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Toute vérité n'est que perception

Pourquoi l’absence de collusion entre Donald Trump et la Russie est une mauvaise nouvelle pour les champions du numérique

L’arme sociale a remplacé les armes létales.

Mes incursions dans la politique internationale procèdent de ma passion pour ces sujets qui, pour reprendre une formule célèbre, ne me sont pas totalement étrangers, ayant conseillé il y a quelques décennies un futur Président de la République française pendant plusieurs années à leur propos. Loin de constituer un argument d’autorité, cette expérience motive simplement les digressions sur la géopolitique que je me permets dans ce blog, bien qu’il ne lui soit pas consacré.Christophe Lachnitt

Le procureur spécial Robert Mueller écrit que son “enquête n’a pas établi que des membres de la campagne Trump aient conspiré ou se soient coordonnés avec le gouvernement russe dans le cadre de ses activités pour interférer dans les élections1.

Après avoir jérémiadé, durant toute l’enquête, être victime d’une chasse aux sorcières par le même Robert Mueller, Donald Trump proclamait hier soir avoir été totalement innocenté (ce qui n’est pas le cas sur son éventuelle entrave à la Justice) et exigeait qu’une enquête équivalente soit lancée sur les agissements de “l’autre camp“, une référence à la campagne de Hillary Clinton et non à la Russie.

Pourtant, la synthèse du rapport Mueller adressée par William Barr, le Ministre de la Justice, aux dirigeants des Commissions des affaires judiciaires du Sénat et de la Chambre des Représentants ne laisse aucun doute quant à l’ampleur des attaques de la Russie sur le processus démocratique américain lors de la dernière élection présidentielle :

L’enquête du procureur spécial a identifié deux principaux efforts russes pour influencer l’élection de 2016.

En premier lieu, une organisation russe, the Internet Research Agency (IRA), a mené des campagnes de désinformation et opérations sur les réseaux sociaux aux Etats-Unis afin de semer la discorde sociale, avec le but d’interférer dans l’élection. […]

En second lieu, le gouvernement russe a réalisé des opérations de piratage informatique afin de collecter et diffuser des informations susceptibles d’influencer l’élection. Le procureur spécial a découvert que des acteurs du gouvernement russe ont réussi à pirater des ordinateurs et obtenir des emails de personnes affiliées à la campagne Clinton et au Parti démocrate. Ils ont diffusé ces messages par l’entremise de divers intermédiaires, dont WikiLeaks.”

Mark Zuckerberg – (CC) Alessio Jacona

Ces conclusions signifient que les acteurs russes ont pu attaquer, et probablement corrompre, la souveraineté du peuple américain sans même bénéficier du soutien de l’équipe du candidat qu’ils voulaient soutenir. De ce fait, la responsabilité des plates-formes numériques concernées par les “campagnes de désinformation et opérations sur les réseaux sociaux” est d’autant plus écrasante. Elles ont fourni à la Russie le vecteur pour conduire une attaque géostratégique sans précédent par les moyens employés et le résultat obtenu : sans que le moindre soldat soit engagé dans le moindre combat, tout porte à croire que la Russie a pu choisir le Président censément élu par le peuple américain. L’arme sociale a remplacé les armes létales.

La leçon que je tirais de cette affaire il y a un an, les réseaux sociaux constituent la plus grande menace géopolitique depuis la crise de Berlin, est malheureusement ratifiée par le travail de Robert Mueller. La question, désormais, est de regarder devant et non plus en arrière, c’est-à-dire de tout mettre en œuvre pour que ne se reproduise pas en 2020 le scandale civique qui a frappé l’Amérique en 2016. Ce sera d’autant plus difficile que Donald Trump ne reconnaîtra jamais que son élection pourrait avoir résulté d’un quelconque autre facteur que son incomparable génie. Son narcissisme ne survivrait pas à cette admission. De surcroît, il n’aurait aucune raison, n’ayant aucun sens de l’intérêt général, de contrecarrer des activités qui l’ont plus que probablement aidé à être élu. Le gouvernement américain ne fera donc rien pour recadrer d’ici 2020 les plates-formes numériques utilisées par la Russie.

Dès lors, Facebook & Consorts sont au pied du mur, placés devant leur seule responsabilité : il leur revient de décider s’ils souhaitent enfin privilégier la souveraineté populaire sur leur profitabilité tentaculaire.

Comme l’a dit Winston Churchill,

La responsabilité est le prix à payer du succès“.

1 Le fait que les agissements de Donald Trump (et de Donald Trump Jr. parmi d’autres) à l’égard de la Russie ne soient pas sanctionnables sur le plan judiciaire ne remet pas en cause leur caractère détestable sur les plans moral et éthique.

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