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Toute vérité n'est que perception

BuzzFeed a-t-il raison de refuser les publicités de Donald Trump ?

Depuis l’annonce de sa candidature, la relation entre les médias américains et le milliardaire rouge1 a connu trois phases2, toutes moins glorieuses les unes que les autres.

La première fut celle de l’arrogance.

Les médias américains appréhendèrent Donald Trump, développeur immobilier excentrique et star de la télé-réalité, comme un histrion et sa campagne comme une initiative égocentrée promise à une rapide explosion en vol.

Cette vision fut symbolisée par la décision du Huffington Post de traiter la candidature de Donald Trump dans sa rubrique divertissement et non dans ses pages politiques.

En juillet 2015, j’écrivais à ce sujet dans “Pourquoi les médias américains se trompent sur Trump” :

Cette approche révèle une double méprise à l’égard de la campagne de Donald Trump.

La première méprise des médias concerne le candidat. Celui dont la mèche est aussi célèbre outre-Atlantique que le séant de Kim Kardashian est bien un phénomène politique au sens où il incarne un courant d’opinion de plus en plus actif dans ce pays comme dans d’autres : le rejet de ‘l’établissement’, pilorié pour son incompétence et, peut-être plus encore, son inauthenticité. […]

La seconde méprise des médias les concerne eux-mêmes. Ceux qui veulent appréhender Donald Trump comme un bouffon sont aussi ceux qui ont contribué à dégrader le débat politique, favorisant ainsi son irruption, en focalisant leur couverture sur le superficiel plutôt que l’essentiel, les personnalités plutôt que les territorialités et le temps court plutôt que le temps long. Les médias traditionnels sont également responsables, qui ont fait la course avec les médias en ligne à l’abaissement de la qualité éditoriale plutôt que, à de trop rares exceptions près, proposer une offre alternative. On ne peut pas blâmer le laitier lorsqu’on renverse du lait.

En outre, les médias qui s’arrogent le pouvoir insensé de décider à la place des électeurs quelles personnalités sont dignes d’être candidates nourrissent le message de Donald Trump au lieu de participer de sa dénonciation. Ils se comportent en effet comme ces élites déconnectées de la réalité dont le rejet est au coeur de l’attrait politique de l’entrepreneur. […]

Donald Trump est tout sauf un bouffon. Il est redoutablement intelligent et d’autant plus dangereux que son ego est plus grand que la plus haute de ses tours. Il ne sera pas élu Président des Etats-Unis mais il restera assez longtemps dans la campagne pour, avec la complicité active des médias et de ses concurrents, gangrener son déroulement.

En clair, les journalistes américains commencèrent par décréter à la place du peuple que Trump ne pouvait pas prétendre à la Maison-Blanche. Mais ils n’accomplirent pas le travail qui aurait permis de mettre au jour la triple bulle que la candidature de l’entrepreneur représente eu égard à son bilan d’homme d’affaires, ses compétences politiques et sa capacité à représenter l’Amérique.

Au lieu de cela, ils tournèrent casaque.

(CC) Gage Skidmore

(CC) Gage Skidmore

En effet, la deuxième phase de la relation entre les médias et Trump fut celle de la dépendance.

Constatant son succès dans les sondages – puis les urnes – et les audiences spectaculaires qu’il générait à leur profit, les médias entrèrent dans une période de sujétion à son égard.

Ne voulant pas tuer la poule aux oeufs d’or, les journalistes se firent les complices de la rhétorique mensongère et discriminante du trublion républicain, une minorité en assentissant publiquement à ses propos, la majorité en s’abstenant de les mettre en question et encore moins en cause.

Cette véritable addiction fut symbolisée par les déclarations de Leslie Moonves, le pourtant très respectable Président de la chaîne CBS :

Trump n’est peut être pas bon pour l’Amérique mais il est sacrément bon pour CBS. […]

Qui aurait pu prévoir la dynamique dont nous bénéficions aujourd’hui ? Les investissements publicitaires affluent dans nos caisses et c’est merveilleux. Je n’ai jamais rien vu de tel. 2016 va être une excellente année, sur le plan financier, pour nous.

Désolé, c’est une terrible chose à dire mais fais le spectacle, Donald, continue“.

En mars 2016, j’écrivais à ce sujet dans l’éditorial du numéro 49 de la Newsletter Superception, “Les médias, otages de Trump ?” :

En tant que citoyen, Moonves ne va pas voter pour Trump mais, en tant que patron de média, il est ravi d’engranger les dividendes de la candidature du populiste, même si celui-ci a affirmé vouloir restreindre la liberté de la presse s’il était élu.

