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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Pourquoi les médias américains se trompent sur Trump

La première place de Donald Trump dans les sondages relatifs à la primaire Républicaine n’est pas la cause mais la conséquence de la dégradation de la communication politique.

L’extravagant milliardaire se retrouve en tête des sondages, devant une quinzaine d’autres prétendants dont certains ont des CV éminents, après avoir fait souffler pendant dix jours un vent de folie sur la campagne pour la Maison-Blanche :

  • il accusa les immigrés mexicains aux Etats-Unis d’être des violeurs : “lorsque le Mexique nous envoie ses citoyens, il ne nous envoie pas les meilleurs. Il nous envoie des individus qui ont beaucoup de problèmes et qui nous amènent leurs ennuis. Ils nous apportent de la drogue. Ils nous amènent du crime. Ce sont des violeurs. Certains d’entre eux, je suppose, sont des gens bien” ;
  • après avoir été attaqué verbalement par le sénateur Lindsey Graham, l’un de ses concurrents dans la primaire, il révéla son numéro de téléphone mobile sur scène lors d’un meeting ;
  • il refusa à John McCain la qualité de héros de guerre. Or l’ancien candidat républicain à la Présidence, défait par Barack Obama en 2008, est unanimement respecté outre-Atlantique, au-delà des frontières partisanes, pour son comportement durant la guerre du Vietnam : capturé après que son avion a été abattu, il fut emprisonné et torturé par les communistes vietnamiens. Ces derniers lui avaient proposé de le libérer rapidement dans un geste de propagande après avoir découvert que son père était un haut gradé de l’armée américaine du Pacifique. McCain avait refusé et enduré son calvaire pendant cinq ans et demi, épreuve dont il conserve quelques handicaps physiques. Cependant, aux yeux de Trump, “quelqu’un qui a été capturé n’est pas un héros“.

Tout le monde pensait que cette dernière élucubration sonnerait le glas de la campagne du milliardaire. Or, à la surprise générale, elle ne l’a pas empêché – ou lui a même permis – de gagner plusieurs points dans les sondages réalisés quelques jours après, solidifiant son leadership sur la primaire républicaine. Certes, il pâtit d’un niveau de mauvaises opinions inégalé mais il réunit aussi sur son nom le plus grand nombre d’électeurs.

Donald Trump - (CC) Gage Skidmore

Donald Trump – (CC) Gage Skidmore

L’erreur des médias américains est de considérer le roi de l’immobilier comme la cause de la dégradation de la communication politique alors qu’il n’en est que la conséquence.

Ainsi le débat qui animait la sphère médiatique ces derniers jours, avant même les incartades de Trump, concernait-il le traitement qui devait être accordé à sa candidature. Plusieurs observateurs et acteurs – au premier rang desquels The Huffington Post – affirmaient qu’elle devait être couverte dans la rubrique divertissement et non dans les pages politiques.

Cette approche révèle une double méprise à l’égard de la campagne de Donald Trump.

La première méprise des médias concerne le candidat. Celui dont la mèche est aussi célèbre outre-Atlantique que le séant de Kim Kardashian est bien un phénomène politique au sens où il incarne un courant d’opinion de plus en plus actif dans ce pays comme dans d’autres : le rejet de “l’établissement”, pilorié pour son incompétence et, peut-être plus encore, son inauthenticité.

Ce rejet revêt des couleurs politiques différentes en Europe (Espagne, France, Grèce, Italie…) et aux Etats-Unis* mais la dynamique est partout comparable, aux spécificités culturelles locales près. A cet égard, ce rejet prend d’autant plus d’ampleur aux Etats-Unis que l’élection qui était promise depuis plusieurs mois aux citoyens devait voir s’opposer deux dynasties politiques incarnant jusqu’à la caricature ledit “établissement” : les Clinton représentés par Hillary et les Bush représentés par Jeb (fils de George H.W. et frère de George W.).

En parlant à tort et à travers, sans aucun filtre, Donald Trump fait preuve aux yeux des Américains d’une forme d’authenticité. C’est pourquoi même son assaut contre John McCain ne l’a pas desservi. Dans un pays dont la capitale politique, Washington D.C., bénéficie d’une popularité équivalente à celle de Bruxelles en Europe, cette attaque a pu davantage être vue comme un coup contre l’un des dinosaures de “l’établissement” – élu à Washington D.C. sans discontinuer depuis 1982 – que comme une déloyauté à l’encontre d’un héros de guerre.

