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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

La télévision peut-elle défendre la démocratie contre les réseaux sociaux ?

Elle est, outre-Atlantique, le principal rempart contre une dérive autocratique favorisée par l’avènement de “l’ère post-factuelle”.

Une double menace plane sur la relation de l’actualité par les chaînes de télévision.

La stratégie de communication de Donald Trump

La première résulte de la stratégie de communication de Donald Trump.

Son compte Twitter, qui dispose de plus de 17 millions d’abonnés, est plus que jamais son principal canal d’expression publique : il n’a par exemple pas tenu, contrairement à la tradition, de conférence de presse depuis son élection mais a, au mépris des usages, relaté sur le réseau de micro-blogging le processus de sélection des membres de son gouvernement.

La conséquence est que, de plus en plus, les journalistes cathodiques sont à la remorque de l’activité du Président élu sur Twitter. C’est celle-ci, et non plus la vraie actualité, qui dicte la teneur et le séquencement du journalisme télévisuel.

Considérez ce qui s’est passé la semaine dernière.

Mercredi soir, Erin Burnett interviewa sur CNN Chuck Jones, un leader syndical de Carrier, un fabricant de systèmes de chauffage et air conditionné. Il critiqua l’accord passé par Trump avec la direction de l’Entreprise, soulignant qu’il ne respecte pas les promesses faites par le candidat républicain à la Maison-Blanche en matière de maintien de l’emploi sur le sol américain.

Vingt minutes plus tard, Donald Trump s’en prit directement à Jones sur Twitter :

Anderson Cooper, le journaliste qui anime l’émission faisant suite à celle d’Erin Burnett, chamboula alors le conducteur de son émission pour faire réagir Chuck Jones. Cooper interrogea également Robert Reich, l’ancien Ministre du Travail de Bill Clinton, qui s’adressa directement à l’écran à Donald Trump (voir la capture d’écran reproduite ci-dessous).

(CC) CNN

(CC) CNN

L’attaque lancée sur Twitter par Donald Trump contre Chuck Jones se traduisit pour ce dernier par une série de harcèlements en ligne et de menaces violentes sur sa ligne téléphonique privée.

Incidemment, Melania Trump qui a cité le harcèlement en ligne comme la cause dont elle veut s’occuper en tant que Première dame n’aura pas loin à aller pour trouver l’un des premiers responsables des dérives qu’elle déplore.

L’agressivité que génèrent les messages de Trump n’est pas la moindre des raisons pour lesquelles les chaînes de télévision devraient s’interroger sur la place qu’elles accordent aux tweets du futur Président des Etats-Unis.

Mais cette réflexion devrait également être motivée par l’autre utilisation favorite que fait Donald Trump de Twitter : détourner l’attention des médias et du public d’informations qui le gênent. Ainsi, quelques jours avant son accusation gratuite contre Chuck Jones, Trump avait-il mis Twitter à profit pour prétendre que l’élection présidentielle avait été le théâtre de fraudes massives – qui expliqueraient la nette victoire de Hillary Clinton dans le vote populaire – alors même que venait d’être publiée une enquête du New York Times sur les conflits d’intérêt massifs qui risquent de caractériser l’accession du développeur immobilier à la Maison-Blanche. Toutes les chaînes de télévision se jetèrent aussitôt sur le tweet de Trump et passèrent relativement sous silence l’investigation du quotidien new yorkais. Cette tactique, maintes fois répétée, amena Jake Tapper, un journaliste vedette de CNN, à qualifier les tweets de Donald Trump d'”arme de distraction massive”.

 

L’ère post-factuelle

Cette situation est d’autant plus préoccupante que la campagne présidentielle américaine a vu l’avènement, à un niveau sans précédent, de ce qu’il est convenu d’appeler “l’ère post-factuelle”.

Jusqu’alors, chacun fondait son avis sur des faits admis par une grande majorité de citoyens. Certes, des individus pouvaient “croire” que les attentats du 11-Septembre étaient une conspiration mais ils étaient une infime minorité sans réelle influence.

