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Toute vérité n'est que perception

Faire de chaque échec un succès

Démonstration éclatante avec Elon Musk et SpaceX.

Il y a quelques jours, SpaceX, l’entreprise spatiale d’Elon Musk, procéda au premier vol orbital de Starship, la plus grande (120 mètres de haut pour 9 mètres de diamètre) et puissante fusée de tous les temps. Starship est l’emblème d’un programme de développement lancé en 2012 qui devrait un jour transporter des humains vers la Lune puis permettre la conquête de la planète Mars.

A terme, l’ambition d’Elon Musk est de construire 1 000 fusées Starship pour transporter 100 000 personnes chaque année sur la planète rouge. La fusée pourrait même être utilisée pour ravitailler les vols entre la Terre et Mars et extraire de l’oxygène et d’autres ressources de la Lune. A ce stade, la NASA a choisi Starship comme prochain véhicule pour transporter des astronautes jusqu’à la surface de la Lune. Cette mission, baptisée Artemis III, devrait avoir lieu au cours de cette décennie.

Starship à Boca Chica (Texas) – (CC) SpaceX

Starship est conçue pour être entièrement réutilisable et capable de transporter des charges plus importantes et plus lourdes que les fusées Falcon, lesquelles servent actuellement la totalité des activités de lancement de satellites et de vols spatiaux habités de SpaceX. Elon Musk a révolutionné l’industrie spatiale avec ce principe de réutilisation qui réduit radicalement les coûts des lancements.

Quant à la puissance de Starship, elle est sans précédent : son premier étage (propulseurs d’appoint ou “booster”) SuperHeavy est doté de 33 moteurs Raptor opérant simultanément (une prouesse inédite) : chacun produit une poussée de 230 tonnes (soit 7 590 tonnes au décollage). C’est presque deux fois plus que le lanceur actuellement le plus puissant au monde, le Space Launch System de la NASA (4 000 tonnes de poussée au décollage). Cette puissance faramineuse devrait permettre au vaisseau Starship1 d’emporter des charges utiles pesant jusqu’à 150 tonnes contre une vingtaine de tonnes pour Falcon 9 et (la future) Ariane 6 en orbite basse et moins de dix tonnes en orbite de transfert géostationnaire.

Starship à Boca Chica (Texas) – (CC) SpaceX

Le premier étage SuperHeavy et le vaisseau Starship devaient se séparer à haute altitude, le booster finissant rapidement sa route dans le golfe du Mexique et le vaisseau achevant la sienne près de Hawaï après avoir accompli la majeure partie d’un tour du monde. Les structures ne se séparèrent pas comme prévu, ce qui entraîna leur destruction à 29 kilomètres d’altitude dans ce que SpaceX qualifia de “désassemblage rapide non programmé” (“Rapid Unscheduled Disassembly”).

Mais l’échec de la séparation n’occulte pas le succès du lancement : la fusée franchit la phase Max Q, l’un des moments les plus délicats du décollage lorsque les engins spatiaux risquent le plus d’être déchiquetés par la pression.

Kate Tice, responsable qualité au sein de SpaceX et présentatrice des retransmissions en direct des lancements de fusée de l’Entreprise, avait expliqué quelques minutes avant le décollage de Starship :

Aujourd’hui, un succès résulterait de ce que nous apprendrions pour nous aider à améliorer les futures versions de Starship. Si nous décollons et quittons l’aire de lancement, nous considérerons que c’est une victoire“.

On pourrait envisager cette assertion comme d’habiles éléments de langage pour suggestionner la perception des médias et du grand public autour d’un éventuel échec du lancement de Starship. En réalité, c’est l’expression la plus ramassée de la philosophie managériale d’Elon Musk qui avait évalué les chances de succès de ce test à 50%. Il avait indiqué que, si Starship ne détruisait pas sa rampe de lancement en prenant feu avant de s’élancer, la mission serait un succès2. Il félicita ses équipes après le lancement et fut notamment rejoint par le patron de la NASA et Thomas Pesquet dans son éloge, le Français émulant parfaitement la vision du fondateur de SpaceX dans son message : “Ne confondez jamais essai et échec“.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’explosion de la fusée Starship après quelques instants de vol déclencha un tonnerre d’applaudissements parmi les centaines de collaborateurs de SpaceX réunis pour suivre son vol-test. Cette réaction contrasta avec la couverture de l’événement par les médias français qui, pour la majorité, présentèrent ce vol-test comme un échec complet, peut-être manière d’occulter le retard abyssal du secteur spatial européen sur SpaceX.

En réalité, ce lancement, qui s’inscrit dans le cadre d’un programme d’essais réguliers, aidera SpaceX à affiner la conception de Starship : son bref vol aura permis aux ingénieurs de recueillir des monceaux de données indispensables pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné cette fois et nourrir les développements de la prochaine itération de la fusée. Il s’est également avéré indispensable pour analyser comment tous les composants et systèmes de la fusée opérèrent ensemble lors du lancement, ce qui est impossible à prévoir même avec des modèles numériques extrêmement sophistiqués.

C’est pourquoi ce test relève de la catégorie des “échecs réussis” (“successful failure”) dont Elon Musk est friand parce qu’il lui permettent de faire chou blanc rapidement et d’apprendre plus vite encore. L’acceptation du risque comme un vecteur de progrès fait d’ailleurs partie des qualités qui distinguent le génialissime entrepreneur.

