouvait diriger le cours de l’Histoire à sa guise. Donnant l’impression d’être dépassé par les événements, de ne pas avoir de ligne de conduite et de ne pas se battre pour ses idées, Barack Obama est aujourd’hui en opposition frontale avec la psyché américaine. Il crée donc une immense frustration, y compris auprès de ses supporters.
Face à un front républicain encore incertain, le réel adversaire d’Obama est l’économie. De la situation économique du pays en novembre 2012 dépendra en grande partie son destin. Il y eut seulement deux années d’élection présidentielle depuis 1950 durant lesquelles la confiance des consommateurs américains – qui traduit leur perception de leur situation en fonction de l’état de leur pays – fut aussi basse que cette année : 1980 et 1992. Il se trouve que ce sont les deux dernières élections présidentielles au cours desquelles les Présidents en place – Jimmy Carter et George H.W. Bush – furent défaits.
Le taux de chômage, actuellement à 9,1%, pourrait grimper à 9,5% l’an prochain selon certains prévisionnistes. Après avoir capitulé devant les Républicains dans le débat sur le relèvement du plafond de la dette et avoir refusé de rappeler le Congrès en session de manière anticipée, Barack Obama est parti en vacances sur une île réservée aux millionnaires en annonçant qu’il présenterait un plan de lutte contre le chômage à son retour, démontrant une énième fois, après plus de deux ans et demi au pouvoir, que le chômage n’est pas une urgence à ses yeux. Le message adressé à ses concitoyens est catastrophique en termes d’image : “ceux qui sont au chômage ou qui vont bientôt perdre leur emploi peuvent attendre, je dois partir en vacances”. Mieux eut encore valu ne pas annoncer la présentation de son plan avant de partir en congés plutôt que de commettre ainsi un suicide de perception. Cette annonce est d’autant plus étonnante qu’elle créée de grandes attentes pour un plan qui aura fort peu de chances de produire des effets positifs en un an, le temps qu’il reste au Président-candidat pour inverser la tendance avant la prochaine présidentielle.
Barack Obama est donc soumis au défi inverse de celui de Rick Perry : il sait convaincre mais il a davantage de difficulté à étonner. Si Rick Perry doit modérer son agressivité pour gagner en densité intellectuelle, Barack Obama doit, lui, équilibrer son intellectualisme pour gagner en combativité.
DERNIERE MINUTE (24 AOÛT 2011)
Une étude du Pew Research Center’s Project for Excellence in Journalism vient de montrer que, durant sa première semaine sur la scène politique nationale, Rick Perry avait trusté 55% de l’actualité médiatique consacrée à la campagne présidentielle contre 6% seulement pour Mitt Romney, le deuxième candidat à la primaire républicaine de ce “classement”.
Et, selon Gallup, Rick Perry a gagné 13 points de notoriété en deux semaines parmi les sympathisants républicains. C’est un progrès significatif, et ce d’autant plus qu’il n’a participé ni au débat télévisé ni au “straw poll” de l’Iowa, les deux événements marquants de cette quinzaine dans le camp républicain. Perry est cependant encore devancé, avec un taux de notoriété de 67%, par Sarah Palin (97%), Rudolf Giuliani (91%), Mitt Romney (86%), Newt Gingrich (85%), Michele Bachmann (83%) et Ron Paul (78%).