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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Désinformation : les nouveaux artifices des menteurs pour mettre le feu

Quelques réflexions sur la communication relative à la crise qui embrase le Proche-Orient.

Mes incursions dans la politique internationale procèdent de ma passion pour ces sujets qui, pour reprendre une formule célèbre, ne me sont pas totalement étrangers, ayant conseillé il y a quelques décennies un futur Président de la République française pendant plusieurs années à leur propos. Loin de constituer un argument d’autorité, cette expérience motive simplement les digressions sur la géopolitique que je me permets dans ce blog, bien qu’il ne lui soit pas consacré.Christophe Lachnitt

Le conflit qui supplicie de nouveau cette région charrie sans surprise son lot de mensonges. Ainsi que le conflit russo-ukrainien nous l’a rappelé, le mensonge est consubstantiel à la guerre, surtout lorsque celle-ci met aux prises une démocratie, encadrée par la séparation des pouvoirs et le rôle du quatrième d’entre eux, et une dictature (Russie) ou un groupe terroriste (Hamas) qui n’obéissent à aucune règle ou convention.

On retrouve alors dans le domaine informationnel la notion de guerre asymétrique, où le “faible” compense son déficit objectif vis-à-vis du “fort” par des pièges de nature subjective. Lorsque cette asymétrie concerne un “fou” et un “fort”, cette dimension émotionnelle passe le plus souvent par le terrorisme, dont l’objectif est autant tactique (épouvanter) que stratégique (pousser l’ennemi à la faute en réaction aux horreurs subies). Cette approche communicationnelle a alors des relents de la stratégie de guérilla théorisée par Mao Zedong dans ses écrits sur la guerre révolutionnaire.

Le 7 octobre dernier, Israël a vécu un 11-septembre puissance 141 dans ce qui constitue le plus grand massacre de juifs depuis la Shoah. Les civils, âgés de trois mois à 90 ans, qui ont été exterminés dans des tortures | souvent abominables (femmes enceintes éventrées, bébés décapités…) ne l’ont pas été en raison d’une dispute territoriale (Israël s’est retiré de Gaza en 2005) mais parce qu’ils étaient juifs. Au lieu de nier sa responsabilité dans les crimes sadiques commis, à l’instar de Vladimir Poutine à propos du martyre de Boutcha, le Hamas l’a revendiquée et exposée. Pour lui, l’atrocité est un acte de communication : le “terrorisme à la GoPro” vise à rendre impossible la coexistence entre Israéliens et Palestiniens. Cette mise en scène de la barbarie, à une échelle sans précédent, confère aux attaques du 7 octobre une singularité d’autant plus symbolique qu’elle distingue même, dans une certaine mesure, le Hamas des nazis. En 1942, ces derniers décidèrent en effet de faire disparaître les cadavres des juifs qu’ils avaient massacrés afin de répondre aux plaintes des Allemands sur l’existence de fosses communes et, surtout, d’éliminer les traces de leurs crimes. Ce fut le programme Sonderaktion 1005 (Opération 1005 en français) dont il fut notamment question lors du procès de Nuremberg. Au contraire des nazis, le Hamas ne veut pas effacer les stigmates de ses assassinats : il les brandit dans une seconde commission de ses crimes contre l’humanité. Ce sont donc tous ceux qui portent des valeurs humaines élémentaires qui doivent soutenir la lutte des ennemis intérieurs (les résistants palestiniens, lesquels sont morts ou emprisonnés) et extérieurs (Israël et ses alliés) du Hamas, tout en protégeant au mieux ses victimes (elles aussi intérieures et extérieures, cf. infra).

