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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Communication politique à l’ère numérique : fallait-il que tout change pour que rien ne change ?

Démonstration avec le “Super Tuesday” de la primaire démocrate à l’élection présidentielle américaine.

Durant la première phase de la révolution numérique, sociale et mobile, l’éclosion d’un très grand nombre de nouveaux canaux d’information et leur capacité de ciblage inédite remirent en cause la toute-puissance des médias classiques. Aujourd’hui, on peut se demander si la fragmentation de ces canaux n’est pas allée si loin qu’elle permet aux médias classiques (télévision, presse écrite…) de retrouver une partie de leur influence perdue. Celle-ci émane de leur faculté de diffuser un même message auprès d’un large public, l’inverse de celle des plates-formes numériques qui sont, elles, susceptibles de communiquer des messages personnalisés à une infinie diversité d’individus. En d’autres termes, trop de surinformation a-t-il fini par tuer la surinformation ? L’excès de contenus qui circulent en ligne a-t-il rendu si difficile l’émergence dans le bruit médiatique ambiant que seuls les canaux les moins ciblés parviennent à convoyer des messages politiques perceptibles par le plus grand nombre ?

Ces questions sont évidemment contre-intuitives alors que les technologies et usages numériques ont bouleversé les campagnes électorales et les modes de gouvernement à travers la planète. Mais elles méritent d’être posées pour embrasser l’ensemble de l’écosystème médiatique dans lequel les citoyens et leurs dirigeants opèrent aujourd’hui. A cet égard, la primaire démocrate qui se déroule actuellement aux Etats-Unis en préambule à l’élection présidentielle est aussi étonnante qu’instructive.

Toute l’Amérique pensa durant plusieurs semaines que les sommes record investies par Michael Bloomberg, créateur de l’entreprise éponyme, ancien maire de New York, neuvième personne la plus riche de la planète (avec plus de 55 milliard de dollars de fortune) et philanthrope émérite, allaient lui permettre de réaliser une offensive éclair pour emporter la nomination du parti démocrate. Il dépensa ainsi 410 millions de dollars sur ses propres deniers en spots télévisés entre le début de sa campagne au mois de novembre dernier et le “Super Tuesday” qui attribua hier un tiers des délégués nationaux en jeu dans cette primaire. C’est une somme supérieure à celle déboursée au total par Hillary Clinton et Donald Trump durant leurs campagnes présidentielles respectives en 2016 (élections primaire et générale). On entendit même beaucoup d’observateurs et de protagonistes, au premier rang desquels ses rivaux dans ce scrutin, crier au vol de l’élection.

Michael Bloomberg – (CC) Gage Skidmore

Or, tel le magicien d’Oz, Michael Bloomberg perdit de sa superbe dès qu’il sortit de sa bulle protectrice et fut confronté au jugement des personnes qu’il essayait d’influencer. Sa percée dans les sondages fut stoppée net après sa première participation à l’un des débats télévisés. Sa prestation, catastrophique, anéantit l’image de celui qui se présentait – et était sans conteste sur le fond – comme le plus compétent des candidats démocrates pour sortir l’Amérique du marasme de la Présidence Trump. La couverture médiatique que subit Michael Bloomberg à la suite de ce débat se révéla plus déterminante que les centaines de millions de dollars investis en publicité cathodique et viralité sur le web social. Il subit une déroute cette nuit lors du “Super Tuesday”1 et arrêta sa campagne dans la foulée, mettant dignement ses idées, moyens et équipes au service de Joe Biden.

On assista ainsi en quelque sorte à la revanche de l’ancien monde, celui où le jugement des journalistes avait valeur de référence et où la caisse de résonance dont ils bénéficiaient leur permettait de “faire l’opinion”. Les campagnes numériques ultra-ciblées de Bloomberg, pensées par l’ancien patron de Foursquare et l’ancien directeur du marketing de Facebook, n’eurent pas plus d’effet que ses spots télévisés. Dans le bruit assourdissant auquel les citoyens américains sont confrontés sur les médias qu’ils consomment en moyenne 12 heures et 9 minutes chaque jour, une sentence éditoriale se détacha : la version non scénarisée de Michael Bloomberg était beaucoup moins attractive que celle, scriptée, qu’il présentait dans ses vecteurs de communication.

Le destin des deux autres principaux prétendants à la candidature démocrate accrédite le rôle des médias traditionnels et des journalistes dans cette campagne. En effet, l’étoile de Bernie Sanders pâlit notablement après qu’il eut vanté, dans une interview télévisée, les mérites des programmes d’éducation et de santé publique mis en place par Fidel Castro. Quant à Joe Biden, il bénéficia d’une couverture médiatique extraordinairement porteuse à la suite de sa victoire dans ce que l’on pourrait presque qualifier de son bastion de Caroline du Sud. Il s’agissait de sa première victoire dans une primaire en trois candidatures à la présidentielle, victoire qui, en outre, faisait suite à 26 jours sans succès depuis le début de cette campagne.

Joe Biden – (CC) Gage Skidmore

Ainsi, alors que Bernie Sanders disposait d’un message plus articulé que celui de Joe Biden, de moyens financiers sans comparaison avec les siens et d’une base éminemment plus mobilisée, il fut nettement défait par l’ancien Vice-Président lors du “Super Tuesday”. Une fois les décomptes de votes finalisés, Biden devrait remporter 10 Etats (Alabama, Arkansas, Caroline du Nord, Maine, Massachusetts, Minnesota, Oklahoma, Tennessee, Texas et Virginie) contre 4 pour Sanders (Californie, Colorado, Utah et Vermont). Or Joe Biden n’avait pas fait campagne, pas installé d’équipe et pas diffusé de publicités dans certains des Etats qu’il a remportés. Mais il a bénéficié d’une dynamique et d’une gestion positive des attentes générées par les médias traditionnels après son succès en Caroline du Sud, notamment fondées sur le ralliement de trois anciens candidats (Pete Buttigieg, Amy Klobuchar et Beto O’Rourke).

Ce regroupement des démocrates qui préfèrent une restauration (de la présidence Obama) à la révolution (socialiste) proposée par Bernie Sanders contraste avec l’incapacité de ce dernier à élargir son assise électorale au-delà de ses partisans : il a sous-performé cette nuit par rapport à ses résultats de la primaire de 2016 alors qu’il a eu quatre ans pour construire une coalition au sein de son parti.

C’est ainsi que, alors que tout le monde le donnait pour mort il y a quelques jours encore, Joe Biden put réaliser le plus impressionnant comeback politique depuis celui de John McCain en 2008, un retour en force qu’il doit notamment à la renaissance des médias traditionnels.

1 Cette issue souligne une nouvelle fois, comme je l’avais noté sur Superception il y a cinq ans, que, contrairement aux idées reçues, argent et élection ne font pas toujours bon ménage outre-Atlantique.

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