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Toute vérité n'est que perception

Netflix a-t-il tué la Formule 1 ?

Le sport professionnel le plus sophistiqué devient une vulgaire télé-réalité.

La tension engendrée par la conclusion du Grand Prix d’Abou Dabi et, partant, de la saison de Formule 1 étant retombée, il est désormais possible de s’interroger sur les raisons qui ont conduit à l’un des plus grands scandales de l’histoire du sport : le vol du huitième titre mondial de Lewis Hamilton (Mercedes), qui lui aurait permis de battre le record qu’il détient conjointement avec Michael Schumacher. Lewis Hamilton ne fut pas volé par Max Verstappen (Red Bull), son concurrent pour ce titre, mais par l’organisation censée assurer l’équité et l’honnêteté de la compétition.

Cinq tours avant la fin de la course aboudabienne, le pilote canadien Nicholas Latifi percuta les rails du bord de piste. Un engin dut intervenir pour dégager sa Williams. A cet instant, Lewis Hamilton comptait plus de dix secondes d’avance sur Max Verstappen, un retard irrattrapable dans des circonstances normales si près de l’arrivée.

Un drapeau rouge signifiant un arrêt momentané de la course et un retour temporaire des voitures aux stands aurait alors pu être signifié aux pilotes pour des impératifs de sécurité : le pilote français Jules Bianchi est mort en 2015 après avoir percuté une grue venue enlever une Formule 1 de la piste de Suzuka tandis que les autres voitures y roulaient encore. Cette procédure aurait également permis que toutes les Formule 1 pussent changer de pneus afin d’être à armes égales lors du nouveau départ qui aurait suivi cette interruption, comme ce fut le cas au Grand Prix d’Azerbaïdjan cette année.

Au lieu de quoi, Michael Masi, le directeur de course, prit, après quelques atermoiements indignes de l’enjeu, des décisions contraires au règlement qu’il était chargé d’appliquer. Lorsque la voiture de Nicholas Latifi fut évacuée, il restait moins de deux tours à parcourir pour achever la distance du Grand Prix. Michael Masi décida alors de reconstituer le classement des seules voitures intercalées entre Lewis Hamilton et Max Verstappen et de relancer la course sans que les bolides eussent effectué un tour complet derrière le safety car, contrairement à ce que stipule le protocole de course : celui-ci prévoit que tous les pilotes comptant un tour de retard sur le leader de la course doivent le doubler (ainsi que la voiture de sécurité) afin de reprendre leur place sur la piste au cours d’un tour accompli au ralenti – au terme duquel la safety car peut se retirer – et ainsi assurer que l’ordre des voitures corresponde au classement avant la reprise de la course. Si la règle avait été appliquée, ce tour complet derrière la voiture de sécurité aurait été réalisé, la course se serait terminée au ralenti derrière elle, la distance réglementaire du Grand Prix ayant été parcourue, et Lewis Hamilton aurait été sacré champion du monde1.

Après la course, Bernie Ecclestone, l’ancien patron emblématique de la Formule 1, expliqua que le final du Grand Prix d’Abou Dabi revenait à conclure un match de football dans lequel une équipe menait 4-0 en faisant disputer une séance de penalties afin de départager les deux formations. Pour être encore plus précis, il aurait dû dire qu’une équipe devait disputer lesdits penalties avec des chaussures alors que l’autre devait s’y livrer en chaussettes.

En effet, Max Verstappen avait pu profiter de sa deuxième place pour changer les pneus de sa voiture pendant la procession derrière la safety car et chausser des pneus très avantageux sur la distance très courte restant à parcourir en cas de redémarrage, tandis que Lewis Hamilton avait gardé ses vieux pneus usés2. Le Britannique était donc assuré de perdre la course et le championnat du monde si la course reprenait, au mépris du règlement, après le retrait de la piste de la voiture de Nicholas Latifi.

Cette issue est d’autant plus injuste pour Lewis Hamilton qu’il réalisa une fin de saison exceptionnelle, résistant aux tentatives parfois limite des deux pilotes Red Bull de le pousser à la faute, alors que Max Verstappen, après une brillante saison, avait commis trois erreurs sur les deux derniers Grand Prix : une collision avec les rails dans un tour de qualification décisif en Arabie saoudite, puis un plat sur un pneu dans un freinage mal contrôlé dans un tour d’essai sans enjeu et un départ raté lors de la course à Abou Dabi.

Michael Masi justifia ses décisions en affirmant que son objectif était que la course se terminât sous drapeau vert, c’est-à-dire les Formule 1 roulant à pleine vitesse et non derrière une voiture de sécurité. En clair, le choix contraire au règlement qu’il fit était motivé par la recherche du spectacle.