Le Hamas a d’ailleurs ceci de commun avec Vladimir Poutine qu’il ne peut admettre qu’une démocratie existe à ses côtés et qu’il persécute autant son propre peuple que ses ennemis, lesquels sont mêmement ses proies. Le fait d’occulter les victimes palestiniennes du Hamas par idéologie ou ignorance revient d’ailleurs à accorder moins de prix à une vie palestinienne qu’à une vie israélienne : l’essentialisation identitaire n’est pas toujours là où on la cherche. Incidemment, les Arabes musulmans d’Israël (qui représentent plus de 20% de la population de “l’Etat juif”2) sont, à maints égards, les plus libres du Proche et du Moyen-Orient. En définitive, c’est le double idéal fondateur d’Israël, la démocratie à l’intérieur et la paix à l’extérieur, qui est insupportable au Hamas. Le fait que cet idéal israélien soit mis à mal par ses propres dirigeants, comme c’est le cas depuis plusieurs années avec Benyamin Netanyahou à l’intérieur sur les plans constitutionnel et déontologique et à l’extérieur notamment en Cisjordanie, n’excuse en rien le projet génocidaire du Hamas vis-vis des juifs. Mais c’est ce double extrémisme, même s’il n’est comparable ni dans ses racines ni dans ses objectifs ni dans ses actions, qui empêche conjoncturellement la mise en oeuvre d’une solution à deux Etats. Structurellement, celle-ci est rendue impossible par le fait qu’une bonne partie de la région refuse toujours le principe même de l’existence d’Israël, ce qui, paradoxalement peut-être, fait de la capacité de dissuasion de ce dernier une condition sine qua non de la paix. Pour autant, il faudra un jour que la geste antisémite de ses circonvoisins fasse place à un geste pro-sioniste.

Illustration réalisée avec DALL-E 3

Aujourd’hui, l’atroce attaque du Hamas sur des civils israéliens met en lumière trois nouvelles formes de mensonge.

La première n’est pas neuve dans sa forme mais dans sa force : elle passe par l’utilisation de clichés authentiques n’émanant pas de Gaza (mais souvent de Syrie) pour illustrer la communication du Hamas sur les drames vécus par la population locale du fait des frappes d’Israël. Cette communication occulte le fait que le Hamas est le principal responsable de cette affliction (terreur politique maintenue sur les Gazaouis, exécution de ses opposants, isolement diplomatique, détournement de l’aide internationale pour financer son terrorisme et le train de vie de ses dirigeants, pillage des infrastructures, par exemple l’essence et les canalisations d’eau, pour fabriquer et faire fonctionner des armes…)3, affliction que son extermination d’innocents juifs ne va faire qu’aggraver. Les otages enlevés au cours de cette opération ne sont d’ailleurs pas les seuls boucliers humains brandis par le Hamas contre l’armée d’Israël : tout le peuple de Gaza est dans la même situation. Dans ce cadre, le Hamas a un recours à grande échelle à l’utilisation mensongère de vraies images au service de sa propagande. C’est la dimension offensive de sa communication.

Sa dimension défensive est favorisée par l’apparition de l’intelligence artificielle générative. J’avais fait le pari, à propos de Donald Trump, dans mon dernier livre en date, Prêt-à-penser et post-vérité (2019), consacré à la menace que le numérique fait peser sur la démocratie, que la multiplication des mensonges permettrait à leurs auteurs de réfuter des faits avérés en les accusant d’être des manipulations fomentées par leurs opposants : lorsque la sphère informationnelle a été complètement inondée d’impostures, il est plus facile d’assimiler vérités et mensonges dans l’esprit du public. L’intelligence artificielle générative autorise un double saut qualitatif à cet égard, en permettant la conception de fausses images plus vraies que nature et, plus encore peut-être, en justifiant la délégitimation des images gênantes (qu’il suffit de dire avoir été créées avec une IA). C’est un double phénomène particulièrement visible dans le traitement de cette crise.

