26 novembre 2019 | Blog, Blog 2019, Communication | Par Christophe Lachnitt
La provocation est un moyen en communication, une fin dans l’art
Démonstration avec Pepsi, Gillette, Paul McCartney et Lady Gaga.
En communication, la provocation ne peut pas être gratuite car elle s’inscrit dans une relation commerciale : elle doit avoir un sens au présent, porter un message cohérent avec le positionnement de la marque et sa relation avec ses audiences. C’est pourquoi les entreprises qui s’engagent dans des provocations trop éloignées de leur identité se fourvoient : une marque ne peut pas sortir trop soudainement et/ou trop radicalement du cadre qui fonde la confiance que lui vouent ses parties prenantes.
Quand Pepsi met en scène Kendall Jenner en manifestante qui offre un soda à un policier pour faire la paix avec lui ou que Gillette s’en prend hypocritement aux travers masculins, l’effet boomerang est dévastateur. La provocation est mal reçue car elle n’est pas cohérente avec les sens respectifs incarnés par ces deux marques.
Comme je l’explique dans mon livre Le génie gênant, “une marque est la garantie d’un ou plusieurs bénéfices (prix, innovation, qualité, service…). Les repères véhiculés par les marques sont porteurs de sens et satisfont un besoin émotionnel d’appartenance“. En clair, une marque est un vecteur de sécurité, l’assurance de la satisfaction d’une nécessité matérielle et d’une identification symbolique.
Un artiste, au contraire, est un vecteur d’insécurité. Ce qui nous attire chez les plus grands créateurs est leur capacité à innover, sortir de leur zone de confort et, partant, élargir notre palette sensorielle et parfois même notre vision du monde1. Les plus grands artistes se réinventent et amènent leurs fidèles à se remettre en cause. Leurs provocations peuvent être gratuites : ils n’ont pas de cadre à respecter, à l’inverse des marques, car leur relation de confiance avec le public est fondée sur la promesse d’un dépassement créatif. Les artistes ne sont pas contraints de donner un sens présent à leur activité créative : ils peuvent se permettre d’éclairer le futur, voire de l’inventer.
Provocateur créatif s’il en est, Paul McCartney faillit intituler son premier album solo “Paul McCartney Goes Too Far” (“Paul McCartney va trop loin”) car il y explorait des chemins musicaux déroutants. Quelques décennies plus tard, son incursion dans la musique classique avec son “Liverpool Oratorio” et son excursion dans la musique électronique à travers le duo The Fireman qu’il forma avec Youth relèvent de la même logique : ne pas rester dans une routine créative. Le compositeur célébré pour “Yesterday” est aussi celui de “I’m Down” et “Helter Skelter”. Le créateur de “Lady Madonna” est aussi celui de “Eleanor Rigby” et “Mull of Kintyre”. L’auteur de “Oh! Darling” est aussi celui de “Wonderful Christmastime” et “C Moon”. Le concepteur de “Let ‘Em In” est aussi celui de “Pretty Little Head” et “All Together Now”.
Dans une autre veine créative, Lady Gaga illustre à elle seule la différence entre communication et art. J’écoutai récemment une interview dans laquelle elle évoque sa lutte depuis l’adolescence contre la dépression et l’automutilation ainsi que les traumatismes psychiques et physiques qu’elle endure depuis les viols qu’elle subit à dix-neuf ans. Elle créa d’ailleurs le personnage de Lady Gaga pour s’accepter telle qu’elle est.
Son message en tant que communicante activiste, notamment promu par sa Fondation Born This Way, vise à aider toutes les personnes en difficulté psychologique à être elles-mêmes. C’est également cette aspiration qui la conduisit à réaliser l’une de ses plus grandes provocations vestimentaires, lorsqu’elle arbora une robe en morceaux de viande pour participer aux MTV Awards 2010 : elle voulait lutter contre la discrimination sexuelle dans les armées américaines en affirmant que toutes les personnes qui acceptent de risquer leur vie pour l’Amérique sont égales, car faites de chair, et devraient être traitées comme telles.
Mais la cohérence du message militant de Lady Gaga ne l’empêche pas de se “contredire” sur le plan artistique, ainsi que le montrent ses différents albums, collaborations (par exemple avec Tony Bennett) et concepts de spectacle. Elle bénéficie d’une liberté en tant qu’artiste dont elle ne dispose pas en tant que communicante2.
En définitive, l’artiste provoque pour créer alors que le communicant crée pour provoquer.
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1 Certes, certains artistes sont gages de confort car nous savons que, avec eux, nous bénéficions d’une expérience uniforme. Chaque album de Coldplay, par exemple, représente immanquablement le son Coldplay. Il y a peu de surprises.
2 Incidemment, elle peut aussi, comme beaucoup d’autres artistes avant elle, mettre puissamment son art au service de sa communication.