12 août 2016 | Blog, Blog 2016, Marketing | Par Christophe Lachnitt
Télévision : pas un géant aux pieds d’argile mais un colosse unijambiste
Les audiences de Rio 2016 sont anormalement faibles outre-Atlantique. Le numérique est-il responsable de ce déclin cathodique ?
Les audiences des Jeux de Rio sur NBC, la chaîne qui diffuse les Jeux aux Etats-Unis, ont été inférieures de 35% à celles des JO de Londres pour la cérémonie d’ouverture et de 27% pour les premières journées de compétition diffusées en prime-time. Cette baisse affecte particulièrement la classe d’âge des 18-49 ans si importante aux yeux des annonceurs.
C’est d’autant plus étonnant que les principales finales sont programmées en prime-time à l’heure américaine et que l’équipe yankee se distingue avec d’immenses stars (Simone Biles, Katie Ledecky, Michael Phelps…).
La première menace numérique qui plane sur les audiences télévisées de NBC concerne leur cannnibalisation par la diffusion des Jeux en flux (streaming) sur le site Internet de la chaîne. NBC affirme qu’elle a déjà battu un record dans ce domaine avec plus d’un milliard de minutes visionnées en cumulé sur son site après cinq jours de compétition (contre 818 millions de minutes durant l’ensemble des JO de Londres). Mais la chaîne a généré un milliard de minutes de visionnage cumulé de sa retransmission olympique en seulement une demi-heure de diffusion télévisuelle mardi soir.
Comme je l’ai déjà expliqué sur Superception à propos de déclarations trompeuses de Jonah Peretti, le patron de BuzzFeed, la comparaison des audiences respectives de la vidéo numérique et de la télévision est un exercice au mieux déroutant, au pis malhonnête. Dans le cas de NBC comme dans celui de BuzzFeed, j’opte pour la seconde hypothèse. En réalité, la télévision conserve un avantage massif sur la vidéo numérique par la taille et, surtout, la durée d’engagement de son audience.
Lundi soir, 31,5 millions de personnes ont regardé les programmes olympiques de NBC en prime-time à la télévision (33,4 millions) et sur son site Internet (2,7 millions), soit le même nombre de personnes qu’il y a quatre ans. NBC affirme que l’augmentation de ses audiences sur sa chaîne câblée et son site Internet (+8%) a compensé leur baisse en télévision traditionnelle. C’est un argument fallacieux pour la raison expliquée ci-dessus : les durées respectives de visionnage ne sont pas comparables entre la télévision et Internet.
La deuxième menace représentée par le numérique sur la télévision est plus prégnante. Elle résulte des pratiques numériques considérées dans leur ensemble sans lien direct avec les Jeux Olympiques. Les nouveaux services de diffusion en flux (streaming), au premier rang desquels Netflix, et l’attrait de vidéos numériques de toute nature disponibles sur le web sont susceptibles de détourner l’attention des consommateurs, en particulier les plus jeunes, des programmes olympiques diffusés par NBC et des publicités qu’ils hébergent. Et la chaîne doit aussi faire face à d’autres “shadow competitors1” numériques, tels que Pokémon Go.
Or NBC investit des sommes astronomiques dans les droits exclusifs de retransmission télévisuelle outre-Atlantique des Jeux Olympiques : elle a ainsi acquis les droits des six éditions programmées entre 2022 et 2032 pour 7,75 millards de dollars.
Certes, la chaîne a déjà vendu des espaces publicitaires associés à la diffusion des Jeux de Rio pour 1,2 milliard de dollars, ce qui la place en avance de 20% sur son plan de marche de la compétition de Londres.
Mais les audiences que NBC génère sont inférieures aux garanties qu’elle avait données aux annonceurs2 : elle touche en moyenne 18,2 millions de foyers américains en prime-time contre une prévision de 21 millions. La chaîne affirme qu’elle offrira à ses clients des espaces publicitaires gratuits pendant les Jeux pour compenser ce manque de visibilité, ce qui se traduira pour elle par un déficit de revenus.
Au final, la télévision reste, malgré tout ce qu’on peut lire à son sujet, le média le plus puissant à la fois par la taille des audiences générées sur un vecteur unique et l’étendue de leur engagement. Une seule chaîne peut en effet réunir en même temps et sur la durée une audience considérable (effet de “latence zéro“), ce qu’une seule plate-forme numérique ne peut pas accomplir.
Facebook est le seul acteur numérique à prétendre réaliser cette prouesse mais moins quantitativement que la télévision : tous les internautes n’y regardent pas le même contenu et donc les mêmes publicités en même temps. En revanche, le ciblage marketing y est beaucoup plus précis.
Cependant, la télévision est de plus en plus menacée par une myriade de vecteurs et pratiques numériques qui grignotent son rayonnement médiatique et, partant, ses marges financières. Si elle est encore loin d’être un géant aux pieds d’argile, elle est de plus en plus un colosse unijambiste.
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1 Un “shadow competitor” est un produit qui en concurrence un autre sans lui être directement confronté dans la même industrie. Par exemple, la consommation d’un film est soumise non seulement à la concurrence des autres films à l’affiche mais aussi à celle de toutes les autres formes de distraction : restaurant, sport, musée, théâtre…
2 Les tarifs des publicités sont établis à partir de ces garanties d’audiences.