Désormais, les faits ne sont plus un facteur dans la manière dont une partie significative des Américains forment leurs opinions. La prolifération de fausses informations sur les réseaux sociaux constitue à cet égard une rupture systémique tant elle remet en cause les dynamiques médiatiques à l’oeuvre depuis l’invention de l’imprimerie.

On retrouve d’ailleurs la patte de Donald Trump dans cette dérive : il fut en effet un précurseur de cette vague de désinformation généralisée avec sa campagne prétendant que Barack Obama n’était pas légitime pour occuper le Bureau ovale car il n’était censément pas né aux Etats-Unis. Trump fit ainsi sortir les théories conspirationnistes des bas-fonds où elles étaient circonscrites pour leur donner un écho national. Il en profita pour émerger sur la scène politique américaine.

Or les désinformations qui se propagent sur le web social – tout particulièrement sur Facebook – trouvent aujourd’hui un écho excessif sur les ondes cathodiques, ce qui leur donne une crédibilité et une visibilité regrettables.

Cette dissémination de fausses informations peut avoir des conséquences potentiellement dramatiques, comme le montre un événement intervenu il y a deux semaines à Washington D.C. : un homme armé fit irruption dans une pizzéria de la capitale américaine où il fut arrêté après avoir vidé l’un de ses chargeurs sans faire de blessés. Il avait fait le voyage de Caroline du Nord afin, selon ses dires, d’enquêter sur le #PizzaGate, une théorie conspirationniste qui circule sur le web social depuis la semaine qui a précédé l’élection présidentielle. Cette fable prétend que Hillary Clinton et John Podesta, le directeur de sa campagne, auraient été impliqués dans un trafic sexuel de mineurs opéré depuis la pizzéria.

Or, si les grands acteurs du numérique ont récemment annoncé des mesures pour partager une base de données des contenus promouvant le terrorisme, ils n’ont pas encore pris la mesure du cancer que constituent les fausses informations qui pullulent sur leurs plates-formes.

Facebook n’hésite même pas à authentifier InfoWars, le site conspirationniste de l’ultra-conservateur et raciste Alex Jones, lui accordant ainsi une scandaleuse vraisemblance :

La télévision au secours de la démocratie

L’apathie de Facebook et Twitter devant ce phénomène donne une responsabilité plus grande encore aux chaînes de télévision, et ce pour deux raisons principales.

En premier lieu, la télévision a longtemps été le carrefour médiatique où se retrouvaient les citoyens de toutes opinions pour suivre l’actualité. Durant des décennies, elle permit à chaque Américain de se forger sa propre conviction sur des faits partagés par le plus grand nombre. Aujourd’hui, alors que la balkanisation des médias favorisée par les technologies numériques rend cette mise en commun des faits toujours plus difficile, la télévision doit éviter de contribuer à la désinformation que le Président élu des Etats-Unis et des groupes de complotistes appellent de leurs voeux1. Pour ce faire, elle doit lutter contre sa propension à privilégier la sensationnalisation, le feuilletonage et la personnalisation de l’actualité.

Cet impératif est d’autant plus grand que les jeunes générations sont moins enclines que leurs devancières à apprécier les charmes du régime démocratique. Une part non négligeable d’entre elles rejette même les institutions démocratiques et se prononcent en faveur d’un leader fort.

C’est donc beaucoup plus que les niveaux d’audience et les revenus publicitaires afférents qui sont en jeu ces temps-ci : c’est une certaine idée du journalisme au service de la liberté, de plus en plus menacée sur les réseaux sociaux. La télévision, qui est le deuxième média le plus influent auprès du grand public, est donc face à une responsabilité sans précédent.

Le (troublant) paradoxe est que cette responsabilité incombe au média a priori le moins bien préparé pour l’assumer.

1 Les autres démocraties occidentales connaîtront tôt ou tard des dérives comparables.

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