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Toute vérité n'est que perception

Une bonne bulle, ça vous dit ?

Bob Woodward, le journaliste du Washington Post qui, avec Carl Bernstein, avait révélé le scandale du Watergate, livre des réflexions intéressantes sur le journalisme dans une interview au Monde Magazine paru le week-end dernier. Il y évoque notamment l’existence d’une bulle de l’information. A mon sens, c’est une bonne bulle.Woodward considère que nous avons beaucoup d’informations en apparence mais peu d’informations de valeur, riches de “contexte et de signification”. Nous avons l’impression d’être bien informés mais, comme pour les bulles précédentes, cette sensation rassurante est trompeuse. L’exigence de vitesse imposée par Internet l’emporte selon lui sur la nécessité de profondeur pour comprendre un monde de plus en plus complexe

(CC) Miguel Ariel Contreras Drake-McLaughlin

(CC) Miguel Ariel Contreras Drake-McLaughlin

Il y a, me semble-t-il, deux idées en une dans l’assertion de Bob Woodward.

Primo, sommes-nous exposés à trop d’informations ? Je ne le crois personnellement pas : comment pourrait-on avoir trop d’informations ? L’information est une denrée uniquement positive qui éduque notre esprit, nous permet de toujours mieux motiver nos décisions et de mieux comprendre l’univers dans lequel nous vivons. Last but not least, l’information est source de tolérance. En revanche, il est vrai que la quantité d’informations que nous devons appréhender ne cesse de croître. Ainsi un lecteur du New York Times a-t-il aujourd’hui accès à autant d’informations en une édition quotidienne qu’un individu du 17ème siècle durant toute sa vie. Et, bien que Police ait chanté dès 1981 “Too much information running through my brain, Too much information driving me insane“, Internet pose depuis quelques années avec une acuité sans précédent la question d’une éventuelle surinformation. C’est désormais une avalanche de contenus qui est déversée en continu – si nous le voulons – sur notre cerveau. Pour ne prendre que mon seul exemple, je suis abonné à 150 flux RSS que je scanne quotidiennement pour ne lire que les articles les plus intéressants parmi les centaines qui me sont proposés. Si j’avais le temps, je pourrais, pour suivre mes principaux sujets d’intérêt, être abonné à plusieurs centaines de flux – j’adorerais ! Tout est donc, aujourd’hui, affaire de tri sélectif, pour les drogués d’information comme moi et pour ceux qui le sont moins. Mais je ne vois aucun effet pervers fondamental à avoir accès à un volume d’informations illimité.

Quant à Internet, notre cerveau s’adapte et apprend à gérer ce nouvel environnement comme il avait par exemple appris à maîtriser la révolution suscitée par l’invention de l’imprimerie. Notre cerveau en a vu d’autres en termes d’adaptation depuis 450 millions d’années et ce n’est certainement pas cette mutation qui lui paraîtra la plus radicale ! La particularité peut-être la plus extraordinaire de notre cerveau est précisément sa capacité à apprendre, à s’adapter, y compris physiquement. Donc je ne me fais pas de souci pour lui. Cette évolution prendra du temps mais elle est déjà sensible chez ceux que l’on appelle les “Digital Natives”, les jeunes qui sont nés après l’invention d’Internet. Ils sont plus doués que nous pour scanner des monceaux de contenus, pour effectuer plusieurs tâches en même temps (multi-tasking) et pour analyser les informations plus rapidement afin de prendre des décisions. Les premières études neurologiques réalisées auprès d’eux montrent a contrario que ces Digital Natives ont des difficultés de concentration résultant justement de leur aptitude à être moins focalisés que nous sur un contenu unique. Mon optimisme naturel me porte cependant à croire que ce défaut se corrigera avec le temps. Nous ne sommes après tout qu’au début de la révolution numérique.

La deuxième idée promue par Bob Woodward est que, perdus dans cet océan d’informations, nous avons de plus en plus de mal à trouver les éléments de mise en perspective qui nous sont nécessaires pour comprendre le monde complexe dans lequel nous vivons. Le premier commentaire que j’apporterai à ce sujet est que nous avons beaucoup plus de moyens de compréhension du monde dans lequel nous vivons que toutes les générations d’être humains qui nous ont précédés. Le paradoxe est que nous en avons peut-être trop désormais et que, conséquemment, nous n’avons plus la possibilité de nous intéresser aux éléments explicatifs, submergés que nous sommes par les seuls éléments purement informatifs.

C’est peut-être un plaidoyer pro domo de la part d’un journaliste qui a consacré sa brillante carrière à rédiger des enquêtes de fond et pas à faire du reporting d’actualité à chaud. Mais c’est malgré tout une idée intéressante. Je ne crois cependant pas qu’on puisse comparer cette potentielle bulle d’information aux autres bulles (technologique, immobilière, financière…) qui ont éclaté ces quinze dernières années, et ce pour deux raisons : (i) cette potentielle bulle ne fait indûment la fortune de presque personne et (ii) il n’appartient qu’à nous d’avoir la discipline suffisante pour la faire éclater en nous contentant de bien choisir où nous concentrons notre attention médiatique. Car le seul mal dont nous souffrons peut-être est un excès d’informations.

Si, comme le disait Nietzsche, “la lecture de la presse est la prière du matin du philosophe”, nous pouvons aujourd’hui très aisément lire tous les meilleurs organes de presse du monde et tous les meilleurs livres d’analyse dans toutes les langues. Dans ce sens, nous sommes, grâce à Internet, les citoyens les plus privilégiés, en termes d’information, de l’histoire de l’humanité. Ne rejetons donc pas sur une prétendue faillite sociétale et/ou technologique la responsabilité qui est la nôtre de nous informer de manière responsable en tirant parti des outils (peut-être trop) exceptionnels qui sont mis à notre disposition. Ces outils ne sont que des moyens, c’est à nous et à nous seuls de décider à quelle fin nous voulons les utiliser. S’il y a une faillite en matière d’information, ce ne peut être que la nôtre.

PS : l’interview de Bob Woodward n’est pas disponible sur Internet à l’heure où j’écris ces lignes.

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