Fermer

Ce formulaire concerne l’abonnement aux articles quotidiens de Superception. Vous pouvez, si vous le préférez, vous abonner à la newsletter hebdo du site. Merci.

Fermer

Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Avec Jeff Bezos, la presse écrite a-t-elle trouvé son sauveur ?

Les enjeux de l’acquisition du Washington Post par le fondateur et PDG d’Amazon dépassent largement ces deux acteurs. C’est en fait l’avenir de la presse écrite qui est désormais entre les mains de celui que j’ai surnommé “l’Orangina corporate” pour sa capacité à agiter des marchés au profit d’Amazon.

Qui a dit qu’il ne se passait jamais rien au mois d’août ?

Hier à 16h30, Donald Graham, le patron du Washington Post dont la famille était propriétaire depuis 80 ans, a annoncé la vente du journal à Jeff Bezos pour 250 millions de dollars (soit seulement la moitié du chiffre d’affaires du quotidien et 1% de la fortune personnelle de Bezos) en numéraire. Il faut aussi prendre en compte dans cette équation que le quotidien perd environ 50 millions de dollars par an.

The Washington Post, qui a notamment publié les fameux Pentagon Papers mettant au jour les mensonges de l’Administration Johnson sur la guerre du Vietnam et révélé l’affaire du Watergate qui résulta dans la démission de Richard Nixon, est l’une des trois grandes institutions de la presse écrite américaine. C’est aussi celle qui s’est le moins bien adaptée au monde numérique. Comme le titrait excellemment Salon hier, la reprise du Washington Post par Jeff Bezos s’apparente au sauvetage du Titanic par un iceberg.

Au-delà de son exceptionnelle intelligence, de sa capacité visionnaire et de sa vista managériale (il est le fondateur de start-up Internet ayant le mieux réussi sans jamais avoir eu recours à la “supervision adulte” de l’un de ces dirigeants expérimentés qui aident les jeunes fondateurs à mûrir sur le plan managérial), ce qui distingue encore plus Jeff Bezos de ses pairs est l’approche long terme qu’il adopte dans toutes ses initiatives entrepreneuriales (lire notamment ici, ici et ici à ce sujet).

La Une du Washington Post ce matin - (CC) The Washington Post

La Une du Washington Post ce matin – (CC) The Washington Post

En fait, Jeff Bezos est LE dirigeant le mieux placé pour révolutionner la presse écrite :

  • il est probablement l’un des trois meilleurs stratèges d’entreprise en exercice aujourd’hui ;
  • il est, ainsi que je l’ai indiqué, l’Orangina corporate, le meilleur créateur actuel de ruptures de marché avec Elon Musk ;
  • il est prêt à investir longtemps avant de recueillir les fruits de son travail ;
  • il connaît comme personne l’impact du commerce électronique sur les industries traditionnelles pour l’avoir tout simplement inventé ;
  • il est déjà un producteur de contenus et un distributeur de contenus par abonnement (via Amazon Prime notamment), deux fortes convergences avec le modèle d’activité d’un journal ;
  • il a révolutionné le secteur du livre, un domaine qui est proche à beaucoup d’égards (rôle des contenus, importance culturelle du média papier, mode de diffusion et de monétisation, transformation générationnelle…) de celui de la presse écrite.

A partir de ce que Jeff Bezos a accompli depuis près de vingt ans, on peut avoir deux certitudes  au sujet de l’avenir du Washington Post :

