Fermer

Ce formulaire concerne l’abonnement aux articles quotidiens de Superception. Vous pouvez, si vous le préférez, vous abonner à la newsletter hebdo du site. Merci.

Fermer

Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

L’anti-leçon de communication de crise de Will Smith

La gifle infligée par Will Smith à Chris Rock relève de l’un des cas de communication de crise les plus difficiles à gérer.

Depuis que Will Smith a violemment calotté Chris Rock après que celui-ci eut fait une mauvaise plaisanterie au sujet de son épouse lors de la cérémonie des Oscars, les révélations et interrogations ne cessent de se multiplier outre-Atlantique. Dernièrement, Will Smith a remis sa démission à l’Académie des arts et sciences du cinéma afin d’éviter l’affront d’en être suspendu ou banni. Cette décision n’est pas exclusive de sanctions supplémentaires que l’organisation pourrait prendre lors de son prochain Conseil d’Administration, le 18 avril.

Ces châtiments devraient être à la mesure du mal fait par Will Smith :

  • il signala aux millions de personnes qui le regardait que, en cas de désaccord, la violence est le seul recours ;
  • il leur indiqua aussi que son épouse ne pouvait pas se défendre par elle-même contre une plaisanterie maladroite ;
  • il perpétua des stéréotypes racistes sur la communauté afro-américaine ;
  • il donna l’exemple aux jeunes gens du monde entier d’un homme qui commet une erreur et est incapable de la reconnaître et la corriger ;
  • il détourna l’attention de succès historiques lors de ces Oscars, à commencer par ceux de “Summer of Soul” et “CODA” ;
  • il justifia la démarche de “cancel culture” en la concrétisant même par la violence ;
  • il mit en danger les comiques qui pratiquent le stand-up et impose de nouvelles mesures de sécurité aux salles qui vont les accueillir.

Le comportement de Will Smith lors de ces Oscars illustre ce qu’il advient lorsqu’un individu se croit tout permis parce que les personnes qui l’entourent l’ont protégé toute sa vie des répercussions de ses actes. Ainsi Will Smith se crut-il autorisé à interrompre la congrégation la plus importante de sa profession pour en insulter l’animateur, monter sur scène, aller le frapper, puis retourner s’asseoir comme si de rien n’était, attendre que l’un des prix les plus prestigieux de la soirée lui fût remis et prononcer alors un discours auto-justificatif d’un narcissisme vomitif dans lequel il présenta son acte violent comme une preuve d’amour, affirmant qu’il protégeait ses co-stars féminines Aunjanue Ellis, Saniyya Sidney et Demi Singleton, de même que Richard Williams, le personnage qu’il incarnait dans le film qui lui valut sa statuette, avait protégé ses filles Serena et Venus. Il affirma également qu’il était appelé à être un “vaisseau pour l’amour” et une “rivière pour son peuple“. Excusez du peu. Le tout sous les applaudissements d’une bonne partie de l’assistance qui lui réserva une standing ovation.

Après la gifle, il avait pourtant été demandé (mais pas imposé) à Will Smith, par l’intermédiaire de sa communicante, de quitter la salle, ce qu’il refusa de faire. Il confirma ainsi que les individus qui se croient tout permis sont incapables de ressentir la moindre honte ou le moindre remord car ils se considèrent au-dessus du commun des mortels. Il lui fut ensuite conseillé de ne pas participer à la grande soirée, organisée par Vanity Fair, qui suit les Oscars mais il y prit part malgré tout et fut filmé en train de danser comme si la cérémonie s’était formidablement bien déroulée. Au contraire de Will Smith, Chris Rock fit preuve de classe en gardant son calme après avoir été frappé et en refusant de porter plainte contre son agresseur, alors que les policiers présents sur place se préparaient à l’arrêter. Il est évident que, si quelqu’un de moins célèbre que Will Smith s’était comporté comme lui, il aurait été expulsé de la salle manu militari et conduit au poste de police illico presto. En adoptant cette attitude à son endroit, les responsables de la soirée et les autorités publiques continuèrent de lui montrer qu’il avait tous les droits.

Le lendemain de la cérémonie, Will Smith publia un texte certainement écrit par sa communicante et ses avocats dans lequel il s’excusa enfin auprès de Chris Rock, ce qu’il n’avait pas jugé pertinent de faire dans les propos qu’il prononça sur scène après avoir reçu son Oscar. Son choix de publier un texte fut beaucoup moins engageant que la diffusion d’une vidéo dans laquelle il aurait dû (faire semblant d’) être sincère. Il semble que, à ce jour, il n’ait toujours pas contacté directement Chris Rock pour s’excuser auprès de lui.

La réaction la plus digne pour Will Smith, ce soir-là, aurait été d’admettre son erreur, quitter la cérémonie, diffuser très rapidement une vidéo d’excuse et renter chez lui. Il se trouve que cette approche aurait aussi été la meilleure en termes de gestion de crise. Mais elle est incompatible avec l’ego et l’arrogance de l’acteur. Celui-ci se complut donc dans l’hamartia évoquée par Aristote, les failles du caractère d’une personne qui la conduisent à sa chute.

