L’implosion médiatique la plus inepte de la décennie (au moins)

Elle émane de Kristi Noem, gouverneure du Dakota du Sud, et, jusqu’à ladite implosion, candidate à la candidature à la Vice-Présidence sur le ticket de Donald Trump pour la prochaine présidentielle américaine.

Kristi Noem a l’un de ces parcours éclectiques typiques de nombre de dirigeants politiques américains. Après la mort accidentelle de son père, elle arrêta ses études universitaires à 23 ans, sans avoir été diplômée, pour reprendre l’exploitation agricole familiale, à laquelle elle ajouterait un pavillon de chasse et un restaurant. Elle poursuivit des études tout en dirigeant l’exploitation puis, plus tard, en étant représentante du Dakota du Sud au Congrès américain, où elle servit huit ans après avoir passé quatre ans au sein de l’organe législatif de son Etat. Elle est gouverneure de celui-ci depuis 2018. Elle s’est distinguée par des positions et des politiques très droitières et un soutien appuyé à Donald Trump, qui en avait fait publiquement l’un des élus qu’il envisageait pour la candidature à la Vice-Présidence à ses côtés dans l’optique de la présidentielle du 5 novembre prochain – l’ancienne star de télé-réalité a organisé la sélection de son colistier comme un casting médiatique qui lustre son ego tout en renforçant encore sa domination déjà sans partage sur le Parti républicain.

La dizaine de politiciens considérés – ou qui se croient tels – rivalisent naturellement pour s’attirer les bonnes grâces de l’ancien Président en flattant à la fois ce dernier et son électorat d’extrême-droite. C’est ce faisant que Kristi Noem commit la double faute non provoquée la plus absurde de l’histoire politique récente. Dans ses deuxièmes mémoires, “No Going Back: The Truth on What’s Wrong with Politics and How We Move America Forward“, elle raconte (i) avoir tué Cricket, son chiot qu’elle trouvait rétif à toute éducation, et (ii) avoir rencontré Kim Jong-un : “Je me souviens de ma rencontre avec le dictateur nord-coréen Kim Jong-un. Je suis sûre qu’il m’a sous-estimée, n’ayant aucune idée de mon expérience en matière de lutte contre les petits tyrans (j’avais été pasteur pour enfants, après tout). Traiter avec des dirigeants étrangers demande de la détermination, de la préparation et de l’acharnement“. Cette seconde anecdote s’est avérée un gros mensonge. La première, malheureusement, est bien vraie.

Les deux récits avaient pour objectif de forger l’image de Kristi Noem comme une personne forte, capable de mettre en oeuvre des décisions difficiles et de résister aux pires despotes de la planète. L’un des principaux arguments de campagne de Donald Trump face à Joe Biden est en effet sa force supposée face à la prétendue faiblesse – physique et (géo)politique – du démocrate. C’est ici qu’il convient de se souvenir des deux règles édictées par Bill Clinton pour les élections présidentielles : le futur l’emporte toujours sur le passé dans les campagnes et un candidat perçu comme fort triomphe toujours, même s’il a tort, d’un candidat qui aurait raison mais serait perçu comme faible.

En voulant se présenter comme forte, Kristi Noem a doublement dérapé. Le fait qu’elle ait menti sur sa rencontre avec Kim Jong-un est rapidement passé au second plan. “Après tout”, l’imposture n’est-il pas le premier instrument de campagne (et de gouvernement) de Donald Trump ? Kristi Noem a donc annoncé, sans reconnaître son mensonge, alors que celui-ci est pourtant facilement récusable par la presse, qu’elle retirerait ce passage des futures éditions de son livre. Mais il est plus difficile de se dépatouiller d’un épisode qui a eu lieu que d’une fable. Or comment Kristi Noem a-t-elle pu penser que tuer un chiot innocent parce qu’il était désobéissant ferait un bon argument de promotion de sa candidature à la candidature à la Vice-Présidence ? Quelle perception a-t-elle des électeurs républicains pour considérer que cet épisode lui serait favorable à leur yeux ? Abattre un chiot est-il supposé être un signe de force et de compétence ? Etre incapable de l’éduquer n’est-il pas plus parlant à cet égard ? La gouverneure depuis plus de cinq ans d’un Etat américain n’a-t-elle pas d’autres actions démontrant sa gestion de situations difficiles à mettre en exergue que l’exécution de son chiot ? D’autres actions qui démontreraient sa valeur ajoutée pour les habitants du Dakota du Sud par exemple ?

Au-delà de ces questions qu’elle a manifestement oublié de se poser, Kristi Noem a ignoré une règle cardinale de communication, la théorie de la fosse d’orchestre (“Orchestra Pit Theory”), formulée en 1988 par Roger Ailes, conseiller en communication de plusieurs leaders républicains avant de devenir le patron (et harceleur sexuel en chef) de Fox News : elle stipule qu’un candidat à la Présidence peut prononcer le discours le plus important de sa vie, dans lequel il révèle le secret à l’établissement de la paix dans le monde, mais que, s’il glisse sur scène et tombe dans la fosse d’orchestre, tout ce que les journalistes retiendront est cette chute. En clair, ne donnez pas aux médias la moindre occasion de se détourner de votre message.

A ce niveau de manque d’humanité et de jugement, personne ne pouvait sauver Kristi Noem. Après plusieurs interviews télévisées catastrophiques, y compris sur des chaînes ultra-conservatrices (voir la vidéo reproduite ci-dessous), Kristi Noem a mis un terme à sa tournée médiatique de lancement de son livre, probablement la tournée du genre la plus épouvantable de tous les temps. Amazon et Goodreads ont même dû interrompre la publication de commentaires sur leurs pages respectives dédiées au livre, tant ils étaient venimeux à l’endroit de son auteure. Dans le même temps, d’innombrables politiques démocrates ont soudainement communiqué sur les réseaux sociaux au sujet de leur amour pour leurs compagnons à quatre pattes.

Inutile de dire que l’on ne parle plus aujourd’hui de Kristi Noem comme potentielle Vice-Président de Donald Trump. Il semble qu’elle promeuve désormais une autre candidature, cette fois pour diriger la NRA (National Rifle Association), dont elle est déjà adepte des produits, comme le malheureux Cricket peut en témoigner.