  • le journal va devenir un moteur de l’innovation médiatique. Bezos l’a d’ailleurs annoncé dans la remarquable lettre qu’il a adressée aux collaborateurs du journal : “il y aura naturellement des changements au sein du Post au cours des prochaines années. C’est essentiel et il y aurait eu des changements avec ou sans évolution de l’actionnariat du journal. Internet transforme presque chaque élément de l’industrie journalistique : raccourcissement du cycle de l’actualité, érosion de sources de revenus longtemps fiables, émergence de nouveaux concurrents dont certains n’assument aucun coût journalistique. Dans ce nouvel environnement, il n’y pas de carte et trouver son chemin ne sera pas facile. Nous devrons innover, ce qui signifie que nous devrons expérimenter“. L’innovation est une valeur fondamentale d’Amazon (lire notamment ici et ici à ce sujet) et il serait étonnant qu’elle ne le devienne pas rapidement au sein du Washington Post ;
  • les innovations qui seront mises en oeuvre le seront avec une longue vue. Dans sa première lettre aux futurs actionnaires d’Amazon, alors qu’il avait besoin de séduire ses premiers bailleurs de fonds, Bezos expliquait qu’il ne sacrifierait jamais la position de l’Entreprise à long terme à ses résultats financiers à court terme. Incidemment, le fonds d’investissement personnel de Bezos – celui à travers lequel il a acquis The Washington Post – est dénommé “Bezos Expeditions“. Tout un programme…

Beaucoup spéculent déjà sur les complémentarités que Bezos pourrait mettre en oeuvre entre Amazon et The Washington Post. Je ne suis pas sûr que ce soit l’intérêt du journal – car cela pourrait réduire son aura s’il était perçu comme une sous-marque d’Amazon. Il n’est d’ailleurs pas innocent, à mon sens, que Bezos ait acquis le journal via son fonds d’investissement personnel et non à travers Amazon.

Beaucoup d’autres s’interrogent sur les vues politiques de Bezos et l’impact qu’elles pourraient avoir sur la politique éditoriale du Washington Post. Je suis pour ma part convaincu qu’elles n’en auront pas. Bezos n’a à mon sens ni la volonté ni le temps d’influencer la couverture de l’actualité par “son” journal. Il demandera des résultats à ses équipes – la meilleure couverture de l’actualité, les meilleures enquêtes, les meilleures analyses… – mais ne leur donnera pas de directives politiques. Ce qui l’intéresse est de révolutionner l’approche business et marketing du quotidien, pas de jouer les Ben Bradlee (directeur de la rédaction du Washington Post au moment du Watergate et figure héroïque du journalisme moderne) à la petite semaine.

Il transformera certainement The Washington Post en lui appliquant l’obsession de la satisfaction client qu’il instille au sein d’Amazon (lire notamment ici et ici). Ce serait d’ailleurs en soi une première révolution bezosienne que le sens du client soit inscrit comme une priorité dans le monde de la presse écrite. Au-delà de toute considération politique, le client sera sa seule priorité. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas inquiet, contrairement à d’autres, sur la capacité future du Post à couvrir des aspects potentiellement gênants de l’activité d’Amazon (telles que les conditions de travail de certains de ses collaborateurs pour prendre un exemple d’actualité).

Pour conclure, il convient de rappeler, comme le fait TechCrunch, les déclarations de Jeff Bezos, pas plus tard que l’an dernier, sur le monde de la presse écrite : “il n’y aura plus de journaux imprimés dans 20 ans. Sur Internet, les gens ne paient pas pour suivre l’actualité et il est trop tard pour que cela change“. Sans le savoir, Bezos avait lui-même défini les défis qu’il lui appartient désormais de relever.

Les qualités uniques de Jeff Bezos (vision et leadership stratégiques à long terme, rôle joué dans la révolution Internet, maîtrise des enjeux d’un organe de presse écrite, capacité d’investissement personnelle illimitée…) en font le dirigeant idéal pour révolutionner The Washington Post et, à travers lui, la presse écrite. Les attentes à son égard sont donc immenses. Elles signifient aussi que son éventuel échec serait assimilé à la mort d’un média irrémédiablement caduc.

Avec Jeff Bezos, la presse écrite a donc rendez-vous avec son destin.

Ajouter un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

Remonter

Logo créé par HaGE via Crowdspring.com

Crédits photos carrousel : I Timmy, jbuhler, Jacynthroode, ktsimage, lastbeats, nu_andrei, United States Library of Congress.

Crédits icônes : Entypo