Moonves, c’est Sganarelle. Lorsqu’on indique à ce dernier, dans ‘Le médecin malgré lui’, que le remède qu’il a prescrit aggrave l’état de son malade, il répond : ‘Tant mieux. C’est signe qu’il opère’. Moonves appréhende l’état du journalisme américain avec la même confiance béate”.

Les médias ne furent pas tant otages de Donald Trump que de leurs propres convoitise et couardise. Ils renoncèrent à leur mission civique pour se prosterner devant le veau d’or et adorer une idole factice.

Ainsi, au mois de mars 2016, Donald Trump avait-il déjà bénéficié, depuis le lancement de sa campagne, de l’équivalent de 2 milliards de dollars de présence gratuite sur les médias américains. Il pouvait dire n’importe quoi, les chaînes d’information l’interviewaient sans relâche, mais pas sans lâcheté, et interrompaient leurs programmes pour retransmettre ses discours ad nauseam.

La dépendance des médias à l’égard de Trump fut si profonde et longue qu’elle contribua sans aucun doute à la victoire de ce dernier dans la primaire républicaine pour la Maison-Blanche.

Ce succès, outre qu’il fit enfin prendre conscience aux dirigeants conservateurs de l’état exsangue de leur parti, dessilla les médias.

Ceux-ci semblent vouloir entrer dans la troisième phase de leur relation avec Trump, celle de la vengeance.

Ne pouvant se démettre, les médias veulent soumettre leur ancien maître. Du moins est-ce ce que certaines initiatives laissent entrevoir, même s’il est encore trop tôt pour conclure à un retournement général du traitement médiatique de la candidature Trump.

Ce dernier fait cependant face à des intervieweurs plus coriaces, à l’instar de Jake Tapper qui, sur CNN, l’a relancé 23 fois pour obtenir une réponse à sa question. Celle-ci concernait les déclarations anticonstitutionnelles du prétendant républicain à la Maison-Blanche sur l’illégitimité, en raison de ses origines mexicaines3, du juge en charge du dossier Trump University4.

L’exemple de Jake Tapper confirme que la foi des nouveaux convertis est toujours des plus vives. Cependant, il est dommage qu’il ait fallu si longtemps à ce journaliste pour redécouvrir son métier. Il reste désormais à observer si Jake Tapper fera beaucoup d’émules et si leur foi en eux-mêmes sera durable. On peut trouver espoir à cet égard dans le fait que rien n’est plus moutonnier qu’un journaliste.

Un autre signe du changement d’attitude des médias tient à la décision prise par Jonah Peretti, cofondateur et patron de BuzzFeed, de refuser de diffuser une campagne publicitaire républicaine de 1,3 million de dollars sur son site en raison des prises de position de Donald Trump.

Cette décision me semble contre-productive pour au moins deux raisons :

  • même si les médias ont pleinement le droit de choisir les campagnes qu’ils diffusent (Peretti explique qu’il ne passe pas non plus les publicités des cigarettiers en raison de la nocivité de leurs produits), l’usage de cette liberté dans la sphère politique transforme un site d’information en site d’opinion. Surtout, elle accrédite l’idée, déjà véhiculée par la décision du Huffington Post rappelée plus haut, que les médias américains veulent décider de l’issue de l’élection présidentielle à la place des électeurs. Il aurait été beaucoup plus pertinent et efficace à mon sens que BuzzFeed diffuse les publicités républicaines et s’acquitte parallèlement de sa tâche journalistique en révélant les turpitudes et mensonges de Donald Trump, ce que, comme tous les autres médias, il a été largement incompétent ou réticent à faire jusqu’à présent ;
  • la décision de BuzzFeed va nourrir inutilement le message anti-établissement et victimaire de Donald Trump. Ce faisant, elle va avoir un double effet négatif : elle va l’aider à mobiliser ses supporters et va centrer une nouvelle fois le débat autour de sa candidature.

Talleyrand, qui s’y connaissait, disait que

Il y a une arme plus terrible que la calomnie, c’est la vérité“.

Il est temps que les journalistes américains l’appliquent à Donald Trump.

1 La couleur du Parti républicain outre-Atlantique.

2 Différentes du cycle (lèche-lâche-lynche) souvent adopté par les médias à l’égard des acteurs de l’actualité.

3 Dans l’esprit de Trump, le fait qu’il veuille construire un mur à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique induit que toutes les personnes d’origine mexicaine, au premier rang desquelles le juge en question, ne peuvent avoir une perception favorable à son égard. Incidemment, cette affirmation va à l’encontre de ses autres affirmations selon lesquelles il va l’emporter chez les Latinos lors de l’élection présidentielle.

4 Plusieurs plaintes ont été déposées contre l’université créée par Donald Trump. Ce dernier est accusé d’avoir mis en place un système frauduleux pour extorquer de l’argent à ses élèves en échange d’une prestation très inférieure aux promesses qui leur avaient été faites.

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