Lewis Hamilton fit preuve d’élégance en félicitant malgré tout Max Verstappen après le Grand Prix d’Abou Dabi – (CC) AFP

En 2016, Bernie Ecclestone vendit ses parts de la Formule 1 au groupe de médias américain Liberty Media, qui, depuis, a tout fait pour rendre cette discipline plus spectaculaire encore. La retransmission des Grand Prix atteint désormais un niveau inédit de sophistication, avec des informations techniques très complètes affichées sur l’écran, d’immersion, jusqu’à placer des caméras dans les casques des pilotes pour nous montrer leur champ de vision, et de transparence, avec par exemple l’accès aux conversations entre les pilotes et leurs équipes.

En outre, la visibilité de la Formule 1 fut démultipliée par le succès de la série “Drive To Survive” que Netflix lui consacre depuis trois ans : elle raconte la saison de compétition écoulée de manière très scénarisée et en se focalisant davantage sur les personnages-clés de la compétition, au premier rang desquels les pilotes et patrons d’écurie, que sur les résultats.

Moi qui n’avais plus regardé un Grand Prix de Formule 1 depuis plus de quinze ans ai ainsi repris goût à cette discipline cette année après avoir visionné les trois saisons de “Drive To Survive”3. Je ne suis pas le seul dans ce cas : le regain de popularité de la Formule 1 aux Etats-Unis, l’une de ses principales terres de conquête actuelles, s’explique aussi principalement par l’impact de la série de Netflix.

Avec l’approche narrative adoptée par celle-ci, le traitement médiatique de la Formule 1 prit une nouvelle tournure. Cette utilisation du storytelling, que l’on observe d’ailleurs dans tous les domaines, est légitime tant qu’elle n’influe pas sur les enjeux – politiques, corporate, sportifs… – dont elle traite.

Force est malheureusement de constater que ce n’est pas le cas en Formule 1. Ce sport, de surcroît, n’est pas aidé par ses règles argutieuses qui donnent une trop grande place à l’interprétation, y compris lorsque Michael Masi ne se livre pas à de coupables dérives. De cette combinaison du sensationnalisme médiatique et du flou réglementaire a procédé la déplorable conclusion du Grand Prix d’Abou Dabi.

C’est cette logique qui explique doublement l’ultime rebondissement de cette course : la recherche du spectacle, dans un premier temps, plutôt que du respect des règles, et l’exploitation du débat ainsi suscité, dans un second temps, plutôt que le rétablissement de la justice sportive. Ces événements sont bénéfiques aux yeux des dirigeants de la Formule 1 car leur discipline n’a jamais autant fait parler d’elle : ils ont compris que, à l’ère des réseaux sociaux, rien n’est aussi efficace qu’une controverse pour monopoliser l’attention du public. Ils bénéficièrent d’ailleurs largement, après le Grand Prix d’Abou Dabi, de la complicité des médias du monde entier, comme le montre l’exemple de L’Equipe qui titra sur “un final de rêve”. Peu importa que l’issue que la course fût inique, il s’agissait seulement qu’elle fût inoubliable. C’est ainsi qu’un sport aux enjeux sans équivalent, notamment à travers l’implication de certains des plus grands constructeurs automobiles de la planète, se transforme imperceptiblement en télé-réalité de bas étage.

De ce fait, une ombre planera longtemps sur le premier (ou seul) titre de champion du monde de Max Verstappen et les décisions des dirigeants de la Formule 1 favorables à Mercedes seront continûment soupçonnées, la saison prochaine, de compenser l’injustice faite à Lewis Hamilton. A cet égard, l’éviction de Michael Masi ne relèverait pas de la réparation mais seulement de la reconnaissance de ses infractions.

Tout va bien, cependant, dans le merveilleux monde de la Formule 1 : la prochaine saison de “Drive To Survive” battra certainement de nouveaux records de visionnage sur Netflix.

1 Lors du Grand Prix de Belgique, l’ensemble de la course se déroula même derrière le safety car et attribua pourtant des points aux pilotes.

2 Verstappen, étant deuxième, pouvait surveiller le comportement d’Hamilton (rentrerait-il aux stands pour changer ses pneus ou pas ?) et s’adapter en conséquence, ce qui n’était pas permis au septuple champion du monde.

3 Les remarquables commentaires de Julien Frébeau et Jacques Villeneuve sur Canal + participent également de mon intérêt renouvelé pour ces retransmissions.

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