Will Smith gifle Chris Rock – (CC) Oscars

Pour freiner les crises, ma méthode repose sur l’acronyme ABS, lequel recouvre trois fondamentaux en matière de communication de crise : Anticipation – Bonne foi – Sens.

L’anticipation passe par la compréhension de tous les tenants et toutes les dimensions de la crise afin de pouvoir en envisager les prochains développements. L’objectif est d’arriver le plus rapidement possible au terme de la crise en évitant qu’elle ne devienne un feuilleton. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les communicants doivent être associés aux décisions qui sont prises sur le fond pour solutionner la crise et pas seulement être sollicités pour les rendre publiques. Face à une crise, il vaut mieux prendre rapidement les décisions les plus douloureuses qui s’imposeront de toute manière dans sa résolution que d’attendre qu’elle ait empiré pour ce faire. La prise en compte des enjeux de perception doit être déterminante à cet égard.

En outre, à partir du moment où une crise s’est déclenchée, les parties prenantes de la personnalité ou l’organisation concernée ne doivent pas douter une seule seconde de sa bonne foi. Cela repose sur le fait de communiquer de la manière la plus authentique et la plus transparente possible (en particulier pour expliquer ce qui s’est passé, ce qu’on sait et ne sait pas), d’assumer l’entière responsabilité de ses actes et de faire preuve d’une réelle empathie à l’égard des personnes et communautés affectées par ceux-ci. Cet impératif induit généralement une plus grande centralisation de la communication car toute incohérence des messages communiqués en temps de crise serait catastrophique.

Enfin, il convient de donner du sens à la crise. Cela impose tout d’abord de dire ce que l’on va faire pour résoudre la crise et, plus encore, pour éviter qu’un épisode comparable ne se reproduise, ce qui revient à conférer une certaine utilité aux troubles subis. Il vaut alors mieux risquer d’en faire trop que pas assez et d’aller relativement vite que de chercher la perfection absolue dans les premières décisions annoncées. Le sens donné à une crise découle aussi de la capacité des protagonistes concernés d’imaginer le monde d’après, préférablement avec les parties prenantes intéressées lorsque c’est possible. Ce travail doit être accompli avec persévérance car, en matière de réputation, selon l’expression consacrée, on monte par l’escalier et on descend par l’ascenseur. Aussi, si une crise peut être très ponctuelle, son dépassement l’est-il rarement.

A l’évidence, Will Smith n’appliqua aucun de ces préceptes. Trop concentré sur son immense personne, il n’anticipa pas ce que la crise qu’il avait créée allait avoir comme répercussions sur un grand nombre de parties prenantes et ne sut pas prendre les décisions qui s’imposaient. Il ne fit pas davantage preuve de bonne foi, étant incapable de la moindre remise en cause et de la moindre empathie : sa première communication de crise (son discours su scène) accéléra donc l’aggravation de la crise au lieu de la freiner. Enfin, il ne donna aucun sens à la crise, ne s’intéressant pas aux conséquences de ses actes sur tout autre que lui-même et n’imaginant donc pas comment il pourrait aider toutes les communautés qu’il avait blessées à s’en remettre.

En se comportant ainsi, Will Smith nous donna l’exemple d’une situation de crise que tous les communicants qui pratiquent régulièrement cette discipline ont probablement connue au moins une fois dans leur carrière : celle où la notabilité concernée est trop égotiste pour accepter lucidement ce qu’elle doit faire afin de se sortir d’un mauvais pas. C’est généralement le cas de personnalités jupitériennes qui découvrent, avec la survenance d’une crise, qu’elles peuvent être challengées. Dans ce cas, le plus difficile n’est pas de déterminer la stratégie de communication de crise qu’il faudrait mettre en oeuvre mais d’en convaincre le principal intéressé : ses émotions l’empêchent d’entendre raison. Si son communicant échoue à le convaincre, sa communication de crise ne fait alors qu’ajouter de la crise à la crise.

Or cette attitude est d’autant plus dangereuse que nous sommes entrés dans une nouvelle ère de l’imputabilité dans laquelle les parties prenantes ont beaucoup plus de pouvoir pour exiger des réponses des acteurs de l’actualité et des exigences significativement plus fortes dans ce domaine. En particulier, leurs attentes sont plus élevées en ce qui concerne la sincérité des excuses qui leur sont formulées.

Entre contrition et attrition, il faut donc faire le bon choix, et ce d’autant plus que c’est dans les crises que se révèle le vrai caractère d’un individu ou d’une organisation.

Ajouter un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

Remonter

Logo créé par HaGE via Crowdspring.com

Crédits photos carrousel : I Timmy, jbuhler, Jacynthroode, ktsimage, lastbeats, nu_andrei, United States Library of Congress.

Crédits icônes : Entypo