L’intelligence artificielle générative pose un autre problème lorsque ses vraies-fausses images sont publiées dans le cadre de photos authentiques. C’est la mésaventure qui est arrivée à Libération il y a quelques jours avec une photo de manifestants égyptiens dont l’un brandissait une image créée avec une IA, semble-t-il en début d’année lors du tremblement de terre subi par la Turquie. La publication de cette image sans la moindre mention de la nature falsifiée de sa principale composante est problématique : elle accrédite la réalité d’un drame qui, en l’espèce, n’existe pas. Le fait que le manifestant égyptien croie ou ne croie pas qu’il existe ne change rien à l’affaire. Sinon, il faudrait orienter toute la couverture médiatique en fonction des opinions des protagonistes et non des faits. Libération aurait donc dû éviter de publier cette photo en couverture et l’agrémenter d’une légende explicative s’il l’avait utilisée dans ses pages intérieures. Mais, de manière plus importante, ce que cet exemple – malheureux mais pas catastrophique – signale est l’impossibilité, à relativement court terme, pour les médias d’information de vérifier les images qu’ils emploieront pour rendre compte de l’actualité. Car, si cette photo est relativement aisément attribuable à une intelligence artificielle (en raison de son antériorité et de la déformation du visage et de la main du bébé), il n’en sera pas de même à l’avenir, tant les progrès des intelligences artificielles génératives sont rapides. C’est donc l’ère de l’exigence du discernement infaillible qui s’ouvre pour les organes d’information.

Or leur bilan récent n’est pas fameux. Je fais évidemment référence au traitement de l’explosion intervenue à l’hôpital Al-Ahli Arabi de Gaza : l’écrasante majorité des médias commencèrent par prendre pour argent comptant la communication du ministère de la Santé de Gaza, c’est-à-dire du Hamas, qui affirmait être victime d’une frappe de l’armée israélienne et établissait, quelques instants après la supposée frappe, un bilan de plusieurs centaines de morts. Le plus alarmant est qu’il ne s’agit pas ici d’une faute provoquée par le rôle des nouveaux médias ou des nouvelles technologies mais tout simplement du B-A-BA le plus élémentaire du journalisme : vérifier ses sources. Toujours est-il que le biais d’ancrage4 joua à plein. Comme l’avait noté Mark Twain, “un mensonge peut faire le tour de la terre le temps que la vérité mette ses chaussures“. Il devint ainsi impossible de faire évoluer la perception du monde, et en particulier du monde arabe, lorsqu’il fut mis en évidence que l’explosion provenait en réalité d’une roquette défaillante des islamistes et que son bilan était heureusement largement moindre qu’initialement annoncé. Comme l’affirma le ministre jordanien des Affaires étrangères sur CNN dans une phrase dont il ne se rendit apparemment pas compte de la lourde résonance historique, “tout le monde ici pense qu’Israël est coupable“. Depuis trop longtemps et pour trop de monde, le juif est forcément coupable. Est-ce aussi la raison pour laquelle il est fait si peu de cas, dans notre pays, de la mort de quarante Français dans les attaques du Hamas, lesquelles représentent pourtant l’attentat terroriste contre notre Etat le plus meurtrier depuis celui de Nice en 2016, et du sort de nos huit otages (ou disparus) ?

Pour ne prendre que l’un des exemples les plus déplorables des errements médiatiques de ces derniers jours5, je ne comprends pas comment The New York Times, l’un des quotidiens de référence du monde libre, peut avoir repris dans plusieurs titres les déclarations du Hamas sans expliquer qu’elles provenaient d’une organisation terroriste et n’avaient pas été corroborées par le journal. Lorsqu’un conflit oppose une démocratie et un groupe terroriste, un média sérieux ne peut pas considérer que les déclarations des deux parties se valent et sont également crédibles. De même qu’il ne faut pas partir du point de vue qu’une démocratie dit toujours la vérité en temps de guerre et qu’il faut donc vérifier les déclarations d’Israël, faut-il assumer qu’un groupe terroriste ment et faut-il donc mener toutes les investigations nécessaires avant de publier ses assertions en leur donnant la crédibilité du média qui les propage. Certes, les organes d’information ne furent pas les seuls à errer, des politiques bien intentionnés à l’égard d’Israël en faisant de même. Mais le rôle du journaliste n’est-il pas justement de ramener les acteurs de l’actualité à la raison quand ils s’en égarent ?