Ainsi, en 2002, à seulement 31 ans, plutôt que de profiter de sa richesse nouvellement conquise, investit-il une centaine de millions de dollars engrangés lors de l’acquisition de PayPal par eBay dans la création de SpaceX avec l’objectif affirmé de révolutionner le coût du transport spatial pour faire de l’homme une espèce multi-planétaire en colonisant Mars avec au moins un million de personnes au cours du siècle suivant. Il n’avait alors aucune formation spécialisée dans le domaine sur lequel il pariait sa (petite) fortune autre que les lectures qu’il avait consenties sur ce sujet les mois précédents. Au contraire de Jeff Bezos et Richard Branson, il n’attendit donc pas d’être immensément riche pour miser une partie relative de son capital sur une entreprise spatiale.

Il était d’ailleurs conscient que les 100 millions de dollars investis dans SpaceX lui permettraient de financer trois ou quatre lancements seulement. De fait, le lancement de la quatrième fusée de SpaceX en septembre 2008, après trois premiers échecs, aurait été le dernier s’il n’avait pas réussi. C’est son succès qui convainquit la NASA de faire confiance à la start-up sur un contrat de 1,6 milliard de dollars pour 12 lancements. Il faut dire que Falcon 1 était la fusée la plus économique de tous les temps et permettait de lancer des charges utiles pour moins d’un tiers du coût de la meilleure alternative de l’époque. Elon Musk réussit donc le tour de force proprement inouï de créer en partant de zéro et avec ses seuls moyens pécuniaires (voir les graphes reproduits ci-dessous) l’entreprise la plus révolutionnaire de l’histoire spatiale moderne. Après le lancement impeccable de 2008, SpaceX put se développer grâce au risque invraisemblable pris par Elon Musk et non aux subventions de l’Etat américain comme le déclarent trop souvent certains dirigeants de l’industrie spatiale française et européenne dans une forme d’hommage du vice à la vertu.

(CC) Ivan Kirigin
(CC) Ivan Kirigin

Aujourd’hui, non seulement Falcon 9, développée dans une singulière stratégie d’intégration verticale par SpaceX, est-elle la première fusée partiellement réutilisable de classe orbitale au monde mais elle est aussi et surtout le leader mondial des lanceurs spatiaux. Elle a réalisé 217 lancements, dont 152 vols en configuration réutilisée. Depuis le début de l’année, SpaceX a lancé une fusée – essentiellement des Falcon 9 – tous les 4,36 jours avec un taux de réussite de 100%. En 2023, l’Entreprise devrait détenir plus de 80% des masses mises en orbite, soit quatre fois plus que la Chine, l’Europe, la Russie, Lockheed Martin et tous les autres pays réunis.

Elon Musk expliquait récemment l’approche différenciée en matière de prise de risque de SpaceX :

SpaceX utilise des méthodes de conception diamétralement opposées pour Starship et Dragon [qui transporte des équipages et du fret vers l’ISS]. Dragon ne peut jamais échouer, il doit être testé un nombre extrême de fois et dispose d’énormes de marge. En revanche, pour développer la première fusée entièrement et rapidement réutilisable au monde, SpaceX doit procéder à des itérations fréquentes, ce qui entraîne de nombreux échecs. Falcon se situe entre les deux : SpaceX peut se permettre un échec à l’atterrissage, mais ne peut pas connaître d’échec pendant l’ascension.

[Avec Starship], nous procédons à des itérations rapides. Chaque vaisseau et chaque booster a fait l’objet d’itérations importantes. Nous voulons repousser les limites. Franchement, si vous ne repoussez pas les limites, vous ne pourrez pas atteindre l’objectif d’une fusée entièrement et rapidement réutilisable. C’est tout simplement impossible. Il faut aller au plus près des marges“.

Le grand physicien américain Richard Feynman (prix Nobel de physique 1965) a souligné que “l’aspect le plus important de la créativité et de l’innovation est de ne pas avoir peur d’échouer“. Elon Musk est la plus brillante incarnation de ce principe avec SpaceX et Tesla notamment. ll se livre aussi à des dérives managériales et éthiques répugnantes à la tête de Twitter3, ce qui en fait un producteur de dissonance cognitive à nul autre pareil. Cette réalité duale difficilement réconciliable nous rappelle la complexité de la nature humaine.

Ce qui est simple en revanche est qu’il ne dépend que de nous de faire, comme lui, de chaque échec une source d’enseignements pour bâtir nos prochains succès.

1 Starship est le nom à la fois de la fusée et de son vaisseau.

2 Même si la fusée n’a pas explosé avant de décoller, elle semble tout de même avoir détruit une partie du pas de tir.

3 Où son implication est incompréhensible rationnellement étant donné l’importance et l’intérêt de ses autres projets.

2 commentaires sur “Faire de chaque échec un succès”

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“En réalité, c’est l’expression la plus ramassée de la philosophie managériale d’Elon Musk qui avait évalué les chances de succès de ce test à 50%.”

50% de chances… La capacité à prédire l’avenir du génialissime entrepreneur manager philosophe reste toujours aussi bluffante !

Lewis

PS: https://www.youtube.com/watch?v=ErDuVomNd9M

Toute vérité n’est que perception…

Cher Lewis,

J’ai d’abord bien ri en vous lisant.

Mais avouez que celui qui se donne 100% de succès ne risque pas de révolutionner l’industrie spatiale, pas plus d’ailleurs que celui qui se donne 0% chance de succès.

Excellente fin de week-end.

Xophe

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