C’est triste mais les leaders politiques américains qui se précipitent aujourd’hui sur les plateaux de télévision pour le regretter devraient faire leur examen de conscience et analyser l’évolution de la teneur de leurs débats ces deux dernières décennies.

La seconde méprise des médias les concerne eux-mêmes. Ceux qui veulent appréhender Donald Trump comme un bouffon – toujours au premier rang desquels The Huffington Post – sont aussi ceux qui ont contribué à dégrader le débat politique, favorisant ainsi son irruption**, en focalisant leur couverture sur le superficiel plutôt que l’essentiel, les personnalités plutôt que les territorialités et le temps court plutôt que le temps long. Les médias traditionnels sont également responsables, qui ont fait la course avec les médias en ligne à l’abaissement de la qualité éditoriale plutôt que, à de trop rares exceptions près, proposer une offre alternative. On ne peut pas blâmer le laitier lorsqu’on renverse du lait.

En outre, les médias qui s’arrogent le pouvoir insensé de décider à la place des électeurs quelles personnalités sont dignes d’être candidates nourrissent le message de Donald Trump au lieu de participer de sa dénonciation. Ils se comportent en effet comme ces élites déconnectées de la réalité dont le rejet est au coeur de l’attrait politique de l’entrepreneur.

Ce dernier est désormais omniprésent dans les médias et capterait environ 60% de la couverture de la primaire républicaine (pour une part dans les sondages inférieure à 20%). Trump fait de l’audience et les médias ne peuvent s’empêcher de parler de lui. Le paradoxe est à son comble.

J’avais relevé il y a quelques temps dans un article consacré aux rumeurs que les gens se souviennent d’une rumeur et non de la vérité car celle-là, souvent spectaculaire, est porteuse d’une puissance émotionnelle plus forte que celle-ci, bien plus banale. Il en va de même dans la couverture médiatique actuelle du débat politique : le déconcertant capte l’attention alors que le débat de fond ennuie.

Les concurrents de Donald Trump l’ont d’ailleurs bien compris : tout en le dénonçant, ils ont adapté leur communication pour survivre face au tsunami médiatique qu’il génère. Ainsi, ces derniers jours, a-t-on pu voir Lindsey Graham fracasser son téléphone mobile avec une batte de baseball, Rand Paul découper à la tronçonneuse le code des impôts (70 000 pages) et, pire que tout***, Mike Huckabee affirmer que l’accord avec l’Iran allait mener Israël à un nouvel holocauste****. L’avilissement est contagieux.

Donald Trump est tout sauf un bouffon. Il est redoutablement intelligent et d’autant plus dangereux que son ego est plus grand que la plus haute de ses tours. Il ne sera pas élu Président des Etats-Unis mais il restera assez longtemps dans la campagne pour, avec la complicité active des médias et de ses concurrents, gangrener son déroulement.

Quant à nous, ne regardons pas les Etats-Unis avec une hautaine suffisance. Car notre écosystème médiatico-politique présente, avec quelques années de retard comme d’habitude*****, les mêmes symptômes de dégradation du débat public que ceux qui éclatent au grand jour outre-Atlantique sous les coups de boutoir d’un sicaire atrabilaire.

* La liste des pays qu’il affecte est malheureusement beaucoup plus longue que ces quelques nations.

** Ainsi que j’en avais rendu compte sur Superception, la première candidature de Donald Trump, il y a quatre ans, avait fait long feu. Le fait qu’il soit aujourd’hui en tête des sondages donne une idée de l’évolution médiatico-politique du pays.

*** Toute comparaison avec l’Holocauste revient à nier son unicité.

**** Huckabee a déclaré : “La politique étrangère de ce Président est la plus inepte de toute l’histoire américaine. Il est si naïf qu’il est prêt à faire confiance aux Iraniens. Ce faisant, il va conduire les Israéliens aux portes du four”. Je suis pour la liberté d’expression totale et je ne dénie donc pas à Mike Huckabee le droit de prononcer ces propos. Mais je m’accorde aussi celui d’avoir envie de vomir lorsque je les entends.

***** Les Etats-Unis sont toujours en avance sur le reste du monde dans le développement de nouvelles tendances présidant aux activités de communication et marketing.

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