Face à cette absence générale de clairvoyance, Israël fut contraint de mettre en cause l’un des principes de sa communication de crise qui consiste à ne jamais montrer les victimes d’attentats : de même que le procès de Nuremberg s’était ouvert sur des images filmées dans les camps de concentration, Tsahal réunit hier une centaine de journalistes internationaux pour leur montrer un montage-vidéo de 43 minutes d’images filmées par les terroristes durant leurs attaques, images si | insoutenables (bien que censurées, par exemple à propos de viols) qu’elles ne seront pas diffusées dans les médias et que certains journalistes présents ne purent rester jusqu’au terme de leur diffusion. On y voit, entre autres horreurs, un terroriste tentant à plusieurs reprises de décapiter à coups de bêche un homme au sol se tordant de douleur en raison d’une blessure au ventre. Au contraire du Hamas, Israël ne cherche pas à terroriser quiconque avec cette communication exceptionnelle mais à apaiser la douleur insondable des siens en contrant le nouveau négationnisme dont ils commencent à être l’objet6.

Je cite souvent une phrase de Nietzsche qui prend un tour toujours plus dramatique s’agissant du Proche-Orient : “Le contraire de la vérité n’est pas le mensonge mais la conviction” (ou, comme le motto de Superception l’affirme, “toute vérité n’est que perception”). Le grand journaliste américain Walter Conkrite affirmait de son côté que “le journalisme est ce dont nous avons besoin pour faire fonctionner la démocratie“. Puissent ses héritiers l’entendre et leurs “consommateurs” dépasser leurs convictions afin de faire montre de l’exigence susceptible de les rappeler à leur devoir pour qu’ils contribuent à sauver ce qui peut l’être de l’idéal de liberté.

De fait, cette crise nous rappelle une nouvelle fois combien l’idéal de liberté doit rester supérieur à celui de paix. Sinon, nous terminerons tous sous le joug de dictateurs et terroristes.

1 2 977 morts sur une population de 311 600 000 d’habitants le 11 septembre 2001 et 1 300 morts sur une population de 9 797 600 habitants le 7 octobre 2023.

2 Rappelons, en comparaison, que la part des musulmans dans la population française est estimée à environ 10%.

3 A ce sujet, on est obligé de noter que les violations du droit humanitaire à Gaza n’ont pas semblé intéresser leurs défenseurs actuels pendant toutes les années où elles ont été – et continuent d’être – commises par le Hamas. De même quand des milliers de Palestiniens ont été tués ces dernières années par le régime de Bashar al-Assad, en particulier à Yarmouk dans les faubourgs de Damas. Indéniablement, les personnes qui ne sont choquées que lorsque des Arabes sont tués par des juifs et pas quand ils le sont par d’autres Arabes manifestent des motivations pour le moins suspectes. Si ce n’est pas un antisémitisime conscient ou inconscient qui les guide mais une noble défense des victimes musulmanes, je m’étonne qu’elles ne soient pas davantage engagées pour la protection des Ouighours.

4 Le biais d’ancrage induit que notre première impression reste ancrée dans notre esprit comme point de référence de nos perceptions ultérieures.

5 J’aurais également pu traiter de l’AFP, de la BBC, de CNN, du Monde, de Reuters, de The Associated Press, du Wall Street Journal et de tant d’autres médias de premier plan qui reprirent les affirmations du Hamas et dont la plupart n’ont toujours pas reconnu publiquement avoir erré dans leur jugement (alors qu’ils sont si prompts, conformément à leur mission, à morigéner les erreurs des acteurs de l’actualité).

6 Malheureusement jusque dans notre pays où, par exemple, l’assassinat de bébés juifs fut nié dès la première manifestation visant à soutenir les Palestiniens.

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